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Retour sur le fonctionnement de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde). Marie Becker, juriste au pôle emploi privé de la Halde, revient sur cette émanation de la directive européenne du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique.

 

En 2004, la France s’est doté d’un nouvel organe administratif de lutte contre les discriminations : la Halde. Comment fonctionne-t-elle ?

La Halde est une autorité administrative indépendante dont la mission est double. D’un côté, la direction juridique traite les demandes individuelles de particuliers qui s’estiment victime de discrimination. De l’autre, la direction pour l’égalité fait avancer le droit de la discrimination. Cette formule peut choquer, parce que dans le langage commun, la discrimination induit une pratique inégalitaire s’exerçant au détriment de quelqu’un. Mais au sens juridique du terme : « discriminer » consiste à définir entre des objets ou des individus une séparation et une différenciation selon des critères ou des caractères pertinents.

 

En interne, la direction juridique fonctionne en quatre pôles. Je m’occupe des demandes venant de l’emploi privé. Un second prend en compte les demandes issue de l’emploi public et observe la conformité des textes de lois. Le troisième département s’occupe de l’accès aux biens et services (logement, assurance). Enfin un pôle spécifique se consacre au handicap et à la santé.

 

Qui peut saisir la Halde et quel est son pouvoir véritable ?

N’importe qui peut saisir la Halde par courrier ou par téléphone, pour exposer ses problèmes. Au pôle emploi privé, nous traitons des demandes qui vont de la candidature au licenciement : l’embauche, les conditions de travail (rémunération, affectation, grossesse). L’instruction débute sur la base d’un dossier plus ou moins dense. Dans un cas d’embauche le dossier est mince. Nous disposons de l’annonce, du CV qui correspond au poste et de la notification d’un refus qui paraît sans fondement. Dès que la personne nous saisit, il faut trouver où le bât blesse. La plupart du temps, c’est le patronyme étranger ou l’origine ethnique qui motive le refus.

 

Le pouvoir de la Halde, c’est son pouvoir d’enquête. Lors de l’investigation nous avons accès à des pièces qui restent confidentielles. Nous rassemblons un faisceau de preuves et d’indices, établissons une chronologie des faits. L’instruction se déroule par écrit. La Halde demande des documents à l’employeur : contrat de travail, bulletin de paie, dossier du personnel, des éléments concernant les autres employés servant de comparaison. Dans le cas d’une salariée qui s’estime flouée parce qu’elle n’a pas eu d’augmentation, l’employeur peut ou non apporter des éléments précis, infirmant le critère discriminatoire.

 

Comment aboutit cette enquête la plupart du temps ?

En matière de refus d’embauche, le contentieux ne passe pas devant la juridiction prudhommale. Dans d’autres cas, si la discrimination est démontrée, on peut aller jusqu’en transaction pénale. L’enquête peut également mener à une simple recommandation à l’employeur et à un compte-rendu, ou à une demande de réparation du préjudice subi.

 

L’enquête reste confidentielle. La personne qui s’estime victime n’a pas accès aux pièces de son dossier, sauf si la Halde présente des observations, ou lance une procédure, la victime a alors accès à certaines pièces justificatives. La Halde peut saisir la justice pénale, voire aller directement en correctionnelle. Dernièrement, une boulangère qui avait clairement expliqué au conseiller de l’ANPE que la couleur de peau de la candidate au poste de vente ne convenait pas à sa clientèle du 6ème arrondissement, est passée en citation directe et a été condamnée. 

 

Pourquoi saisir la Halde au lieu de passer par les juridictions traditionnelles ou par la médiation des représentants salariaux ?

Le pôle emploi privé de la Halde est souvent saisi parallèlement à la justice, surtout lorsqu’il s’agit de personnes qui se voient reprocher leur activités syndicales ou quand une personne est licenciée, pour une grossesse ou en retour de congé maternité. En France, le recours devant les prudhommes est immédiat, mais la décision est souvent tardive. En 2008, le nombre de femmes qui ont saisi la Halde à leur retour de congé maternité a été multiplié par cinq !

 

La Halde met également en place un service de médiation. Qu’un recours soit engagé ou non, elle fait appel à un médiateur extérieur, souvent un avocat. La médiation est très rapide, elle dure en principe trois mois, mais elle peut être reconduite. Cette solution est tout à fait adaptée pour les seniors par exemple. Une personne de 57 ans que son employeur met sous pression, ne peut pas vraiment se permettre d’entrer en conflit ouvert en allant devant la justice prudhommale, c’est trop long et trop risqué, elle ne trouvera plus de travail après. La médiation permet de régler le conflit à l’amiable. Ces discussions sont confidentielles, La Halde n’a accès qu’aux conclusions.

 

Quel est le bilan de la Halde après ces quatre années d’exercice ?

En 2007, 7933 réclamations ont été adressées au service juridique. Un tiers concernait emploi privé, 16 % l’emploi public, à cela s’ajoutait les demandes adressées par les personnes handicapées ou malades victimes de discrimination au travail.

Tous les dossiers sont traités à Paris, mais la Halde s’appuie à présent sur un réseau de délégués régionaux couvrant l’ensemble du territoire pour faire connaître la Halde et ses missions aux citoyens. Certaines régions disposent de véritables agences : dans les DOM TOM, dans le Nord et en région Provences-Alpes-Côte d’Azur. Elles émanent de la structure qui précédait la Halde : le GELD (groupe d’études et de lutte contre les discriminations). On pouvait appeler le Geld au 114. Cette ligne avait vocation à recueillir le signalement d’une discrimination, raciale le plus souvent. Un signalement était envoyé aux Préfectures. Nous avons cependant quelques incertitudes face au projet concentration des structures, avec la mise en place du Défenseur des droits fondamentaux, qui réunirait le Médiateur de la République, la Défense des enfants.

 

Au niveau européen notre réseau s’étoffe également. Nous échangeons régulièrement sur nos pratiques et nos bilans bien que tous les pays ne soient pas tous autant avancés dans le droit de la discrimination. Le Royaume-Uni fait figure de précurseur depuis le Sex Discrimination Act de 1975, tandis que les nouveaux entrants sont encore à la traîne. L’Union Européenne a eu un rôle primordial. Elle a d’ailleurs repris la nuance britannique entre discrimination directe (avérée, liée à des critères subjectifs, aux stéréotypes) et indirecte qui prend en compte les pratiques et les procédures, qui aboutissent à des désavantages significatifs. Cette discrimination indirecte fait abstraction des intentions de l’auteur, elle se concentre uniquement sur la mesure des résultats. La reconnaissance de la discrimination indirecte permet un rééquilibrage de la charge de la preuve. Par exemple, face à une victime qui dénonce une différence de traitement, le juge pourra conclure à une discrimination si cet écart effectif est sans fondement recevable. C’est la plus grande avancée de ces dernières années.

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