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Pour Philippe POCHET, directeur de l’Institut Syndical Européen, l’économie verte ne doit pas engendrer un nouveau type de pauvreté.

Cols verts

Aussi faut-il envisager deux dynamiques qui se chevauchent et s’enchâssent : le temps des évolutions technologies et celui des évolutions comportementales. Tout d’abord, engager de profondes mutations technologiques pour adapter nos modes de production, dans un deuxième temps, promouvoir une modification des comportements, dont le préalable est l’adhésion du plus grand nombre.  

Comment appréhendez vous la transition vers l’économie verte en Europe ? Comment faire pour que les restructurations ne soient pas trop douloureuses ? 

Une première transition technologique peut être très rapide. Les secteurs émergents vont assurer la création d’emplois verts dans les nouvelles énergies, l’isolation, les transports, le recyclage, … Tandis que des pans entiers de notre économie vont subir des mutations à commencer par l’automobile. Nous allons assister à un déplacement d’activité. Comme dans les années 1970-1980 avec le démantèlement de la sidérurgie, la crise ne rend ces mutations que plus urgentes et son anticipation et son accompagnement social doivent être au niveau des changements en cours. 

Nous devons réduire nos émissions de CO2 de 20% d’ici 2020. Ce devrait assez simple pour le consommateur moyen. Les 20 premiers pourcents sont en effet les plus faciles à réaliser. On va changer nos ampoules qui mettront quelques secondes de plus à l’allumage, on installera des éoliennes, mais il y aura une limite : au bout de la 50 000ème, il y aura probablement un débat sur la préservation du paysage. 

Ce sont des objectifs de progrès de première génération. Mais les exigences de 2020 ne suffiront pas. Il faudra réduire de 20% chaque décennie jusqu’à 2050. Nous ne pourrons continuer sur ce même type de croissance si nous voulons réduire les émissions de 80% en 2050. La réduction des consommations d’énergie et les émissions de CO2 doit aussi tenir compte de l’augmentation  de la population. Si nous sommes plus nombreux à consommer, alors on n’aura rien réduit. 

Quels seront les objectifs de seconde génération, s’obliger à la frugalité, renoncer à son confort matériel ?  

Nous continuerons quelques temps sur ce mode de vie, mais il faut d’ores et déjà penser à la suite. Ce qui signifie renoncer aux objets jetables, considérer les biens moins en terme de possession que de services, comme les voitures partagées par exemple.

Il faut envisager une prospérité sans croissance, du moins dans son approche quantitative. Il faudra définir collectivement  le sens d’une croissance qualitative. Repenser la consommation, ce sera aussi rouvrir le débat sur l’aménagement du temps de travail au cours du cycle de vie. 

Le terme de frugalité est inadéquat mais il pose la question du bien-être social. Il y a déjà un débat en France aujourd’hui autour des indicateurs du bien-être social. Ils montrent sans équivoque un sentiment dominant en Europe qui estime que la croissance s’est accompagnée d’inégalités croissantes.

Il faut y réfléchir à ces questions collectivement. Ça ne marchera que si nous (re)devenons une société plus égalitaire. Ma thèse est précisément que redéfinir la justice sociale dans une société pauvre en carbone, c’est le préalable au changement de nos modes de vie. La question écologique est avant tout une question sociale.

Les mutations technologiques, économiques et agricoles auront aussi des coûts. Pour l’instant le bio est réservé à ceux qui peuvent le payer. Si on demande aux citoyens de changer de comportement sans offrir d’alternatives abordables, ils risquent de tomber dans la pauvreté verte (qui se traduira par des consommations de moindre qualité). Et on peut imaginer l’ampleur du refus que de telle pression susciterait. Le consensus social autour des questions environnementales est essentiel, c’est pourquoi la réflexion en deux phases qui se chevauchent est intéressante. On ne peut pas exiger le changement de comportement immédiat, car on aura que 5% de convaincus et on ne gagnera jamais la bataille des mutations économiques et comportementales. Si on commence par changer les modes de production, les nouveaux modes de consommation gagneront la majorité des gens.   

On assiste à une prise de conscience au niveau international. Mais a-t-on la capacité politique de promouvoir cette croissance vertueuse ? 

Nous n’avons plus le choix ! On ne peut pas prendre le risque de passer outre les avertissements des scientifiques du GIEC. Le changement climatique est maintenant une évidence scientifique, ce n’est plus une option parmi d’autres. 

Quelles sont les perspectives de discussions du Sommet mondial sur l’environnement de Copenhague notamment ?

A Copenhague, les USA prouveront qu’ils ont changé de cap. Les USA sont dans la première phase de transition qu’on peut appeler « capitalisme vert ». Obama a une vision claire de l’environnement. Le leadership nord-américain est unifié (même si leur société reste divisée), ce qui n’est pas le cas en Europe. Notons que parmi les stratégies de relance face à la crise, celle de la Corée du Sud est la plus verte. Preuve que l’Occident qui se dit leader peut apprendre des pays émergents.

Ça n’a pas de sens de miser sur une compétitivité verte car le problème est global et non local. Il faut déjà penser à transférer les technologies vertes dans le monde entier. Cela va poser des problèmes de droits de propriété intellectuelle, c’est déjà un enjeu de taille.

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