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Vu du reste du monde, l’UE apparaît comme un espace unique en son genre. L’alternance entre périodes travaillées et périodes de repos permet de ménager de vrais temps de détachement du travail.

 

JYB article 2

Les salariés européens bénéficient de 4 et 6 semaines de congés payés par an. C’est deux fois plus que dans les autres pays développés (USA, Canada, Japon, Australie, Nouvelle-Zélande). Dans les pays qui n’ont pas encore réellement « décollé » économiquement l’alternance entre périodes de travail et périodes de repos est généralement ignorée, tandis que les pays émergents commencent tout juste à octroyer quelques jours de congés annuels.

Bien sûr, ces données globales qui réfèrent à des régulations d’origine législative ou conventionnelle, mériteraient d’être nuancées en fonction des catégories sociales, du genre, de l’âge, de l’ancienneté, du statut d’emploi. Ainsi, parce qu’elles travaillent plus souvent à temps partiel, les femmes bénéficient de moins de congés payés, tandis que les salariés précaires, ceux qui empilent les jobs en intérim ou ceux qui sont en CDD ne bénéficient pas des mêmes droits que les salariés en CDI et à temps plein. L’ancienneté, voire l’âge (cf la Hongrie), sont également facteurs d’accroissement du nombre de jours de congés payés dans nombre de pays. Par ailleurs, au sein même de l’UE, ainsi que le montrent les statistiques européennes, les disparités demeurent fortes puisque le nombre de jours octroyés varie de 20 à 30 jours annuels. Si grâce au nombre de jours fériés la Finlande tient la corde, la France a connu – et connaît encore, mais pour combien de temps ?  – un état de grâce avec l’ajout de jours RTT liés aux 35h, tout au moins pour ceux qui sont aux 35h.

Indépendamment de ces disparités, il reste que l’UE, anciens et nouveaux membres confondus, se distingue des autres parties du monde en ce qui concerne le nombre de jours de congés payés. Même si les pratiques de prises de congés évoluent, notamment dans le sens d’un fractionnement dont le résultat est la substitution partielle de petites périodes de congés, voire de week-end prolongés, aux grandes plages de ruptures, l’UE se caractérise par une assez longue période de « vacance » estivale. Cette période, qui débute à la mi-juin dans les pays du nord de l’Europe et se termine à la fin août pour ceux du sud, est marquée par de fortes migrations territoriales internes à chacun des pays et internationales, ces dernières étant stimulées par une forte tendance à l’héliotropisme. Durant cette période, les Européens prennent entre deux et quatre semaines de congés de façon continue, avec une moyenne située à trois semaines.

La construction de ce modèle d’alternance entre travail et loisir doit plus à une conception culturelle du temps et à sa traduction sociale qu’à la construction européenne. Certes, la directive européenne sur la durée et l’aménagement du temps travail (1993) stipule que les salariés doivent bénéficier d’un congé annuel minimal de quatre semaines, mais lors de son adoption, tous les pays de l’UE (15 pays) avaient déjà atteint ce seuil minimal. Toutefois, cette directive a pu avoir un impact pour les nouveaux entrants.

Retour aux sources 

C’est entre les deux grandes guerres du début du 20ème siècle que ce modèle des congés annuels s’est constitué avec les premières conventions collectives de branche ou d’entreprise accordant des jours voire des semaines de congés payés. Cette période a été décisive au regard de la régulation du temps de travail, qu’il s’agisse de la durée quotidienne (journée de 8h), hebdomadaire (semaine anglaise) ou annuelle. En France, le Front Populaire accordera, par voie législative, deux semaines de congés payés, tandis que très rapidement après la seconde guerre, nombre de pays verront fleurir les conventions collectives attribuant trois puis quatre semaines de congés payés. Ainsi, la troisième semaine de congés payés a vu le jour chez Renault, par accord d’entreprise avant d’être généralisée par l’Etat. Si ce dernier a joué un rôle décisif en France (1936, 1956, 1969, 1982), il a été moins présent dans les autres pays européens où les avancées ont été réalisées essentiellement par voie conventionnelle.

Cette alternance entre périodes de travail et périodes de repos trouve en réalité ses racines dans les traditions de l’Europe rurale où l’on avait pour coutume de cesser le travail après les chaumes (d’où l’origine du terme moderne de chômage). L’industrialisation à marche forcée du XIXème et du début du XXème siècle a fait émerger des préoccupations d’ordre social et hygiéniste dans le sens d’une réduction du temps de travail. Assez curieusement, une des voies choisies en dehors de la réduction quotidienne, a été opérée par mimétisme avec la classe oisive, cette fameuse « classe de loisirs » si bien étudiée par Veblen. Cette dernière était en effet habituée aux transhumances saisonnières vers les rivages, la montagne ou les forêts et avait stimulé le développement des liaisons terrestres, d’abord en diligence puis en train. La littérature européenne du XIXème siècle mais également des siècles précédents (cf. La trilogie de la villégiature de Goldoni) est pleine de récits de ces déplacements, alternance entre vie oisive à la ville et vie oisive au bord de la mer ou à la campagne (voir par exemple la Cerisaie de Tchekhov).

Ce modèle d’alternance, déjà en vigueur dans la Rome antique a, nous semble-t-il, été structurant de l’invention des congés payés par le modèle industriel fordiste européen. Ce dernier, venu des USA n’a pas engendré outre-atlantique, le même rythme bien qu’un débat sur l’opportunité et les modalités de la réduction du temps de travail y ait fait rage durant les années 1920 et jusqu’au milieu des années 1930. Mais les traditions culturelles y étaient bien différentes…

 

 

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Sociologue dans le champ du travail et de l’emploi, sur les thématiques du temps et des temporalités de la vie quotidienne appréhendées notamment au prisme des relations sociales.

J’ai mené de nombreux travaux comparatifs sur les questions de temps de travail, à l’échelle principalement européenne mais également au-delà pour des institutions Françaises (ministère du Travail, etc.) et Européennes (Eurofound, etc.)

Aujourd’hui Vice-Président en charge de la recherche et de l’international de Tempo Territorial (Réseau national des acteurs des démarches temporelles), je suis également membre d’autres réseaux internationaux et nationaux sur les questions de temporalités (Séminaire International sur le Temps de Travail, International Association for Time Use Research, etc.) et de plusieurs comités de rédaction de revues (Transfer, Futuribles, Temporalités, METIS).