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Tirer un bilan de la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques (NRE) est une gageure. Les 700 sociétés cotées concernées sont tenues de présenter, dans leur rapport de gestion annuel, parallèlement à leurs informations comptables et financières, des données sur les conséquences environnementales et sociales de leurs activités. La loi NRE s’applique depuis l’exercice 2002.

 

Dans la pratique, les entreprises renseignent ce qu’elles peuvent ou… ce qu’elles veulent, à partir des vingt critères énoncés dans le décret d’application de la loi.

 

La dimension sociale des rapports du Cac 40

L’étude du groupe Alpha « Les informations sociales dans les rapports 2008 du CAC 40 » a pour objet d’apprécier la qualité du reporting effectué par les entreprises (et non de juger les actions menées).
En matière de conformité à la loi, (pourcentage de critères légaux renseignés), « la moyenne des entreprises ne progresse plus et oscille autour de 85%/90% pour la quatrième année consécutive. Seulement une dizaine d’entreprises sont en conformité avec la loi et renseignent tous les items du décret d’application. Quant à la qualité moyenne des informations fournies, elle oscille entre 50 et 55 % ». C’est là que le bât blesse.

 

cac rse

Alpha déplore « Le manque de transparence récurrent depuis sept années sur des sujets sociaux pourtant  structurants dans l’entreprise (dynamique de l’emploi, organisation du travail, rémunérations, organisation de la chaîne de production) », et s’interroge « sur la signification-même du reporting ».

« Dans sa dimension substantielle, le constat est toujours aussi redondant: les informations fournies dans les rapports laissent toujours le lecteur aussi sceptique. En ce qui concerne les sujets que les entreprises traitent, elles se présentent dans des habits de vertu et passent sous silence leurs doutes éventuels sur ces mêmes sujets.
Rares sont les entreprises qui assortissent de commentaires les résultats chiffrés de leur reporting. Encore plus rares sont celles qui commentent les mauvais résultats, sauf sur des sujets sensibles comme la santé et la sécurité ou sur des sujets relativement consensuels comme l’égalité professionnelle. Sur ces sujets, elles reconnaissent leur marge de progrès
».

 

Si les entreprises du CAC 40 renseignent la quasi totalité des critères, ce qui est loin d’être le cas des autres sociétés cotées, il leur a fallu plusieurs années pour le faire. Mais il semble bien qu’elles visent avant tout à remplir à la lettre une obligation légale et non à respecter l’esprit de la loi. Ainsi seule une très faible minorité des comités d’entreprise a l’occasion de discuter du rapport, quant aux actionnaires, ils ne peuvent s’emparer des dimensions sociales pour débattre de la compétitivité de l’entreprise, contrairement aux recommandations du législateur. Alpha souligne que « Les entreprises ne font toujours pas du reporting social un outil de gestion des risques et opportunités mais uniquement un outil de communication externe ». Après sept années d’application de la loi, le bilan est pour le moins décevant.

 

Quelle mobilisation des salariés ?

Novethic s’interroge sur « la place de la mobilisation des salariés dans les rapports de développement durable des entreprises du CAC 40 ».

 

Manifestement, l’implication du personnel n’a pas une place de choix dans les rapports, même si au fil du temps, de légers progrès ont été constatés. Les entreprises n’en font pas un enjeu stratégique : « les données chiffrées sont rares, les actions ont un périmètre restreint et sont présentées en ordre dispersé, les ressources allouées sont limitées, les partenariats rares et les rapports laissent peu de place à l’expression des salariés. »

 

Novethic observe à son tour que les reportings sont pourtant de plus en plus développés. Les préposés au remplissage de tableaux excel ont de l’avenir.

« On peut faire l’hypothèse que la RSE passe encore principalement par la mise en place de procédures et d’outils, sans que les hommes et les femmes de l’entreprise ne soient forcément invités à modifier leurs pratiques et leurs comportements. Or l’expérience de ceux qui sont à la pointe dans le déploiement des stratégies montrent que pour réussir les défis majeurs qui se présentent aux entreprises, il faudra des hommes et des femmes qui les comprennent et aient capacité à ajuster leurs compétences en conséquence. »

Quelques entreprises jouent le jeu et se détachent nettement des autres. A partir de différents critères pondérés, Novéthic établit un classement des entreprises en fonction de la place accordée à la mobilisation des salariés.

 

Au palmarès 2008, ST Microelectronics et Danone, suivies de Bouygues, l’Oréal, PPR, Carrefour et France Telecom. Parmi les retardataires, Schneider, Lagardère, Michelin, Essilor.

 

Mais le tableau d’honneur change constamment : « Certaines entreprises ont progressé de façon tout à fait significative, mais d’autres qui semblaient accorder de l’importance au sujet dans l’étude précédente n’ont pas poursuivi l’effort. On peut s’interroger sur les raisons de cette absence de régularité. Apparition de nouveaux enjeux prioritaires qui occuperaient l’espace de communication réservé à la formation ? Changement des équipes en charge du reporting et perte de l’historique ? Seule la continuité permet de mesurer les progrès. »

 

De l’intention louable à l’exercice procédural

Les deux organismes constatent que les entreprises s’attachent essentiellement à se conformer aux procédures définies dans le décret d’application de la loi. Quant au fond, véracité et pertinence des actions, la simple lecture des rapports officiels ne permet pas de vérifier ce qui est avancé. Même si certaines entreprises développent la certification de leurs indicateurs, les commissaires aux comptes qui doivent émettre un avis, ne font que vérifier la validité des procédures et non la certification des données.

 

Faut-il pour autant jeter la pierre aux seules entreprises ? Lorsqu’on demande, disons « un exercice de style », et bien on l’obtient, et en la matière, les conseils d’administration ne sont pas plus « royalistes » que les dirigeants d’entreprises ou les administrations. La loi NRE présente bien des lacunes, aucun dispositif de contrôle n’est prévu, le périmètre concerné (holding ou groupe / mondial ou national) n’est pas correctement précisé et la loi ne prévoit aucune sanction.

 

Si depuis sept ans, les sociétés du CAC 40 ont amélioré la collecte de leurs informations et utilisent cet exercice obligatoire pour faire de la communication et montrer combien elles sont vertueuses, la pertinence du contenu des rapports ne s’améliore pas et la volonté politique semble absente. Le groupe Alpha pose une vraie bonne question. A qui et à quoi sert cet exercice ? Un de plus, qui s’ajoute à bien d’autres, contrainte légale, formelle, diligentée par un Etat central lointain, qui plus est ne s’applique pas à lui-même ce qu’il demande aux entreprises !

 

Il conviendrait sans doute d’y répondre avant de mettre en application de nouvelles dispositions. En effet, le projet de loi « Engagement national pour l’environnement » ou Grenelle 2 prévoit que les sociétés devront rendre compte « des conséquences sociales et environnementales » de leurs activités. Les sociétés concernées seront celles qui présenteront « un total de bilan excédent un seuil fixé par décret en Conseil d’Etat,  dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, qui emploient plus de 500 salariés ». Ces dispositions devraient être applicables à partir du 1er janvier 2011.

 

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