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Ismail Rahoui, propos recueillis par Claude-Emmanuel Triomphe

Ismail Rahoui a 27 ans. Basé à Tarascon sur Rhône, il est l’un des trois « boosters territoriaux » recrutés par Impact jeunes [1], un programme innovant porté par les Apprentis d’Auteuil dans les Bouches du Rhône. Il nous parle de ce nouveau métier qui articule le social et le territorial.

Expliquez-nous ce qu’est un booster territorial ?

C’est une personne en charge d’un territoire précis (pour moi le centre-ville et les Ferrages à Tarascon, pour mes deux collègues de Marseille la cité des Lauriers/oliviers et le quartier Félix Pyat) et des jeunes de 13 à 30 ans qui y vivent. Il s’agit de les aider à s’insérer, mais aussi d’aider les acteurs locaux à identifier les besoins des territoires, à développer des projets en fonction des besoins et des envies des jeunes. Au booster de faire le lien entre ces jeunes, le tissu local, les entreprises, les associations et les services publics de l’emploi.

On pourrait penser que c’est le job des Maisons de l’emploi par exemple, du moins celles qui existent sur certains de ces territoires…

La MDE identifie les besoins du territoire et imagine en conséquence certains projets. Mais le booster, lui, crée un lien de confiance avec les jeunes. Il les accompagne dans leur réalisation. Et ce quels qu’ils soient : diplômés ou non, chômeurs ou non, collégiens, lycéens ou autres. Pour les plus jeunes, il s’agit de leur faire découvrir des choses, des métiers, des entreprises, des stages. Pour les plus de 16 ans, nous mettons l’accent sur la remobilisation de ceux qui sont découragés, sur la mise en emploi par des circuits courts, ou tout simplement en leur donnant un coup de pouce pour qu’ils puissent concrétiser leurs projets.

Vous n’êtes pas en concurrence avec les Missions locales ? Ou avec les éducateurs ?

Non je ne suis pas en concurrence. Les Missions locales travaillent dans un cadre très précis, elles se concentrent sur des publics peu ou pas diplômés. Nous on parle à tout le monde et on travaille hors les murs, dans les immeubles, dans la rue ou ailleurs quand il le faut. De plus, il nous arrive d’adapter nos horaires à ceux des jeunes (horaire de fin d’après-midi voire de nuit) pour en rencontrer le plus possible. C’est un autre travail et bien sûr il faut qu’on bosse ensemble.

Quant aux éducateurs, mais aussi ceux qui travaillent dans les Maisons des adolescents et d’autres structures spécialisées, il s’agit non pas de faire comme eux, mais de connaître leurs actions pour essayer de les coordonner, d’éviter les doublons ou encore les ruptures. Nous nous rencontrons avec l’ensemble des acteurs locaux une fois par mois pour faire un point régulier. Grâce au lien de confiance tissé entre le booster et les jeunes, c’est plus facile ensuite de les orienter vers des professionnels, notamment en cas de problématiques sérieuses (psychologiques, usage de drogues etc..).

Dans cet écosystème territorial au centre duquel vous prétendez être, comment les autres acteurs, souvent en place depuis des années vous reconnaissent-ils ?

Je ne vous cacherai pas que ça a été compliqué au début. A Tarascon ça a bien pris trois mois. Ailleurs ça a été encore plus long. On nous a vus comme des parachutés, des concurrents, voir parfois des évaluateurs. Mais au final, notre légitimité s’est construite avec le travail auprès des jeunes, grâce à la confiance qu’ils nous ont accordée, grâce aussi il faut le dire aux relations tissées avec les entités économiques.

Et justement les jeunes ils vous voient comment ?

Je pense qu’ils nous voient comme une solution à leurs attentes, comme une manière de pouvoir concrétiser leurs projets professionnels, mais aussi personnels. Pour les jeunes démotivés, j’ai souvent été vu comme un grand frère qu’ils peuvent solliciter presque 24 h sur 24, en qui ils peuvent avoir confiance, et qui est issu du même quartier qu’eux. Mais ça commence à changer : ils me voient aussi désormais comme représentant du projet Impact Jeunes c’est-à-dire d’une structure qui les aide, qui est implantée sur le territoire et qui leur fournit un cadre (et dont ils comprennent qu’elle a aussi des heures de fermeture !).

Quelles sont les plus grandes frustrations et satisfactions depuis que vous êtes booster ?

A l’automne 2017, j’ai connu ma plus grande frustration : alors que j’avais réuni les jeunes, les acteurs du territoire et les institutions pour leur présenter les premiers projets, dont un projet majeur, la création d’une salle de sport à visée insertion professionnelle. Malheureusement, un projet d’une telle envergure méritait beaucoup de moyens et nous n’avons finalement pas pu le concrétiser. Heureusement qu’il y a eu plein de satisfactions ! La dernière date de deux semaines quand chez Pôle Emploi, ils ont nommé un référent Impact Jeunes qui nous transmet systématiquement toutes les offres d’emploi et de formation. Ce qui nous permet de passer d’une action micro à une échelle beaucoup plus grande et de gagner en temps et en efficacité !

Pour vous, quelles sont les qualités pour devenir booster ?

Il faut être « polyglotte » : savoir parler aux jeunes, aux institutions, aux associations, aux entreprises. C’est avoir une connaissance et une expérience du monde économique. C’est bien entendu savoir faire de l’ingénierie de projet. C’est être et rester optimiste dans n’importe quelle situation !

Pourquoi avez-vous choisi d’être booster ?

Je l’ai vu comme une opportunité. Je préparais le concours pour devenir CPE (Conseiller principal d’éducation) lorsque j’ai vu cette offre qui me permettait de travailler avec les jeunes dans un cadre global, et pas seulement scolaire. Et puis il y avait le fait que c’était porté par Apprentis d’Auteuil, une structure disons neutre et avec une belle image auprès des jeunes. Alors j’ai foncé !

Et vous aller booster encore longtemps ?

Je ne ferai pas ce métier toute ma vie. Je pense en avoir pour encore trois ans. Après je ne sais pas trop, il faudra peut-être former de nouveaux boosters, les tutorer. Ce que je crois, c’est qu’Impact Jeunes est un projet innovant, expérimental et qui doit sans cesse se remettre en question. Et même si on monte en compétences, un booster doit lui aussi tourner pour laisser la place à d’autres approches.

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