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par Hélène Zwick

Contrainte d’adopter une approche verticale de l’immigration légale -il n’existe pas de consensus entre Etats membres sur l’immigration de personnes peu ou pas qualifiées-, l’Union européenne finalise sa première initiative spécifique portant sur l’immigration économique de ressortissants de pays tiers à des fins d’emplois hautement qualifiés.

carte bleue

La carte bleue européenne est une autorisation permettant à son titulaire de résider et travailler légalement sur le territoire de l’UE et de se rendre dans un autre Etat membre (EM) pour y occuper un emploi hautement qualifié, conformément aux dispositions définies par la directive. Sa validité est
de trois ans, renouvelable une fois pour 2 ans. La procédure de consultation du Parlement européen a notamment souligné :

– une frilosité d’accepter des travailleurs (hautement) qualifiés, non diplômés : cinq années sont requises par les députés pour définir une personne hautement qualifiée sur la base de son expérience professionnelle ;
– un critère salarial excessivement restrictif -1,7 fois le salaire moyen du salaire requis- et qui ne comble pas les différences structurelles de rémunération entre Etats membres ;
– une approche partielle du codéveloppement : les principes d’une migration circulaire et d’un recrutement éthique ont été jetés, mais quid des transferts de fonds notamment, canal de transmission important entre migrants et pays d’origine ? ;
– un caractère hybride durable : les Etats membres conservent leur capacité d’admettre ou non un candidat à la carte bleue, en fonction de la situation du marché du travail national.

Juxtaposition des systèmes nationaux et européen : le choix des migrants biaisé ?

En dehors de l’espace Schengen, le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark exerceront leur droit d’opting-out. La compétition pour les talents interne à l’UE est farouche : le système de sélection britannique est le plus efficace. Aujourd’hui en réforme, il correspondra dès 2009 à un système par points sans quota décliné en cinq niveaux, dont le premier traite des conditions d’entrée et de séjour des individus (hautement) qualifiés. Le Royaume-Uni a bouleversé sa politique d’attraction des talents en 2002. La carte bleue européenne ne lui apporterait pas grand-chose. Quant à l’Irlande et au Danemark, ils continueront d’appliquer en priorité leurs propres systèmes : Irish Green Card pour l’un et Danish Green Card pour l’autre.

La plupart des autres Etats membres disposent également de dispositifs spécifiques. Or la directive européenne ne permet pas d’offrir des conditions d’admission au marché du travail plus favorables au niveau national : la réglementation belge ne tient pas compte de l’expérience professionnelle et le critère salarial est plus souple ; l’Allemagne tente de freiner le processus, son seuil salarial est plus restrictif et le gouvernement refuse de prioriser l’initiative européenne -la formation des travailleurs en interne devant être prioritaire sur un recours à l’immigration de ressortissants des pays tiers-, etc. Les systèmes nationaux doivent-ils ou non se conformer au système européen ?

Le poids de l’auto-sélection : une capacité limitée de l’UE de modifier la structure par qualification de l’immigration

A long terme, les études économiques montrent qu’une sélectivité accrue dans la politique européenne d’immigration devrait modifier la structure par qualification des flux d’immigration, mais des forces contraires, en l’occurrence les liens coloniaux, la taille du marché, la distance et les perspectives de rémunération continueront d’attirer une population non ou peu qualifiée qu’il faudra bien, à un moment donné, accepter et décider de gérer. La marge de manœuvre de l’UE reste par conséquent relativement faible.
Une politique d’immigration sélective ne peut se dissocier d’une politique d’intégration des migrants : les Etats membres ne sont pas efficients dans la reconnaissance et la valorisation des connaissances et compétences de leurs immigrants déjà installés.

C’est paradoxalement sous la présidence tchèque, qui a dénoncé très tôt la prolongation des restrictions transitoires à l’égard des ressortissants des nouveaux Etats membres, que l’initiative européenne devrait aboutir.

Hélène Zwick, doctorante à Confrontations Europe, a été publiée par Fenêtre sur l’Europe

Réaction de Michel Patard

Est-ce une gestion d’emplois kleenex ? Le titulaire (et sa famille) perd le « bénéfice » de la « carte bleue » après six mois de chômage. Certes, la position du Parlement Européen est une avancée par rapport à celle du Conseil puisque ce dernier prévoyait la perte de la « carte bleue » dès trois mois de chômage.

Il n’en reste pas moins que, que cela soit trois ou six mois, on est très en dessous de la durée de chômage existant en Europe pour un cadre (au dessus de 1,7 fois le salaire moyen, cela concerne très majoritairement des cadres). La durée de chômage en Europe se situe, pour un cadre, en moyenne entre dix et quatorze mois suivant les pays.

En limitant le « bénéfice » de la « carte bleue » même à six mois de chômage, le texte ne permet pas raisonablement à un non ressortissant de l’UE de retrouver un emploi. Cela donne à cette directive, en son état actuel, un côté gestion d’emplois « kleenex ». Comme l’a chanté Lavilliers, « quand on a pressé le citron, faut jeter la peau ». Car dès lors qu’un non ressortissant de l’UE ne bénéficie plus de la « carte bleue », il devient expulsable et tombe sous le coup de la directive « retour ».

Cette insuffisance de la prise en charge du chômage en fin de contrat a été largement dénoncée à la fois par la CES (résolution des 5 et 6 décembre 2007) et par EUROCADRES (position on blue card du 12 février 2008). 

Michel Patard est responsable des questions internationales de l’UGICT-CGT, trésorier et membre du Présidium d’EUROCADRES

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