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par André Sobczak

L’absence d’une définition précise et unique du concept de responsabilité sociale des entreprises (RSE) peut à la fois expliquer le succès de l’idée et une certaine déception par rapport aux attentes qu’elle a pu susciter au moment de son développement à la fin des années 1990.

 

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Dans ce contexte, le rôle des académiques est de chercher à contribuer à une clarification des termes du débat, voire à proposer une définition à la hauteur des enjeux qui permet aux différents acteurs dans les entreprises et la société de redéfinir leurs rôles et responsabilités et de trouver de nouvelles formes de coopération.

Aujourd’hui, il est difficile de trouver une entreprise européenne qui ne développerait pas un discours sur la RSE sur son site internet ou dans ces rapports, et ce quelque soit sa taille et son secteur d’activité. Après avoir touché dans un premier temps les grandes entreprises multinationales, le discours sur la RSE s’est progressivement étendu aux PME, notamment à la demande des grands donneurs d’ordre qui demandent désormais à leurs fournisseurs et sous-traitants de prouver le respect d’un certain nombre de principes sociaux et environnementaux. Certes, la qualité et la profondeur des actions mises en œuvre varient fortement d’une entreprise à l’autre. Mais le développement des standards dans ce domaine, comme le Global Compact des Nations Unies, la Global Reporting Initiative, SA 8000, ISO 14001 et bientôt sans doute ISO 26000, poussent de plus en plus à une certaine convergence des pratiques, renforcée encore par l’action des cabinets de conseil et d’audit, des agences de notation extra-financière et de certaines écoles de management.

Ce succès du discours sur la RSE est bien entendu lié à une prise de conscience de la part des différentes parties prenantes qui développent de nouvelles attentes à l’égard des entreprises. Pour attirer, fidéliser et motiver ses salariés et ses clients ou pour améliorer les relations avec les ONG et les collectives, ces dernières doivent donc chercher à agir sur des enjeux aussi complexes que le changement climatique, la lutte contre la pauvreté ou le développement du territoire qui ne sauraient se passer d’une contribution forte de la part du monde économique.


Etre ou ne pas être indépendant de la performance économique
Le succès du concept de RSE s’explique cependant aussi par le fait que sa définition est loin d’être évidente, permettant à chacun de mettre un contenu différent derrière ces termes. Rares – quoique non absents – sont aujourd’hui ceux qui s’en tiennent à la définition très étroite de Milton Friedman considérant que la RSE se limite à la création de profits et d’emplois, au paiement des impôts et au respect des règles du jeu définies par les pouvoirs publics. Une telle définition résiste en effet difficilement aux évolutions des attentes de la part des parties prenantes qui acceptent de moins en moins qu’une entreprise invoque le respect de la législation locale, lorsque l’un de ses fournisseurs ou sous-traitants est impliqué dans la violation des droits de l’homme ou une pollution grave de l’environnement, en particulier si la législation n’est pas adoptée de manière démocratique.

 

En revanche, beaucoup de dirigeants d’entreprise continuent à penser que les pratiques de RSE s’ajoutent à celles qui visent à créer des profits, ce qui conduit à une hiérarchisation entre la responsabilité économique et sociale des entreprises, cette dernière constituant un luxe que l’on pourrait s’offrir dans les périodes de croissance économique. Au moment de la crise, ce raisonnement se traduit nécessairement par un ralentissement des initiatives dans le domaine de la RSE, voire par une remise en cause de projets sociaux et environnementaux qui semblaient pourtant acquis. Une telle attitude observée certaines entreprises européennes n’est pas seulement regrettable du point de vue des parties prenantes et de la société. Elle est particulièrement dangereuse pour les entreprises concernées, car elles se traduit inévitablement par une perte de confiance à l’égard de l’entreprise, difficile à reconstruire, d’autant que les pratiques de RSE s’inscrivent la plupart du temps dans le long terme. Cette approche risque même de menacer le concept de RSE dans son ensemble, renforçant les critiques qui n’y voient qu’une démarche marketing sans se traduire par des réels changements dans les pratiques des entreprises. Ces critiques peuvent rencontrer d’autant une écoute qu’on peut légitimement s’interroger si les causes de la crise ne sont pas justement liées, au moins en partie, à cette hiérarchisation des valeurs par les acteurs de la finance.

Or, dans d’autres entreprises européennes, certes encore trop peu nombreuses, la RSE se traduit par des changements très profonds dans les manières de penser et de faire, conduisant les dirigeants à réinterroger l’ensemble de leur stratégie et leurs pratiques, voire à développer de nouveaux business models leur permettant de s’appuyer sur la protection de l’environnement et sur l’engagement social pour renforcer la performance économique. Autrement dit, la RSE est définie dans ces entreprises comme une stratégie qui intègre les enjeux économiques, sociaux et environnementaux dans les différentes activités des entreprises plutôt que comme des actions sociales ou environnementales ponctuelles qui dans une perspective philanthropique visent à compenser l’éventuel impact négatif créé par les activités économiques. Cette approche ouvre les perspectives les plus intéressantes pour l’entreprise et la société et semble pouvoir convaincre les dirigeants de s’engager durablement dans des démarches de RSE ambitieuses. Si elle est loin d’être évidente à mettre en œuvre concrètement, elle semble donc la condition pour permettre au concept de RSE de maintenir sa légitimité et son succès face aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux.

 

Pourquoi se limiter aux démarches volontaires ?
Si cet aspect de la définition du concept de RSE fait de plus en plus consensus dans les débats académiques et sociétaux, se heurtant avant tout aux réalités économiques, un autre élément de cette définition semble encore bien plus difficile à faire évoluer, tout en conditionnant aussi le succès à long terme du concept : celui du caractère volontaire de la RSE. Alors que les démarches de RSE peuvent constituer une des réponses aux défis de la régulation sociale dans le contexte de la mondialisation et de la transformation des entreprises qui rend de plus en plus fragiles les droits nationaux du travail, se pose la question de leur statut et de leur encadrement juridique. Sur ce point, la Commission européenne continue à suivre les associations d’employeurs pour affirmer le caractère nécessairement volontaire de la RSE, définie comme correspondant aux pratiques allant au-delà de la loi et des conventions collectives.

Si le caractère juridiquement contraignant est loin de constituer une garantie pour l’application effective et efficace de la régulation sociale, et si les démarches volontaires présentent des avantages indéniables dans la mesure où elles favorisent l’innovation, l’implication des parties prenantes et l’adaptation au contexte spécifique de chaque entreprise, la réduction de la RSE au volontariat prive ce concept d’une partie de son potentiel et donc à terme de sa crédibilité.

 

Une directive européenne sur la RSE
D’abord, l’idée de la RSE n’est pas incompatible avec un cadre juridique, notamment sur le reporting social et environnemental. L’exemple de la loi NRE française qui oblige les entreprises cotées en bourse à inclure des informations sociales et environnementales dans leur rapport annuel de gestion et de législations similaires dans d’autres pays européens montre qu’un cadre juridique peut contribuer à stimuler les initiatives dans ce domaine, sans pour autant interdire l’innovation. Cela pose donc la question de l’adoption au niveau européenne d’une directive sur le reporting qui harmoniserait les pratiques dans ce domaine et permettrait de donner aux parties prenantes des éléments pour comparer l’engagement des entreprises et de mettre en œuvre des actions pour valoriser les unes ou créer de la pression sur d’autres.

Ensuite, l’idée de la RSE ne s’oppose pas à une contractualisation des objectifs dans ce domaine. Un nombre croissant d’entreprises, souvent parmi les plus grandes, ont ainsi signé des partenariats avec des ONG ou négocié des accords avec les organisations syndicales sur la RSE. Ces initiatives montrent l’intérêt d’entrer dans un dialogue avec les parties prenantes pour identifier des objectifs communs, mettre en place des actions conjointes ou créer des mécanismes de contrôle et de suivi, ce qui renforce à la fois la crédibilité des pratiques de RSE et leur application effective.

 

La gouvernance des entreprises en question
Enfin, le débat sur la RSE ne peut que difficilement éviter de s’interroger sur la gouvernance des entreprises et les processus de décision. Certes, le statut juridique ne saurait être le seul critère permettant d’identifier la RSE. Néanmoins, les expériences du secteur de l’économie sociale et solidaire peuvent enrichir le débat sur la RSE afin de s’assurer que d’autres critères que les seuls intérêts financiers des actionnaires soient pris en compte dans la définition des stratégies et l’évaluation des politiques mises en œuvre par les entreprises.

Il semble donc important de faire évoluer la définition de la RSE sur ce point pour ne pas la limiter aux seules démarches volontaires. Pour répondre à la complexité et l’urgence des défis économiques, sociaux et environnementaux, il convient de ne négliger aucun levier permettant de faire évoluer les stratégies et les pratiques des entreprises. Dans cette perspective, la RSE ne correspond-elle pas plutôt à un processus d’apprentissage qu’une entreprise engage, volontairement ou non, avec ses différentes parties prenantes pour identifier et mettre en œuvre des stratégies et des pratiques de management qui intègrent les enjeux économiques, sociaux et environnementaux et permettent de renforcer son impact positif sur son environnement économique, social et naturel ?

 

André Sobczak

Directeur à Audencia Nantes School of Management de l’Institut pour la Responsabilité Globale 

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