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Entretien avec Jacky Fayolle, économiste et directeur adjoint du département des études du groupe Alpha.

 

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Quelles vont être les conséquences sociales de la crise ?

Cette crise découle de fait d’un déséquilibre social. On en commente beaucoup la dimension financière, mais on oublie qu’elle découle du déséquilibre social de long terme qui règne aux Etat-Unis.

Deux composantes concourent à ce déséquilibre outre-atlantique: l’endettement et la faible capacité d’épargne interne. Dans les années 80, c’était plutôt l’agent fédéral qui était endetté, dans les années 90, ce furent les entreprises lancées dans la new economy et depuis les années 2000, ce sont les ménages, et pas seulement dans l’immobilier ! Cet endettement a été possible grâce à des contreparties externes, notamment celles des pays émergents dont l’épargne était confrontée à une faible capacité d’absorption interne.

La deuxième composante, c’est que la société américaine est très inégalitaire. Les écarts de salaires grandissants sont tolérables, tant que les USA bénéficient du plein emploi (contrairement à l’Union Européenne). Le revenu d’un ménage où l’homme et la femme travaillent, est plus ou moins assuré et le mécanisme de l’endettement a joué un certain rôle compensateur.

Les subprime étaient un pari sur l’avenir, car ils misaient sur la perpétuelle augmentation des valeurs immobilières, permettant d’assurer la solvabilité des ménages modestes endettés. Le retournement immobilier, phénomène classique, a provoqué la crise. Mais, ce n’est pas seulement l’échec de la technique de titrisation qui est en jeu. C’est une crise significative de la défaillance du modèle social étatsunien. Les pauvres sont devenus un objet de spéculation des riches. Avec cette crise, les USA sont confrontés à la redéfinition de leur modèle socio-économique.

Qu’en est-il en Europe ?

L’Europe n’est pas dans la même situation, bien qu’elle soit frappée aussi par la récession. Et ce, malgré les différences entre pays européens. On ne sait pas encore comment le modèle social européen va réagir à ce retournement conjoncturel, si ce mouvement récessif prend des allures de dépression. Déjà, les agents économiques retardent les achats, gèlent les embauches, cherchent à se désendetter. Ce type de mouvement, dangereux économiquement et socialement, ne s’interrompt pas spontanément. Il faut une intervention de la puissance publique au niveau des banques et des politiques de l’emploi.

En France, il y a eu un ajustement de l’emploi à l’activité très rapide, qui a été anticipé par les entreprises dès l’été dernier. Les entreprises ont revu leurs budgets à la baisse. L’économie française est plus flexible, car elle dispose désormais de modalités et d’instruments puissants en ce sens : l’intérim (notamment dans l’automobile), les heures supplémentaires, qui n’incitent d’ailleurs pas à l’embauche, les ruptures de contrat à l’amiable mises en place récemment, les plans de départ volontaire.

Avec la crise, les enjeux des politiques de l’emploi ont changé mêlant le vieux et le neuf. D’un côté, on reprend les contrats aidés, dont l’efficacité est certaine, mais seulement à court-terme. De l’autre, on entend généraliser les contrats de transition professionnelle. Comment passe-t-on de l’ajustement immédiat à une véritable sécurisation des reconversions professionnelles ? Reste à savoir, comment les autres pays d’Europe vont faire face à des problèmes analogues.

Faut-il s’attendre à des restructurations en pagaille et à des délocalisations ?

Il faut différencier deux types de restructurations. Celles qui répondent à une recherche permanente de compétitivité via des restructurations récurrentes jouant sur les implantations géographiques, les réorganisations, la recherche, etc. Et les autres, car avec la récession forte reviennent les restructurations de crise. Il va y avoir un mélange des deux types.

Le premier secteur touché est le secteur bancaire et financier. Il y règne en France une certaine tradition de paix sociale permettant les mutations dans le calme. La phase de concentration va obliger ces institutions à assainir leurs bilans et à se restructurer en conséquence. Les Etats appuient les banques, et ce soutien fait débat en ce moment. Il faut s’attendre à voir l’Etat s’ingérer dans la conduite des restructurations bancaires.

Dans les autres secteurs, les défaillances d’entreprises vont se multiplier, à cause des pertes de marchés, des difficultés de liquidité et de solvabilité, avec la pression des créanciers. Les restructurations de compétitivité seront plus nombreuses. Et puis, il faut s’attendre aussi à des restructurations opportunistes. Tous les secteurs vont être touchés et procéder à des plans sociaux, ce qu’on appelle maintenant les plans de sauvegarde de l’emploi. Et ce, avec probablement des annonces au dernier moment, ce qui est contraire aux bonnes pratiques recherchées au cours des dernières années. Les partenaires sociaux doivent s’attendre à une relance sous pression des négociations sur ces sujets ! D’autant plus que l’ampleur et l’allure de la récession peuvent nous conduire à des baisses d’activité prononcées jusqu’en 2010.

L’Etat va user des vieilles recettes pour parer à l’augmentation du chômage, comme le recours aux pré-retraites. Comment va-t-il pouvoir les financer ?

Cest le financement de l’ensemble du système de protection sociale qui est concerné ! On va assister à un phénomène paradoxal : aujourd’hui, personne n’a plus confiance en la dette privée. Par contre la dette publique est devenue une valeur refuge. Les taux d’intérêts sur les bons du trésor sont au plus bas. Même ceux du Trésor américain et même si cela peut susciter à terme des doutes sur la soutenabilité des dettes publiques.

Les engagements virtuels pris par les Etats sont en effet élevés, à la suite des plans de sauvetage des banques. Mais l’interrogation demeure : les Etats sont-ils aptes à tenir leurs engagements ? Elle devrait être gardée à l’esprit.

La crise remet-elle en cause le modèle social européen que vous évoquiez ?

Les Européenns ont fait un véritable effort de convergence. Les modèles sociaux répondent à des principes communs que la méthode ouverte de coordination s’est efforcée de promouvoir et de renforcer au cours des années 1980.

Selon les objectif de la stratégie de Lisbonne, le taux d’emploi de l’UE devait atteindre 70% en 2010. La bonne conjoncture entre 2005 et 2007 allait en cette direction, mais la dégradation actuelle la remet en cause. Il faudra revoir les méthodes de gouvernance économique pour avoir prise sur les réalités sociales. Les Etats doivent montrer un engagement plus franc, se munir d’outils d’intervention communs pour exercer plus d’influence, sur le continent comme à l’extérieur. Ainsi les Européens ont de nombreuses voix au FMI, mais elles sont dispersées !

On entame probablement dans une période de rééquilibrage du marché unique et de l’intervention publique. L’exemple frappant, ce sont les mesures prises par l’Angleterre, on ne peut plus pragmatiques : c’est le pays où l’intervention publique dans la gouvernance bancaire est la plus affirmée !

Propos recueillis par Clotilde de Gastines

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