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par Thomas Schnee, Berlin, Thomas Schnee

« Aujourd’hui encore, le travail salarié classique, c’est-à-dire une activité professionnelle à plein temps exercée dans un cadre légal et normé, ainsi que l’objectif du plein emploi, reste le modèle dominant des principaux partis politiques allemands en matière de travail », estime l’historien Ruddolf von Thadden.

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Pourtant même si cette représentation « officielle » se maintient en toile de fond dans le discours politique, les conceptions des partis se sont fortement modifiées sous le coup de la crise et de la mondialisation. Le chômage de masse des années 90 a conduit à provoquer une dérégulation progressive du marché de l’emploi et à un morcellement, certains parlent de « partage », d’une partie des emplois disponibles. Au tournant du siècle, l’emploi à plein temps n’est déjà plus à l’ordre du jour. La préoccupation des politiques est alors de sauvegarder l’emploi, coûte que coûte et quelle qu’en soit la forme. C’est ce qu’explique Gerhard Schröder en 2003, lorsqu’il présente les « lois Hartz », ses fameuses réformes du marché de l’emploi : « Ce qui est social, c’est ce qui crée du travail », annonce-t-il alors à la tribune du Bundestag. L’image unitaire et réglée du travail disparaît ainsi quasi-officiellement. Au moins pour un temps.

7 millions de bas salaires

Seules la gauche communiste (PDS), une partie du SPD et le monde syndical refusent cette vision. Celle-ci sous-entend certes que le droit au travail est un droit universel, mais que n’importe quelle activité salariée est un travail, quelque soit le volume d’activité proposé et le salaire versé. Les lois Hartz et la flexibilisation de la législation du travail (par ex. l’allègement de l’autorisation de licenciement) conduisent ainsi à l’explosion du nombre d’emplois à temps partiel et à bas salaires. Aujourd’hui, l’Allemagne en compte plus de 7 millions sur une population active d’environ 40 millions de personnes.

Cette stratégie a permis d’endiguer partiellement le chômage sans toujours créer des emplois durables. Mais elle a aussi entraîné l’érosion des classes moyennes et une forte augmentation du niveau de pauvreté. En 2009, 14,2 % des Allemands vivent sous le seuil de subsistance minimum reconnu par l’OCDE. Malgré cela, la droite conservatrice et libérale s’accroche à la définition lancée par Schröder, le social-démocrate. Au lendemain de son élection, en 2005, Angela Merkel reprend mot pour mot la phrase de son prédécesseur. Et le 1er mai dernier, c’est Ronald Poffalla, secrétaire général du parti démocrate chrétien, qui persiste et signe : « Le travail pour tous est la base de l’égalité. Le travail donne du sens à la vie et permet non seulement la réalisation personnelle mais l’engagement dans la société, explique-t-il. C’est pour cela que l’idée que « ce qui est social, c’est ce qui crée du travail » reste une valeur centrale de la CDU. On ne doit pas laisser de chance à tout ce qui menace, empêche ou limite le travail ».

Campagne pour le travail décent

Paradoxalement, alors que la droite reste fidèle à Schröder, la gauche, c’est-à-dire le SPD, les écologistes et Die Linke, a pris ses distances et veut revenir à l’idée que le travail doit garantir non seulement la subsistance mais aussi la dignité humaine. En fait, ce sont les syndicats allemands, qui impulsent ce tournant et lancent la bataille contre l’emploi précaire : « Le développement des secteurs à bas salaires ne peut être stoppé sans la garantie légale d’un salaire minimum universel », estime Rudolf Hickel, professeur en sciences économiques à Brême, proche des milieux syndicaux. En 2007, la confédération des syndicats allemands (DGB) lance donc la campagne « Gute Arbeit » (bon travail), en faveur d’un salaire minimum légal universel et de l’amélioration des conditions de travail. L’idée est vite reprise et défendue agressivement par le SPD et Die Linke. Résultat, le débat sur la notion de « travail » sera un des principaux débats de la campagne électorale pour les élections générales de septembre prochain.   

 Photo : « Salarié, mais pauvre »

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