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Pris en tenaille entre de nombreuses réformes et la « crise », la plupart des services publics de l’emploi en Europe (SPE) n’ont pas le moral

 

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Quel rôle jouer dans la crise ? Quelle place vis-à-vis d’opérateurs privés devenus très entreprenants ? Quel avenir face à des formes d’emploi multiples, instables et à des métiers en pleine recomposition ? Telles sont les questions auxquelles un séminaire, organisé par l’Université de Séville fin septembre 2009 a essayé de répondre.

 

 

Moyens et professionnalisation

Dotés de moyens inégaux, 0,13% du PIB pour l’Espagne, 0,25 % pour la France mais plus de 0,40% dans les pays nordiques, les SPE européens ne peuvent pas, en ces temps de remontées massives du chômage faire des miracles. L’accroissement de leurs ressources (+ 1800 conseillers en France), ou de la sous-traitance à des opérateurs privés ne résout rien. Leur place d’intermédiaire sur le marché du travail – ils couvrent au mieux 20% de la mise en relation entre demandeurs et offreurs d’emploi et cela n’a guère évolué depuis plus de 10 ans – les oblige à une certaine modestie. Leurs questions sont autres. L’ouverture du placement au secteur privé et notamment à de très grands groupes internationaux comme Manpower ou Adecco les oblige à se redéfinir.

 

Cela tient primo à leurs priorités: faut-il d’abord s’attacher aux personnes dites plus vulnérables: jeunes, seniors, « exclus » ? Quid de l’interaction avec les entreprises qui restructurent ? il y va de leurs techniques et méthodologies : faut-il faciliter la mise en œuvre massive des e-technologies – pour l’inscription, l’indemnisation mais aussi pour le profilage, le recrutement – et dégager ainsi des moyens pour l’accompagnement ou l’orientation ? Comment se professionnaliser beaucoup plus et sortir d’une logique d’« assistants sociaux » ? Leurs résultats aussi sont sur la sellette : les SPE ont-ils quelque chose à apprendre des services privés ? Y a-t-il des activités qui apparaissent plus efficaces ?  A ces interrogations, les réponses sont partagées et les hésitations nombreuses.

 

L’ouverture aux services privés

Beaucoup traversent ou viennent de traverser des réformes profondes, comme c’est le cas de l’Allemagne ou de l’Italie, souvent inspirées de deux modèles différents :
– celui des jobs centers britanniques
– celui des services de l’emploi au Danemark.

 

Par ailleurs, la convention 181 de l’OIT adoptée en 1997 et la jurisprudence européenne relative à l’abus de position dominante ont poussé tous les pays à abolir le monopole public du placement (qui était souvent très théorique) et à entreprendre une libéralisation du marché du travail:  l’ouverture à des opérateurs privés est devenue importante, le service public de l’emploi, comme en Hollande, se restreignant parfois au rôle de concepteur, orienteur et de contrôle des services assurés en très grande majorité par des entités privées.

 

Cette mise en concurrence peut créer des complémentarités. Elle est susceptible aussi d’émulations et d’apprentissages mutuels : il en va ainsi de certains services de reclassement ou d’outplacement, très en avance sur les méthodes du SPE…. Mais elle peut engendrer des effets pervers : la course aux résultats ne débouche pas forcément sur le mieux-disant comme le dessine cet article de Miroir social comme le montrent des évaluations réalisées en France sur les performances respectives du SPE et des opérateurs privés.

 

Restructurations et  transitions professionnelles

Force est de constater que la question des restructurations est restée en général en dehors des préoccupations des SPE. La définition « universaliste » des services aux chômeurs (tous doivent être servis quelle que soit l’origine du chômage et ses caractéristiques) peut en partie expliquer les choses. Ceci dit, le désintérêt des SPE pour les transformations productives – sans même parler d’être en position d‘anticipation ou de préparation aux mutations parfois prévisibles comme l’ont été celles de la sidérurgie, des chantiers navals, du textile ou de l’automobile – est un défi majeur en matière d’aide aux transitions professionnelles. Au mieux les SPE interviennent en aval, au pire……. Et certains formes d‘emploi en pleine croissance, à commencer par l’auto-emploi, restent éloignées de leur compétences et savoir-faire.

 

La question de la territorialisation

Certains experts très proches du futur gouvernement allemand prônent ouvertement la disparation d’un office fédéral et voudraient transférer la quasi totalité des services vers les Länder. En Espagne, les services de l’emploi sont de la compétences des communautés autonomes tandis que l’indemnisation du chômage et une partie de la politique de l’emploi restent de la compétence nationale; il en va de même en Italie où les régions ont compétence pour organiser les services de l’emploi (et peuvent choisir d’en sous-traiter tout ou partie à des opérateurs privés) mais restent largement en dehors du champ de la formation professionnelle). Quant à la France, elle hésite: après avoir largement décentralisé – en transférant aux régions la formation professionnelle des demandeurs d’emploi, en incitant à la création des maisons de l’emploi – l’opération Pôle Emploi ressemble fort à une renationalisation, avec, en outre, une nouvelle structure en proie à de multiples tiraillements internes.  Les problèmes – de coordination entre les acteurs se posent partout avec acuité et les réformes visant à simplifier les structures au bénéfice des chômeurs  n’ont pas toujours et de loin donné les résultats escomptés.

 

La professionnalisation

Restent qu’aujourd’hui les SPE sont confrontés à la question d’un positionnement beaucoup plus offensif et à des situations d’emploi et de travail beaucoup moins statiques. Le SPE finlandais qui s’organise pour devenir un service de la sécurité du changement et travaille en étroite coordination avec les partenaires sociaux, les territoires pour offrir une série de services multidisciplinaires fait souvent rêver su les bords de la Méditerranée. Il en va de même des fondations du travail autrichiennes où de nombreuses sociétés de « transfert » allemandes où les salariés s’auto-organisent pour retrouver une activité. Au sud de l’Europe, les SPE restent distants de l’entreprise et sous l’influence du modèle du « travailleur social » ou du « fonctionnaire », ce qui ouvre un large champ aux opérateurs privés qui leur substituent la notion de consultant ou de coach. Pourtant, le professionnalisme de ces opérateurs ne fait pas l’unanimité: les compétences tout à fait réelles de certains ne peuvent empêcher que d’autres soient plus que critiquables et fassent parfois moins bien que les SPE. A l’inverse des fondations paritaires pour la sécurité de l’emploi – comme les TRR en Suède –  sortent souvent victorieux de leur concurrence face aux grands groupes internationaux de RH en combinant le meilleur de ceux-ci avec un esprit d’intérêt général.

 

Demandeur d’emploi

Le terme de demandeur d’emploi est lui aussi beaucoup discuté. S’agit-il d’une simple catégorie administrative ? Ou bien d’un nouveau statut donnant aux chômeurs plus de citoyenneté ? Plusieurs pays,  dont la France ou l’Italie ont tenté d’avancer vers l’idée de contractualisation, c’est-à-dire un ensemble de devoirs et d’obligations mutuelles liant SPE et demandeurs. Mais à l’évidence, l’on a beaucoup plus avancé vers la notion de devoirs – définition plus stricte de la recherche active, de l’offre raisonnable d’emploi etc.. – que vers la notion de droits : ainsi les droits à la formation sont souvent très virtuels (faute de moyens, de places ou de délais raisonnables) et l’approche tutélaire (le SPE sait mieux et décide en lieu et place de..) toujours largement en vigueur.

 

Par ailleurs, la nécessité d’anticiper les changements peut engendrer des propositions très hétérodoxes : ne faudrait -il pas dépasser la notion d’emploi (encore trop marquée par la subordination et le salariat qui tend à s’étioler pour la remplacer par le « job » ou tout simplement le travail (qui recouvre des tas de formes dont des activités indépendantes#) ? Enfin, faut-il que les SPE continuent à s’appuyer sur la notion de perte involontaire d’emploi pour indemniser alors qu’il vaudrait mieux parfois encourager la mobilité préventive  et donc la perte volontaire d’emploi ?

 

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