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par les géants de la finance[/fusion_title]

par Claude Emmanuel Triomphe

Pourquoi les agences de notation extra-financières ont été aussi silencieuses pendant la crise et en sortie de crise ? Jean-Philippe Desmartin, analyste senior, responsable de la recherche ISR chez Oddo Securities,revient sur les origines des agences de notation sociétale et extra-financière.

La RSE a provoqué le développement d’agences de notation sociales et sociétales : qui sont-elles et que font-elles ?

Les premières agences qui ont travaillé pour les investisseurs sont nées dans les années 1980 avec notamment l’association Eiris au Royaume-Uni ou encore Ethibel en Belgique; c’était des agences militantes avec des convictions, centrées sur l’aspect éthique avec des critères d’exclusion mettant en avant l’aspect controversé de certaines situations : hier, la présence des multinationales dans l’Afrique du Sud de l’apartheid ; aujourd’hui un questionnement sur l’engagement des grandes entreprises européennes, et notamment françaises par exemple dans le projet de tramway à Jérusalem autour de la question de son tracé dans un territoire controversé et faisant l’objet de résolutions de l’ONU.

À ce courant d’organismes militants sont venues s’ajouter dans le milieu des années 1990, des agences à dimension entrepreneuriale, avec une logique de marché, reposant sur une dimension positive : promotion du développement durable, analyse des « meilleurs de la classe », approches risques / opportunités, thématiques d’investissement de long terme. C’est ainsi qu’apparaissent Innovest en Amérique du Nord, Centre info en Suisse, Oekom en Allemagne, Arese en France et des dizaines d’autres.

Que deviennent ces agences après la crise et la mise en cause plus générale des agences de notation ?

On assiste depuis 2009 à un véritable big bang avec l’accélération des concentrations dans le secteur qui s’explique par leur business model car ces acteurs ont du mal à être rentable. Quand on travaille pour les investisseurs, deux champs possibles existent : fournir de l’information brute, ce qui est très recherché aujourd’hui (formation, turn-over, accidents du travail) ou privilégier le champ de l’expertise (comprendre un secteur, ses enjeux, ses thèmes…). Le problème c’est que depuis 10 ans, les agences n’ont pas vraiment répondu pleinement aux besoins et beaucoup d’« historiques » se retrouvent en situation critique. C’est pourquoi l’agence canadienne Jantzy a fédéré un groupe de dimension mondiale, avec une forte présence en Europe et en Amérique du Nord en créant Sustainalytics. Un autre acteur fort est Risksmetrics, acteur coté en bourse qui a racheté d’abord ISS le grand proxy pour toutes les AG (analyse et recommandations de vote sur les résolutions en assemblée générale des sociétés cotées en bourse), puis Innovest leader mondial et KLD, leader américain.

Un autre mouvement-clé est esquissé par des acteurs financiers de très grande envergure qui rachètent des agences de notation crédibles et bien installées ou bien se lancent en solo. C’est le cas de Reuters qui a racheté l’agence suisse Asset4 basée à Zug (canton off shore au sein même de la Suisse !) Et surtout Bloomberg, le référent en matière de bases de données financières dans le monde et qui a annoncé mi-2009 sa décision de fournir de l’information extra-financière : quand on est analyste financier ou investisseur, on a un écran Bloomberg devant les yeux en permanence ; ils ont créé une interface pour accéder aux données publiques ESG (Environnement, Social, Gouvernance) fournies par les entreprises et décollent sur les sujets de réchauffement climatique, d’émissions de CO2. Dernier en date, Riskmetrics vient d’être rachetée par MSCI, coté en bourse et au départ un spin-off de Morgan Stanley. MCSI est avant tout un spécialiste des indices financiers ! Enfin, l’agence Sam en Suisse a été rachetée par Robeco, une très grande banque néerlandaise : cette agence est à l’origine des indices de référence en matière de développement durable avec Dow Jones (indice DJSI).

Dans ce paysage difficile pour les agences, certaines s’en sortent beaucoup mieux que d’autres, car ce sont des acteurs puissants qui sont désormais à la manœuvre et qui ont racheté les agences qui leur paraissaient les plus crédibles et les plus connues des investisseurs.

Pour les autres, se pose le problème de leur avenir professionnel. Elles doivent démontrer une expertise, des bases de données, des équipes stables. De ce point de vue-là, tout est ouvert pour parler franchement. La question de l’indépendance des agences et de la gestion des conflits d’intérêts, est devenue cruciale avec la crise et les réformes de la régulation financière. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi les agences extra-financières ont été aussi silencieuses pendant la crise ou en sortie de crise. Avec un tel questionnement sur la finance et son rôle dans le monde on aurait pu s’attendre à des prises de position, or rien ou presque !

Les agences ont-elles été décisives en matière de RSE ?

Jusqu’à présent, les agences de notation sociétale ou extra-financière n’ont pas pesé lourd sur la scène de la RSE. Sauf au niveau local pour EIRIS en Grande-Bretagne ou Ethibel en Belgique avec leur impact militant sur des parties prenantes engagées du type congrégations religieuses (Eiris) ou syndicats de salariés (Ethibel). A un niveau plus global, à part Innovest et Sam en Suisse, je ne vois pas. Cela dit, leur rôle reste clé et indispensable surtout pour celles qui ont su montrer indépendance, crédibilité, robustesse de leurs modèles d’analyse et professionnalisme. Le fait que certaines d’entre elles soient rachetées par des grands groupes constitue d’ailleurs une forme de reconnaissance par la finance traditionnelle. Ceci ne veut pas dire que la RSE n’a pas avancé mais ce ne sont pas les agences qui font le plus bouger la RSE, ce sont les entreprises, l’action publique, les investisseurs ou des mouvements militants mais aussi les brokers c’est- à dire ces intermédiaires des marchés financiers qui ont mis à disposition des investisseurs des bureaux d’études délivrant de la recherche financière puis aujourd’hui extra-financière.

Il y a 10 ans seules 5% des entreprises intégraient vraiment la RSE et le développement durable dans leur cœur stratégique, on est passé à 25% aujourd’hui. Ce n’est pas si mal, les 75% restant cherchent d’abord l’effet com’. Ceci dit, si les choses continuent à avancer, on devrait atteindre un ratio de 35 à 40% vers 2015-2020 et compter alors sur un effet de bascule car tout le monde devra s’y mettre vraiment.

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