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L’expérimentation du Contrat de Transition Professionnelle dure maintenant depuis 3 ans. Cette Rolls du reclassement des chômeurs se limite toujours à une vingtaine de bassins d’emploi. Faudrait-il l’étendre à tous les salariés français comme le préconise le président du Sénat Gérard Larcher ?

 

Escale à Morlaix, 17 000 habitants, 830 CTPistes, un bassin d’emploi sinistré. Les personnes victimes de licenciement économique à Morlaix viennent toquer depuis 2006 à la porte d’un ancien logement ouvrier, mitoyen de la manufacture de tabac.

 

En ce mois de juillet, au deuxième étage, les parquets craquent sous l’appréhension de la rentrée. « Ça va être rock n’ roll » craint Marie-France Rolland, chef de projet du contrat de transition professionnelle à Morlaix. Elle n’a pas ménagé ses efforts pour la reconversion de 355 personnes grâce au dispositif CTP, un accompagnement renforcé pour licenciés économiques (d’entreprises de moins de 1000 salariés) qui couple formation/reconversion et indemnisation à 100% du salaire net sur un an.

 

Le CTP de Morlaix affiche 68% de reconversions réussies, contre 37% pour un accompagnement classique. « Au premier semestre 2009, nous avons réussi 67 placements durables malgré la crise ». Mais, loin de se gausser de ces résultats cette Bretonne bon teint tient bon la barre : « il faut sortir les gens du pétrin, être à l’affût de toutes les offres d’emplois, des possibilités de reconversion pour nos CTPistes ».

 

Neuf référents accueillent les licenciés économiques. Ceux qui signent un CTP s’embarquent pour un an et continuent à percevoir 80% de leur salaire brut antérieur. En bout de parcours, c’est pourtant la qualité de l’accompagnement que les CTPistes mettent en avant. « Un référent suit en moyenne 30 personnes. Au départ, nous n’étions que quatre. Deux venant de l’Afpa (Association pour la formation professionnelle des adultes), Chantal, psychologue du travail et moi, deux autres personnes venant de l’ANPE dont mon adjoint Marc, ensuite l’équipe s’est étoffée. Certains sites ont parfois recours à des référents détachés par des opérateurs privés, à Morlaix ce n’est pas le cas ».

 

Morlais bato

Marie-France Rolland reçoit tous les bénéficiaires potentiels. « Nous faisons le choix de partir de la personne, de ses motivations. En fonction de ses intentions de départ, de sa personnalité, on peut déjà choisir avec quel référent, elle s’entendra le mieux. Chaque référent a sa spécialité, son caractère. Ils ont ensuite carte blanche. Je n’ai jamais eu aucune démission de personnes que nous avons suivi. »

 

Les CTPistes ont les numéros de portable des référents en cas de nécessité. « Par la suite, ils nous tiennent parfois au courant des offres d’emploi dont ils entendent parler. Ce matin encore, un monsieur qui est devenu chauffeur routier m’a appris qu’une place se libérait dans un magasin de Landivisiau. J’ai deux-trois personnes à présenter. Il faut toujours fouiner pour savoir où il y a du boulot pour les collègues ».

 

Reconversion pour humain en friche
Peu d’entreprises recrutent dans les environs, les personnes doivent se reconvertir : l’agroalimentaire, le bâtiment, le gros-œuvre, l’aide à domicile. « Il faut gratter…, et comme la mobilité géographique est quasi-inexistante, elle doit être professionnelle. Rares sont ceux qui vont partir pour un poste, sauf s’il est dans la région. Quand on a son logement, sa famille, c’est difficile de déménager pour toucher un smic à 500 km. Il faut donc accepter un nouveau poste, et de nouvelles conditions de travail ».

 

Au début du parcours, le CTPiste fait un état des lieux professionnel et personnel dans l’objectif de se former à un emploi durable. A l’entretien initial succède une évaluation en milieu de travail, pendant une à deux semaines (prestation pole emploi). Si le projet professionnel du CTPiste est validé, et qu’une formation est nécessaire, la personne peut bénéficier d’une formation sans durée maxi ou mini et les parcours ont diverses sources de financement état, région, ou OPCA.

 

Objectif premier du CTP : garder la personne licenciée dans une dynamique d’emploi. Nous croisons un jeune homme, ancien vendeur de voiture. Il suit une formation pour devenir installateur de panneaux solaire. La demande explose justement, un entrepreneur qui vient de s’installer dans la région l’a embauché illico. A Morlaix, le taux d’emploi des CTPistes est fort. Le contrat autorise en effet les périodes travaillées (en interim, en CDD d’opportunité), et le CTPiste continue à percevoir une partie des allocations et à suivre la formation requise pour son projet professionnel. Et ce, car interdire à quelqu’un de travailler serait absurde.

 

Des histoires de vie, de parcours atypiques, la CTPiste en chef en a plein sa musette. Surtout depuis que les Seniors viennent aussi au CTP. « Un ancien vétérinaire, mis à la porte à 56 ans, s’est lancé dans la menuiserie, il en avait toujours rêvé. Il a passé son CAP haut la main. Et aujourd’hui, il est en passe de reprendre une menuiserie qui fait faillite et sauve l’emploi de 6 personnes ! Nous avons aussi une dame qui était commerçante dans un bourg de 200 habitants, elle vient de réussir le concours d’aide soignante. »

 

La démarche est différente. Parfois, le CTP sert d’accompagnement retraite, ou bien maladie. Marie-France Rolland déplore d’ailleurs qu’aucun service psychologique ne soit prévu. « Tout le monde n’est pas prêt à l’emploi. Parfois nous récupérons des personnes cassées. Leurs conditions de travail étaient telles, que pour elles, c’est un soulagement d’être licencié ».

 

Cher mais performant
Le coût moyen d’un CTP est de 15 000 euros par an d‘après la DGEFP dans un rapport de la Documentation française. Trois acteurs financent ce mécanisme. L’entreprise verse le préavis de licenciement (qui est doublé en cas de licenciement économique) et le DIF. L’Unédic verse l’assurance chômage standard et l’Etat un complément d’1/3. Si l’adhérent trouve un emploi dans les 6 mois, il touche tout de même 3 mois d’indemnités licenciement.

 

Le dispositif est assez flexible. A la fin de leur CTP, les bénéficiaires sont suivis en emploi pendant 6 mois minimum. Enfin, un CTPiste qui signe un CDI, a droit de revenir au CTP si son projet n’a pas abouti, tant que l’année de CTP n’est pas écoulée.

 

Le bureau de Morlaix joue enfin un certain rôle régulateur au niveau local « Malgré nous, nous endossons l’habit de contrôleur. Nous avons mis certains employeurs qui maltraitaient leurs employés sur liste noire. Nous faisons peur à d’autres, qui parfois réembauchent alors qu’ils viennent de licencier. Récemment c’était le cas d’un hôtel qui licenciaient une femme de chambre avec de l’ancienneté pour prendre une apprentie, en contrats aidés. »

 

« Il faut avoir de l’imagination ». Une ressource dont ne semble pas manquer le capitaine du navire, Marie-France Rolland. Elle-même retrace volontiers son parcours atypique. Originaire de Morlaix, 53 ans, à 16 ans passe un CAP de conducteur routier, puis un brevet professionnel en région parisienne avant de quitter la route pour s’initier à la vente pour une chaîne d’électroménager à Morlaix. A 40 ans, nouveau changement de cap. L’ancienne routière décide de devenir formatrice, et suit une formation au CESI à Angers. Elle devient consultante freelance à mi-temps, forme à la vente, et des formations en insertion au sein d’une petite association. En 2001, elle devient formatrice AFPA, insertion BCA. En 2006, lui échoit la direction du CTP pour un an.

 

« En 2009, nous y sommes encore ! Nous avons pu suivre les personnes reclassées, mais nous sommes sous pression de tout voir s’effondrer du jour au lendemain. Ne serait-ce que ces bureaux,  aucun budget ne nous est alloué, c‘est « Morlaix communauté » qui nous les prête. Nous fonctionnons avec des moyens expérimentaux. Vous vous rendez-compte ? On transite, on transite…»

CTP carte

 

« Fluctuat nec mergitur »

« Et si on nous disait du jour au lendemain, ça s’arrête comme le définit le projet de loi en décembre 2010 ? Nous ne savons rien. » Le doublement des bassins est plutôt rassurant. Les zones d’expérimentation du CTP ont été désignées « là-haut » (à Paris). En avril 2006, le CTP existait dans sept bassins d’emploi, 21 bassins fin juin 2009. Dans un temps indéterminé la France devrait compter 40 bassins au total.

 

Ces programmes ne sont pas homogènes sur le territoire. D’où la multiplication des tensions entre deux bassins d’emploi. « Pour une même entreprise, il suffit que vous travailliez dans un établissement de Brest ou Morlaix, pour que vous ayez droit ou non au CTP. La loi est injuste. Elle privilégie 10% des demandeurs d’emplois. Imaginez tous les autres ! Dans un premier temps, il faudrait l’élargir à tous les licenciés économiques ».

 

« Il est possible que le CTP soit remplacé par un produit hybride CTP-CRP, qui serait moins cher et tout aussi efficace ». Pour la CRP (Convention de reclassement personnalisé) l’indemnisation baisse au bout de 91 jours de 80 à 70% du net. Pour 2009, il faut compter 10 000 CTP en cours, pour un coût global de 55 millions. Le 3 octobre, 4 nouveaux bassins ont ouvert : Briey-bassin houiller, Marne moyenne, Thiers et Saint-Étienne. A Morlaix, les mâts cliquettent, un rideau de pluie tombe sur la ville de granit, il faut déjà lever l’ancre.

 

PS: à noter un premier bilan comparé entre divers dispositifs de reclassement des salariés licenciés pour motifs économiques que vient de publier la DARES

Morlaix – Données INSEE

Fiche pratique CTP
En avril 2006, le CTP existait dans 7 bassins d’emploi, 25 bassins depuis octobre 2009 :

2006 :
Charleville-Mézières, Montbéliard, Morlaix, Saint-Dié-des-Vosges, Toulon, Valenciennes et Vitré

2009 :
le Havre, Niort, Calais, Châteauroux, Châtellerault, Douai, l’Étang de Berre, Mulhouse, Auxerre, Dreux, Les Mureaux-Poissy, Saint-Quentin, la Vallée de l’Arve, Hagetmau, Briey-bassin houiller, Marne moyenne, Thiers et Saint-Étienne

Qui est concerné ?
Sont tenues de proposer un contrat de transition professionnelle à leurs salariés dont le licenciement pour motif économique est envisagé, les entreprises non soumises aux dispositions relatives au congé de reclassement (c’est-à-dire principalement les entreprises de moins de 1000 salariés et celles en redressement ou liquidation judiciaire, quel que soit leur effectif), qui engagent une procédure de licenciement pour motif économique entre le 15 avril 2006 et le 1er décembre 2009, à l’égard des salariés de leurs établissements implantés dans ces bassins d’emploi.

Evaluation à mi-parcours du contrat de transition professionnelle de La Documentation française par REMY Pierre Louis , SALZBERG Liliane, rapport d’octobre 2007 de l’Inspection générale des affaires sociales 

 

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