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L’accord-cadre autonome des partenaires sociaux européens signé en octobre 2004 met en cause les organisations du travail et les déterminants de celles-ci en amont. Entretien avec Christophe Teissier, juriste et responsable de projets chez ASTREES

 

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Quelle est l’originalité de l’accord cadre à l’origine ?
L’intention des partenaires sociaux européens n’était absolument pas d’avoir un instrument contraignant. De par ses objectifs et son contenu, l’accord européen relève bien davantage de l’outil mis au service d’actions concrètes. D’où son ambition un peu jargonneuse de fournir aux partenaires sociaux au niveau national « un cadre orienté pour l’action ».

 

Les partenaires sociaux européens se sont appuyés sur un principe de réalité. Au moment où ils engagent la négociation de l’accord en 2003 (Programme de travail 2003-2005), ils savent qu’en abordant le sujet du stress au travail, ils s’inscrivent dans des domaines, ceux relevant de la santé et sécurité au travail, qui font déjà l’objet dans les Etats membres de dispositions impératives. Ces dernières trouvent généralement leur source dans la loi en raison de l’obligation faite aux Etats de transposer les nombreuses directives européennes en la matière. Et notamment la directive-cadre de 1989 qui intime à l’employeur, en bref, de préserver la santé des salariés et de faire application de principes généraux de prévention.

 

Ce contexte explique le choix de l’accord autonome, le second du genre après celui sur le télétravail conclu en 2002 mais dans un contexte profondément différent. Le télétravail était un thème nouveau, pas ou peu abordé par les systèmes juridiques nationaux. Avec l’accord sur le stress au travail, les partenaires sociaux européens abordent un thème, où ce qui manque ce ne sont pas vraiment les dispositions législatives et réglementaires, mais plutôt une capacité commune des partenaires sociaux dans les Etats à prendre en compte la problématique et à la traiter.

 

Les signataires de l’accord cadre ont publié une évaluation sur la mise en œuvre de l’accord-cadre (rapport conjoint des partenaires sociaux publié en 2008). ASTREES travaille de son côté sur cette question au travers de différents projets nationaux comme européens. Quelles sont vos conclusions ?

Les situations sont très contrastées selon les pays, car l’accord a été transposé en contemplation des systèmes nationaux et de la sensibilité de chaque pays à la problématique.

 

En République Tchèque par exemple, la conclusion de l’accord-cadre européen a eu une certaine incidence sur les débats nationaux, mais n’a pas abouti à un accord national, parce que les règles gouvernant la négociation collective dans ce pays font que le taux de couverture conventionnel est extrêmement faible (30% des entreprises seulement). La mise en œuvre de l’accord s’est ainsi davantage traduite par des modifications législatives ciblées sur l’obligation d’évaluation des risques en général (2006) et des recommandations de la confédération syndicale CMKOS en vue de la conduite de négociations « décentralisées » (2008).

L’accord a donc été mis en œuvre sous des formes différentes, notamment, dans certains pays tel que Chypre, au travers de déclarations conjointes des partenaires sociaux au niveau national. Le recours à l’instrument juridiquement contraignant n’est donc pas la norme générale en la matière.

 

Impact mineur

Certains pays étaient en avance, donc l’accord-cadre n’a pas eu d’impact sensible sur eux. Les partenaires sociaux belges avaient conclu dès 1999 une convention collective sur le management du stress au travail, étendue au secteur public seulement en 2007 par décret royal. L’Angleterre avait déjà initié une réflexion approfondie sur l’élaboration de « standards » de management sur le stress au travail, menant à la publication de lignes d’actions par le Health & Safety Executive dès 2004.

 

Par ailleurs, l’impact social réel, dans certains pays est peu avéré. En Hongrie, le stress n’est pas un sujet de dialogue social. Dans un pays où on est mal payé, la question du stress au travail ne se pose pas en tant que tel. Les priorités sont d’abord le salaire et le temps de travail, problématiques qui peuvent cependant permettre d’aborder le thème de la surcharge de travail.

Surmonter un déni
La France ou l’Italie n’étaient pas très au clair sur la question du stress. L’accord-cadre a permis de surmonter, dans une certaine mesure, un déni de la problématique qui considère que le stress est un état personnel, qui n’a rien à voir avec le travail. Or, sur ce point, l’accord-cadre est une vraie nouveauté, car il établit un lien spécifique entre les organisations du travail et le stress. Il a fonctionné comme un levier pour l’engagement, par exemple, de négociations interprofessionnelles spécifiques sur la question. L’accord-cadre nomme les choses. Il le fait plus ou moins bien, reste que ce texte conjoint fait état d’une description du stress et que dans cette description et dans l’énonciation de certains facteurs de risque, on spécifie les liens entre stress et travail.

 

Dans le cas de la France, la mise en œuvre de l’accord est très formalisée par un accord interprofessionnel signé en novembre 2008, étendu par arrêté ministériel en mai 2009, devenant par ce fait obligatoire dans l’ensemble des entreprises du secteur privé indépendamment de leur taille. Qu’est-ce qui explique que la France ait été plus loin ?

Par rapport à l’accord européen, l’accord français met davantage l’accent sur une approche du stress au travail que l’on pourrait dire collective plutôt qu’individuelle. La description du stress change par rapport à celle de l’accord européen et se rapproche de celle donnée par l’agence européenne pour la santé et la sécurité au travail.

 

Le stress au travail est envisagé d’un point de vue « organisationnel ». Il y a avait là un enjeu pour distinguer le stress du harcèlement moral mais aussi et surtout pour sortir d’une approche trop individualisée de la problématique du stress. Les partenaires sociaux français ont supprimé toute référence au caractère potentiellement positif du stress. Sur le contenu du texte, les facteurs de risque sont beaucoup plus détaillés que dans le texte européen. Globalement, l’accord veut éviter une approche individualisée et médicalisée. Les organisations syndicales, et parmi elles, très clairement la CGT et la CFDT, défendent le contraire d’une approche médicalisée. Le stress n’est pas une question de psy, de hotline, il doit permettre de repenser les organisations du travail, de remettre en cause en amont les déterminants de l’organisation du travail.

Que manque-t-il par conséquent à l’accord européen ?
Il manque peut-être des outils lisibles et accessibles, du support, de la sensibilisation. Dans un certains nombre de pays, cela existe. Citons par exemple les recommandations établies conjointement au niveau interprofessionnel par les partenaires sociaux autrichiens en 2006 ou les outils clairs et faciles d’accès promus au Royaume-Uni par le HSE.

 

Au-delà, un des problèmes majeurs pour appréhender le stress au travail tient à la difficulté à disposer de leviers pour changer les organisations du travail. Dans cette mesure, il est logique que des instruments d’accompagnement individuel des salariés aient tendance à s’imposer. Or, appréhender le stress au travail implique d’approcher en profondeur les activités de travail réelles et donc les ressources qu’y investissent les travailleurs (salariés comme agents publics). Dès lors, il est difficile de prétendre gérer le stress au travail sans renforcer l’implication des salariés dans la mise en discussion du travail réel qu’ils fournissent. Comment à défaut saisir l’extrême diversité des situations de travail, elles-mêmes fonction des secteurs d’activité, des lieux de travail, des métiers et des identités professionnelles ?

 

 

Repère :
Accordcadre européen contre le stress, 2004 (77 Kb PDF) (en anglais)- traduction FR

Dossier de la CES sur la mise en oeuvre de l’accord-cadre européen

Dossier INRS sur le Stress

 

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