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L’Etat est déterminé à soutenir une relance industrielle écolo- et socio-compatible, mais il défend la notion dérangeante de patriotisme industriel. Alors que les Etats généraux de l’industrie touchent à leur fin, Christian Estrosi, ministre de l’Industrie français, plaide pour une nouvelle politique industrielle française menée par un Etat-stratège.

 

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« Le patriotisme économique bien compris revêt deux aspects : il encourage, d’une part, la mondialisation des entreprises françaises ; il plaide, d’autre part, pour l’attractivité du territoire français : on est loin du protectionnisme » établit un rapport du Sénat en 2008. Prêcher le renouveau de la politique industrielle alors que l’emploi industriel atteint à peine 15% de la population active et malgré la perte retentissante de grands contrats industriels, la manoeuvre est courageuse. Réalisme ou poudre aux yeux ? La preuve par trois.

 

Total à Dunkerque

Total à Dunkerque, Philips à Dreux, Renault à Flins, M. Estrosi répondait hier aux questions des journalistes de l’information sociale (AJIS) sur l’actualité. « Je ne garantis pas que l’usine ne fermera pas. Nous ne la laisserons fermer que si Total reclasse tous les salariés. Et ce ne sont pas seulement les 820 salariés de la raffinerie qui sont menacés, mais aussi les 250 emplois chez les sous-traitants. Dunkerque est un port autonome dont l’activité ne cesse d’augmenter, on ne peut pas se permettre de le fragiliser. Total doit proposer un projet de substitution. Nous sommes déjà en négociation avec EDF pour la construction d’un terminal méthanier. Donc l’emploi est garanti ».

 

Aujourd’hui, par solidarité tous les employés de Total France se sont mis en grève, preuve que les propos du ministre n’ont pas rassuré. Le secteur du raffinage souffre en effet de la baisse de la consommation de brut. M. Estrosi a reconnu, que la raffinerie était mal raccordée au réseau européen de pipelines européens, ce qui avait eu raison de sa compétitivité, notamment par rapport à deux autres raffineries européennes (en Allemagne et en Hollande, sans plus de précision). Enfin a-t-il ajouté, « il ne serait pas cohérent de continuer à raffiner, alors que le gouvernement soutient les énergies vertes et le lancement de véhicules électriques  » (4 constructeurs déjà en lice rien qu’en France)

 

Philips exemplaire ?

Le ministre a ensuite tenu à rassurer sur l’efficacité des dispositifs anti-crise : CTP, CRP, et sur les perspectives de rebond industriel dans les bassins d’emplois sinistrés. Evoquant le cas de l’usine d’écran Plasma de Dreux : « lorsque les entrepreneurs se conduisent bien, explique-t-il, à la sortie, on a plus d’emploi créé que d’emploi détruit. Philips n’est pas Mollex ». Lors du précédent plan social en Eure-et-Loir, il y a trois ans, « le fonds de revitalisation a permis de créer un centre d’appel, une usine d’électroménager et une cuisine centralisée Sodexho. » précise-t-il. Ce qu’un représentant du personnel a aussitôt récusé dans cet article du Nouvel obs.

 

Dans ce nouveau cas, comment s’effectue l’arbitrage de l’Etat ? M. Estrosi doit recevoir ces jours-ci les différents acteurs pour juger de la validité de la procédure à Dreux, notamment de la proposition de reclassement en Hongrie pour 450€ par mois… à condition de parler le hongrois.

 

Alors, après 200 000 destructions d’emplois industriels et des conflits particulièrement explosifs en 2009 (Les salariés de Continental et New Fabris avaient menacé de faire sauter leur usine), quelles sont les conditions d’un rattrapage industriel, d’une ré- industrialisation ?

 

Renault à Flins

Le gouvernement mise sur « l’organisation de filières intégrées » qui vont « assainir les relations clients-fournisseurs », jusqu’à présent plus proches d’un rapport « dominant-dominé ». Les « 17 milliards du Grand Emprunt vont servir à l’innovation dans les biotechnologies, nucléaire, nanotechnologies, mode, automobile ». L’Etat devrait également contribuer à hauteur de 100 milliards d’euro au projet de véhicule électrique Zoé. Ce modèle sera produit à Flins, où une usine de déconstruction doit également être bâtie. Renault dont l’Etat est le principal actionnaire ne peut pas refuser l’offre. D’autant que la mesure permet de faire oublier que les chiffres de production du constructeur pour 2009 : -19% en France, contre +22% pour l’usine Renault-Dacia en Roumanie correspondent peu au credo « patriotisme industriel » qu’entonne le gouvernement.

 

« Localiser » (produire ailleurs et vendre ailleurs) ou « relocaliser » (produire en France et vendre en France ou ailleurs), mais cesser de « délocaliser » (produire ailleurs, mais vendre en France), ainsi pourrait se résumer la ligne politique française. C’est un peu court. Le programme pourrait en somme, travailler l’attractivité du territoire et l’a compétitivité des entreprises, en prenant exemple sur les réformes structurelles menées par Schröder en Allemagne, notamment le système d’aide aux PME, car seulement 5% des PME françaises exportent.

 

Parmi les mesures que cite le ministre, la « suppression de la taxe professionnelle » devrait permettre à certaines entreprises de se « relocaliser ». Le crédit d’impôt recherche a fait ses preuves, sauf que le fruit de l’innovation n’est pas réellement protégé. Mollex est reparti avec ses brevets, après avoir fait cogiter des ingénieurs français. Sans être contrainte de rembourser le crédit d’impôt. « Il faut changer cela », tout comme « le délai de dépôt de brevet, qui est beaucoup trop long ». Sur 25 000 entreprises industrielles en France, 15 000 innovent, et seulement 25% de celles-ci déposent un brevet. L’enregistrement prend 6 mois en France, alors qu’aux USA il est quasi immédiat. Sans parler des difficultés d’obtenir réparation devant les tribunaux lorsque l’objet du brevet est piraté.

 

 

Pas un mot cependant sur la fin des subventions et les cadeaux fiscaux aux entreprises du CAC 40 qui délocalisent en dehors de la zone euro en bradant les technologies et savoir faire et en plaçant dans les paradis fiscaux la plus grande part de leurs bénéfices . Pas un mot non plus sur l’Europe, la politique industrielle européenne ou le marché intérieur, si ce n’est une vive critique sur ces « délocalisations pas seulement en Inde, mais même ailleurs au sein de la zone Euro » en oubliant les principes mêmes de la solidarité européenne et des libertés qui fondent le marché intérieur européen. A croire que patriotisme industriel, paix sociale et intégration européenne ne font pas bon ménage.

 

 

 

Lire dans les Echos, Il faut reorienter l’epargne des Francais vers l’industrie

Lire dans le Nouvel Obs, Christian Estrosi se moque du monde

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