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par Dominique Charvet

De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace. La parution du Livre Vert de Martin Hirsch sur la jeunesse ouvre le débat sur les 57 mesures pro-jeunes : allocation-emploi, logement, éducation. Dominique CHARVET porte un regard critique sur ce Livre Vert et sur le traitement de la question « Jeunes » en France.

 

Shadok

Refonder la politique des 16-25 ans, c’est la mission de Martin Hirsch, Haut commissaire aux Solidarités actives et à la Jeunesse. Les chiffres sont alarmants. Un Français sur dix est jeune. Un jeune sur quatre est au chômage. Les jeunes sont deux fois plus pauvres que le reste de la population. Et tous les ans, 120 000 jeunes de 16 ans sortent du système scolaire sans diplôme ni qualification.

 

Le Livre Vert propose des déclarations de principe et des pistes d’amélioration de la situation des jeunes auxquelles, pour la plupart, on est enclin à adhérer plutôt qu’à les écarter. D’autant que le ton révèle une réelle empathie pour la jeunesse. Mais l’ensemble procure davantage le sentiment d’une accumulation de réponses que celui d’une formulation claire de la question. De sorte que si l’on ne peut être réservé sur les mesures, on n’est pas pour autant rassuré sur le point suivant : ces actions touchent-elles au fond de la problématique, qui n’est autre que celle des choix – intergénérationnels – de société,  ou seulement aux « problèmes » du moment, auxquels d’autres problèmes succéderont ?

 

En long, en large et de travers

Certes, la démarche signale le choix de remettre la question de la jeunesse sur les tablettes du pouvoir politique et elle peut se traduire par un calendrier d’actions dans le cadre d’une loi de programmation. 

 

Mais l’approche a souffert de deux limites. La première est celle de la brièveté du temps alloué à sa conception, qui a empêché que la réflexion aille plus loin que l’objet jeunesse – même avec la qualité du document de cadrage d’Olivier Galland (auteur des Jeunes, réédité 5 fois) – et donc de placer cet objet dans le contexte large de la société et long de l’avenir. La seconde tient à la composition de la commission en quelque sorte trop professionnelle, trop compétente si l’on peut dire, dont les 80 membres étaient porteurs de produits « tout faits » tant au niveau des questions que des réponses. L’écriture en porte témoignage. On y trouve l’évocation de tous les principes aujourd’hui admis, comme la richesse de la jeunesse, son autonomie, la priorité du droit commun. Ils ne sont pas pour autant approfondis, si bien qu’on en arrive à des contradictions : par exemple, avec la proposition d’un accompagnement systématique quand il y a allocation, qui met à mal l’idée d’autonomie.

 

Le rapport ne comporte pas de grand renouvellement par rapport à des exercices précédents et récents, comme le rapport du Conseil Economique, Social et Environnemental publié en 2008 sur le « Bilan de 25 ans de politique d’insertion ». Le Livre Vert ne tient pas la promesse de son avant-propos selon lequel il faut compter sur les jeunes pour « transformer le moule » de notre société. Le pouvait-il, dès lors qu’il n’a pu se donner le temps de l’interrogation sur les rapports de force, sur les modèles  qui font frein au changement, à l’innovation sociale, ou qui au contraire les facilitent ?

 

Volontarisme politique (é)rôdé

Traiter de la jeunesse, c’est traiter tout à la fois d’éducation et d’insertion. Dès lors, on ne peut se passer d’interroger les structures sociales profondes qui conditionnent l’une et l’autre. Et non seulement de les évoquer, comme le fait le texte de cadrage  du Livre Vert. Dans un ouvrage collectif  récent (Devenir adulte aujourd’hui, L’Harmattan, 2006), Claire Bidart, sociologue au Laboratoire d’Economie et de Sociologie du Travail (LEST),  procède sur cette question à des comparaisons internationales : on voit bien que des paramètres culturels ou anthropologiques sont à l’œuvre. Ils façonnent des modèles de parcours différents entre Europe du Nord et Europe du Sud, entre catholiques et protestants.

 

La France est dans un entre-deux, comme on le constate quand on regarde les tableaux comparatifs des parcours des jeunes. Dans notre pays,  il n’y a pas de véritable prégnance de l’un ou l’autre des modèles. Nous ne choisissons pas, et la formule de Jean-Baptiste de Foucauld, ancien commissaire au Plan, auteur d’un rapport sur l’allocation d’autonomie en 2002, est belle, selon laquelle « Nous rêvons du modèle suédois avec l’individualisme français et les impôts américains » (interview publiée dans Le Nouvel Economiste, n° 1479, 4-10 juin 2009).

           
S’il y a eu, chez nous, une structuration de la pensée sur la jeunesse, il me semble qu’elle vient le plus souvent d’un volontarisme exprimé dans la sphère politique. La création de l’Instruction Publique est le fruit du combat contre l’Eglise et la « Réaction » pour implanter la République et faire de notre pays une grande puissance, de même que dans cette fin du XIX° on prépare la jeunesse d’abord à la Revanche de 1870.

 

Et il en va souvent de même au long des temps, que l’on pense à la Révolution Nationale de Pétain ou à l’ordonnance de 1945 sur la jeunesse délinquante où il est explicitement dit que la République a besoin de tous ses enfants pour se reconstruire. Les efforts pour la scolarité dans les années 60 ont aussi pour ressort la crainte de la sous-qualification de la main- d’œuvre, et donc de la perte de compétitivité.

 

Dès lors, nos politiques publiques sont sans doute fragilisées quand il n’y a plus de projet politique partagé. Les batailles idéologiques dont fait l’objet l’enseignement, 1) entre « républicains » et « pédagogues » 2) entre sanctuarisation du savoir et rapprochement avec le monde économique, sont de ces freins qui nuisent à une mobilisation et à un élan collectif pour l’éducation et finissent par faire de critères quantitatifs les principaux critères d’allocation de moyens. Comme la réalité de l’échec est quand même là on essaie, aux marges, de sauver les meubles avec les « classes prépa intégrées » et les « micro-lycées ».

 

Le politique n’a adopté aucun positionnement clair qui puisse constituer un levier de basculement vers d’autres logiques. Il faut tenir à cette continuité de l’éducation qui est un outil permettant d’interroger la formation initiale sur sa capacité à « apprendre à apprendre » mais aussi le fonctionnement d’un certain nombre de grands lieux et moments de l’éducation informelle, comme l’entreprise ou les médias.

 

Des mouvements bien plus profonds sont à l’œuvre. Si l’on en croit l’ouvrage très convaincant de Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet et Dominique Ottavi (Les Conditions de l’éducation, Stock Essais, 2008), ces mouvements n’affectent plus seulement le contenu, l’orientation ou la distribution des savoirs, mais leur légitimité même, tant du fait de la crise de la tradition que de l’émergence de l’affirmation du « naturel » contre le construit.

 

Jeunes: le droit d’avenir « partagé »

L’utopie de la formation tout au long de la vie pour affronter la société de la connaissance, qui avait été le fil directeur des travaux de la Commission du Plan « Jeunes et politiques publiques », que j’avais présidée en 2001, est-elle finalement usée avant d’avoir servi ? Il est vrai qu’elle a été en quelque sorte débitée par petits morceaux à travers des mesures ou des programmes partiels égrenés au fil des années. Il est possible qu’un autre ressort, tel le développement durable, soit plus enthousiasmant et plus lisible en termes d’effets concrets pour nous mettre en mouvement. Mais le principe est toujours celui d’un engagement ayant la forme de l’avenir pour enjeu.

 

Pour créer un dynamisme, il faut créer du « partagé ». Il faut défendre l’idée, que nous avions soutenue dans notre rapport  (Jeunesse, le devoir d‘avenir, 2001, La Documentation française), du droit identique pour chaque jeune à une allocation égale. Le droit ayant déjà par lui-même pour effet de créer de l’individuel, il faut qu’il soit commun pour refaire du lien entre les jeunes, comme entre ceux-ci et les acteurs sociaux. La plus grande égalité dans ce droit est nécessaire pour qu’il donne de l’identité collective qui est un peu un passage obligé avant la démarche d’individualisation.

 

Et il faut effectivement de la responsabilisation, et non de la tutelle quelle que soit sa bienveillance, sinon tout le propos sur l’autonomie tombe à plat. Sans doute sommes-nous en train de passer du principe de solidarité au cœur de l’ Etat-Providence à celui de la liberté dont se prévaut l’Etat libéral.  Il faut prendre notre époque au mot et à ses logiques, si l’on en croit l’offensive dans le domaine du droit pénal où la notion de mineur se voit de plus en plus privée de sens au motif que la jeunesse a changé. Ne doit-il pas en aller de même pour la jouissance des droits ?

 

Le pire aujourd’hui est l’agglomérat de logiques et de systèmes qui rappelle cruellement le traitement de la pauvreté au début des années 80. Entre la crainte de développer l’assistanat – aujourd’hui plus inhibant encore – et l’incapacité d’organiser des coordinations – vieille antienne du travail social -, on était ligoté. Peut-on faire simple et pédagogique avec une allocation unique ? Comme lorsque Rocard a tranché le nœud gordien avec le RMI.

 

Le politique doit être invité à avoir ce même type d’audace pour oser de nouvelles logiques pour traiter, sur le fond, la question de la jeunesse .

 

 

Repère : les jeunes en France
Les 16-25 ans : 6 millions de personnes
Taux de chômage : 22,7 % (premier trimestre 2009)
Sur un bassin d’emploi de 100 000 personnes : 3500 jeunes en difficulté.
Taux de pauvreté deux fois plus élevé chez les jeunes que dans le reste de la population
Délai moyen pour avoir un CDI : 7 ans
Décrochage à 16 ans : 120 000 jeunes par an

 

Dominique Charvet est décédé le 25 octobre 2009

Magistrat à la retraite depuis 2008, co-fondateur du Syndicat de la Magistrature (en 68), conseiller de la présidence de Djibouti (rédacteur de la Constitution), conseiller du ministre de la Culture (Jack Lang), directeur de la Réunion des Musées Nationaux, président de la Mission interministérielle de lutte contre les toxicomanies, directeur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse au ministère de la Justice, président de Chambre (affaires sociales) à la Cour d’Appel de Paris, lorsque le gouvernement lui avait demandé de présider la commission du Plan « Jeunes et politiques publiques »), président de la Cour d’Appel de Bastia, président de la Cour d’Appel de Chambéry

DE FOUCAULD, Jean-Baptiste, Nicole Roth et LA COMMISSION NATIONALE POUR L’AUTONOMIE DES JEUNES, Pour une autonomie responsable et solidaire : rapport au Premier ministre, la Documentation Française, Paris, 2002, 224 pages.

O. Galland, 2008, « Les jeunes et la société : des visions contrastées de l’avenir », Les jeunesses face à leur avenir, une enquête internationale, A. Stellinger (dir.), Fondation pour l’innovation politique, p. 25-53

Un Livre vert pour une nouvelle politique en faveur de la jeunesse

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