5 minutes de lecture

Les avis des Européens divergent lorsqu’il faut déterminer les facteurs de satisfaction au travail.


happy

Globalement, êtes-vous satisfait de votre niveau de vie ? de votre travail actuel ? Avez-vous été bien ou mal traité, quand vous avez décidé de changer les choses au travail ? Sur ces questions de rémunération, de satisfaction et de reconnaissance, le Danois reste imperturbable. Il est heureux. Les salariés des pays ex-communistes font grise mine. Quant au Français, il fait la jonction entre le queue de peloton de l’Europe des 15 et les nouveaux entrés ( à l’exception de l’Islande).

 

Si l’insatisfaction des Français revêt une grande généralité, elle culmine en ce qui concerne le monde du travail. « Car les Français manquent peut-être de perspectives professionnelles, explique Claudia Senik, chercheuse à la Paris School of Economics et Université Paris-Sorbonne. Ce qui est moins le cas dans d’autres pays européens ».

 

Claudia Senik a participé à un Groupe de travail du Centre d’Analyse Stratégique «santé mentale et déterminants du bien-être » (2009), qui s’est reposé sur une grande enquête européenne : l’European Social Survey (ESS), mesurant les valeurs et les attitudes sociales des Européens. Les résultats permettent d’élaborer un classement européen du bonheur.

 

« Les Français sont mal classés en terme de bonheur. Si les pays de l’Est sont les plus malheureux, les pays dits « paradoxaux » sont au centre sur l’échelle des 27. France, Allemagne, Italie, connaissent un niveau de vie assez élevé, mais une grande insatisfaction. En tête de classement, on trouve comme d’habitude les pays nordiques ».

 

L’insatisfaction des Français semble particulièrement liée à leur activité économique. Vivre en France réduit très fortement la probabilité de donner une réponse favorable à l’ensemble des questions liées au domaine du travail et des rémunérations (voir aussi Davoine et Meda, 2008). « La moitié de la population vit du salaire minimum. Aucun autre pays, hormis la Pologne, n’est associé à une si forte probabilité de se sentir mal payé. Les Slovènes, les Belges et les Suédois (sans parler des Danois) sont de 20% à 40% plus susceptibles de déclarer qu’ils sont payés correctement. Seules la Russie, la Bulgarie, la Lettonie et l’Ukraine connaissent un plus grand risque de se déclarer mécontent de leur niveau de vie ».

 

L’angoisse de conserver son emploi est prégnante et les perspectives de progression professionnelle apparaissent faibles. Les salariés Français, comme les Allemands, les Grecs et les Polonais, sont ceux qui le plus souvent, toutes choses égales par ailleurs, déclarent qu’il leur serait très difficile de trouver un autre emploi identique ou meilleur auprès d’un autre employeur.


Aversion contre les inégalités

Les Français réclament également une meilleure redistribution des richesses, et une égalisation des revenus. Si l’insatisfaction économique est parfois liée aux comparaisons de revenu, « la vague 3 de l’ESS permet d’établir que les Français se comparent davantage que les autres Européens. Surtout, les Français se comparent moins que d’autres européens à leurs collègues, et davantage à d’autres groupes de référence tels que les amis ou la famille. Or on a remarqué que plus les gens se comparent à leur collègues, moins ils sont mécontents, moins ils soufrent. Cela leur donner des idées de progression ».

 

D’autres exercices fondés sur des interactions de même nature révèlent que si, de manière générale, un revenu plus élevé rend les gens plus heureux, cela est moins vrai en France (interaction négative). Les individus exerçant les professions les plus élevées (cadres dirigeants, cadres supérieurs) se déclarent plus heureux, mais moins en France qu’ailleurs. Enfin, ceux qui réclament davantage de redistribution des revenus par l’Etat se déclarent également moins heureux et cela est accentué dans le cas français. Cet ensemble d’observations suggère une insatisfaction française particulièrement ancrée dans le monde du travail.

 

Les pays de l’Est connaissent un phénomène d’insatisfaction plus particulier. Le cas de la Pologne est particulièrement bien renseigné par des enquêtes sur la satisfaction menées tous les deux mois sur l’adhésion à l’économie de marché après l’ouverture des années 90. « Entre 1992 et 2005, les inégalités de salaires ont crû. Ces inégalités de salaires ont paru justifiées dans un premier temps. Elles étaient perçues comme corollaire à un accroissement des opportunités, fonction des efforts des plus méritants. Cette courbe de satisfaction, signe de l’adhésion à l’économie de marché a stoppé sa progression en 1997 pour laisser place au rejet, au désenchantement. Les Polonais considèrent que la redistribution est finie, que l’élite et la mafia entravent la libre entreprise ».

Repères

L’ESS (European Social Survey) permet de comparer des populations européennes vivant dans des contextes culturels, géographiques et économiques proches, propices à la comparaison des réponses recueillies. Un questionnaire identique est passé tous les deux ans depuis 2002 dans 32 pays au total, ce qui permet de disposer d’échantillons conséquents, plus que d’autres enquêtes européennes telles que Eurobaromètre.

 

 

SENIK Claudia, 2008. « La croissance rend-elle heureux? », avec A. Clark, in D. Cohen et P. Askenazy eds, Economiques, 1, Albin Michel.
SENIK Claudia, 2009. « Peut-on dire que les Français sont malheureux? », Economiques, 2, Albin Michel, à paraître. http://www.pse.ens.fr/senik/cepremap_France_12octobre.pdf

Davoine L. et Meda D., 2008. « Place et sens du travail en Europe. Une singularité française? », Centre d’étude pour l’emploi, Document de travail n°96.

Grosfeld I., SENIK C., 2009. « La montée de l’aversion à l’inégalité. Du temps des anticipations au temps de la déception ». Revue économique , volume 60, n°3, p.748-758.

EC, 2004. The State of Mental Health in the European Union, European Communities, ISBN 92-894-8320-2.

 

Print Friendly, PDF & Email
+ posts