par Thomas Schnee
Evoluant dans le double cadre du fédéralisme et de l’économie sociale de marché, et face à un Etat fédéral qui se targue de peu intervenir dans l’économie, les patrons allemands sont depuis longtemps rompus au lobbyisme, une pratique expressément reconnue par la Constitution allemande. Les fédérations des secteurs les plus puissants n’ont donc pas eu de problème à étendre leur sphère d’influence au niveau européen. Avec quelques succès notoires pour la chimie ou l’automobile.
Combien de lobbyistes entretiennent la première économie d’Europe à Bruxelles ? « C’est évidemment impossible à dire, d’autant que plus de la moitié des 15 000 ou 20 000 lobbyistes installés à Bruxelles ne sont pas enregistrés sur le registre de la Commission. Les Allemands sont évidemment nombreux dans les domaines où leur économie est forte comme l’automobile, la machine-outil ou la chimie », explique Nina Katzemich, qui observe les lobbies bruxellois pour l’ONG allemande LobbyControl.
A défaut de chiffres, un bref tour d’horizon donne la mesure de l’intérêt des patrons allemands pour Bruxelles. A coté du bureau bruxellois commun au BDI (Union des industriels allemands) et au BDA (Union des employeurs allemands), les deux grandes organisations patronales allemandes, l’Allemagne est admirablement bien représentée dans les fédérations sectorielles européennes. Ainsi, Jürgen Thumann, ancien patron des patrons allemands occupe la présidence de BusinessEurope, l’organisation faîtière des fédérations patronales européennes. Le puissant CEFIC, qui défend les intérêts des industriels de la chimie, est conduit par Hubert Mandery, représentant de BASF. Quant à l’Association des constructeurs automobiles européens, elle vient de nommer à sa tête Dieter Zetsche, patron de Daimler. Entre autres.
En Allemagne, les milieux économiques n’hésitent pas à s’indigner des interventions parfois musclés des présidents français auprès de la commission européenne, voir des immixtions parisiennes dans certaines batailles industrielles européennes. Sous entendu, les entreprises français ont recours aux pressions politiques, ce qui n’est pas très « régulier » : « En fait, les Allemands ne sont pas en reste pour défendre leurs intérêts. Mais ils le font de manière peut- être moins visible et compensent par un lobbying bien organisé», explique Nina Katzemich. Pour les patrons allemands, l’activité de lobbying n’a rien de tabou. La Constitution allemande reconnait le droit de tout un chacun de s’organiser pour défendre ses intérêts auprès de la sphère politique, le lobbying « étant un rouage naturel et essentiel de l’économie sociale de marché » (1). Par ailleurs, le fédéralisme est générateur par nature de réseaux et groupements régionaux de défense des intérêts au niveau national.
« Le Bundestag est truffé de lobbyistes de tout bords qui ne cachent pas leur activité. Et à Bruxelles, c’est pareil », confirme Mme Katzemich. Outre les nombreux députés allemands ayant partie liée à l’industrie, les fédérations sectorielles nationales s’appuient sur leurs propres bureaux bruxellois, plus de 70 au total, sur leurs participations aux fédérations sectorielles et aux think tanks européens mais aussi, selon les régions où sont implantées leurs usines, sur les importantes représentations bruxelloises des Länder, les régions allemandes : « On aboutit à des structures informelles très imbriquées et peu transparentes où tout le monde se connait et communique très bien », explique Mme Katzemich pour qui l’affaiblissement de la directive REACH (2006), sur l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation de près de 30 000 substances chimiques, ou encore celui de la directive sur le niveau des émissions de CO2 des automobiles (2008), sont deux « succès » des lobbies économiques allemands : « Pour cette dernière, le commissaire européen aux entreprises et à l’industrie, l’Allemand Günter Verheugen, a tout simplement créé un groupe d’experts extérieurs composé de députés pro-automobile, de représentants des constructeurs et d’un seul représentant des intérêts des consommateurs. Appuyés par le BDI-BDA, leur ligne a été d’une part de relativiser les responsabilités de l’industrie automobile en faisant aussi porter le chapeau aux industries sous-traitantes ou aux constructeurs de routes, et d’autre part en exagérant les conséquences pour l’emploi qu’entrainerait une limitation trop forte du niveau d’émission de CO2 des automobiles ».
(1) «Influence allemande à Bruxelles: un état des forces économiques». Florence Autret. In Regards sur l’économie allemande – Bulletin économique du CIRAC. N°69 / 2004.
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