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En 2009, le Secrétaire Général de l’OCDE lançait un appel pressant au gouvernement du Japon. « Vous avez déjà l’une des populations actives les plus âgées des pays de l’OCDE. Si vous n’y intégrez pas les femmes, vous allez connaître un déclin accéléré et vous serez obligés de recourir massivement à l’immigration ». Que s’est-il passé depuis, qu’en est-il du travail des Japonaises ?

 

[Shibuya] Umbrella BokehLes perspectives étaient sombres en 2009, elles ont empiré depuis. Les projections démographiques prévoient que la population japonaise devrait diminuer d’un tiers d’ici 2060. Le pourcentage de la population active par rapport à l’ensemble de la population devrait passer sous le seuil des 59% d’ici une quinzaine d’années. La dette publique dépasse 200% du PIB. Fukushima et la récession n’ont pas épargné l’archipel.

 

En 2012, face à la crise de l’économie japonaise, le FMI soulignait à son tour combien il était important de développer des politiques qui favorisent l’accès de femmes au travail. Goldman Sachs calculait que l’apport de 8 millions de femmes actives permettrait d’augmenter le PIB de 15%, un argument auquel les responsables politiques et économiques pouvaient être sensibles.

 

Les statistiques de l’OCDE montrent pour l’année 2012 un taux d’emploi des Japonaises de 60,7%, en très lente croissance, loin derrière le Danemark avec 70% et très loin devant la Turquie avec 28,7 %. Mais ces statistiques cachent des inégalités massives entre hommes et femmes au Japon. Plus de 50% des Japonaises actives occupent un emploi qui n’est ni à temps plein, ni à durée indéterminée, alors que leur niveau d’éducation est proche de celui des hommes. Quant à l’écart salarial entre hommes et femmes, il dépasse les 30%. Globalement les Japonaises restent cantonnées à des emplois subalternes.

 

Le dernier rapport sur les inégalités entre les sexes produit par le Forum Economique Mondial établit des comparaisons entre 135 pays. Le Japon occupe la 101ème place. 

 

Changer la société japonaise

Le défi à relever est particulièrement ardu car, pour attirer au travail les femmes japonaises, il ne s’agit pas seulement de développer une politique familiale, de revoir les organisations de travail ou les modes de garde des enfants, il s’agit de changer une société et une culture de division sexuelle du travail. La société japonaise est souvent considérée comme très conservatrice, les Japonais estiment que la place de la femme est au foyer et les femmes partagent souvent cette opinion. 7 femmes sur 10 cessent de travailler à la naissance de leur premier enfant, un retrait choisi ou contraint qui les écartera définitivement des emplois à temps plein (et à vie) des grandes entreprises lorsqu’elles souhaiteront reprendre un travail.

 

Les entreprises japonaises exigent en effet de leur employés fidélité et disponibilité, heures supplémentaires, travail le week end sont des pratiques courantes, rendues possibles par la présence des épouses au foyer. Les femmes salariées, dans un tel contexte, ont les plus grandes difficultés à concilier vie professionnelle et vie familiale, domaine qui leur est exclusivement réservé. Elles sont considérées par leurs employeurs comme n’étant pas aptes à prendre des responsabilités ou faire carrière et subissent souvent harcèlements et discriminations.

 

Les actions ou intentions…

Le Japon aurait donc le choix entre plus d’activité féminine et/ou plus d’immigrés. Il semblerait que ses dirigeants aient opté pour le premier terme de l’alternative, essentiellement pour éviter d’avoir à choisir le second. Le premier ministre conservateur Shinzo Abe va tenter de relever le défi, il souhaite que la part des femmes dans les postes d’encadrement passe de 12% actuellement à 30% en 2020, il va développer les crèches, aujourd’hui peu nombreuses et chères, et il demande aux grandes entreprises d’accorder un congé parental de 3 ans avec garantie de retour à l’emploi pour les femmes comme pour les hommes.

 

Certains syndicats semblent également sensibles à la condition des femmes. Le syndicat des employés municipaux et préfectoraux, JICHIRO, présentait en février dernier sa campagne en faveur de « l’égalité des genres » : promouvoir une participation égale des hommes et des femmes dans le mouvement syndical, promouvoir l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, renforcer les compétences des femmes pour les rendre plus autonomes. JTUC RENGO, la plus grande confédération syndicale japonaise manifestait le 8 mars pour exiger la fin du harcèlement sur les lieux de travail en raison du sexe, de la grossesse ou de la maternité, ce que l’on nomme au Japon le mata hara (maternity harassment) et pour exiger l’arrêt des discriminations sexuelles. Ce sont là des causes majeures, car nullement anecdotiques, de l’abandon par les Japonaises de leur activité professionnelle.

 

Que pensent les intéressées ?

Une enquête a été effectuée par le ministère du travail nippon en septembre 2013 auprès de jeunes de 15 à 39 ans. 34,2% des jeunes femmes veulent être femme au foyer, 38% veulent autre chose, 27,8% ne savent pas. Les jeunes hommes ne sont que 30% à souhaiter que leur épouse travaille. Plus inquiétant, plus de 50% de la tranche d’âge 15-29 ans, hommes et femmes confondus, se prononce pour le maintien de la femme au foyer, un chiffre en progression de 20% par rapport à l’enquête précédente (2009) du ministère. Les mentalités n’évoluent pas rapidement.

 

Il n’est pas dit que la recherche de croissance par le développement de l’activité féminine suffise à changer la société, loin s’en faut, mais il est certain que si les Japonaises n’accèdent pas massivement au travail, l’avenir de la troisième puissance économique du monde restera hypothétique.

 

Crédit image : CC/Flickr/scion_cho

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