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Les nouveaux indépendants sont faibles, mais ne veulent pas pour autant être assimilés au salariat. La crise a-t-elle éloigné toute perspective de réglementation européenne ? Entretien avec Adalberto Perulli auteur du rapport européen sur ces indépendants économiquement dépendants (2002).

 

Perulli

Dans ce contexte de récession et d’éclatement du travail, comment évolue le travail indépendant en Europe ?

Le travail indépendant a beaucoup changé ces dernières années. Il existe un monde de nouvelles professions dans l’informatique, le graphisme, le bâtiment. Ce sont des travailleurs indépendants, très précaires, la plupart du temps. Ils n’ont pas les mêmes caractéristiques que les travailleurs indépendants d’autrefois, qui étaient puissants avec un portefeuille de clients, des obligations contractuelles, c’est d’ailleurs pour cela qu’ils n’étaient pas visés par le droit du travail. Les nouveaux indépendants sont faibles, mais ne veulent pas pour autant être assimilés au salariat. C’est une des raisons pour lesquelles l’Espagne a choisi de leur donner une nouvelle idendité juridique. Surtout qu’ils sont organisés en syndicats, donc assez forts pour demander une loi sur les « autonomes ».

 

Ce n’est pas le cas en France ou en Italie. La France par exemple a des bons mécanismes d’assimilation des indépendants vulnérables. Le manque d’intérêt relatif en France tient peut-être à ces puissants mécanismes, à la jurisprudence, qui font la spécificité de certaines catégories de professionnels, comme par exemple les gérants non-salariés de succursales de la distribution, ou encore les taxis.

 

Quel a été l’impact de votre rapport européen de 2002 sur les indépendants économiquement dépendants ?

L’Italie et les syndicats européens avaient plaidé pour ouvrir une discussion sur le sujet de indépendants économiquement dépendants avec l’UNICE (BusinessEurope aujourd’hui). Ils ont pensé que la Commission prendrait au mieux une directive en ce sens, au moins une recommandation. A la demande de la Commission, j’ai rendu un rapport que j’ai ensuite présenté devant le Parlement européen (lire ici).

 

Mais le patronat a refusé de négocier. Dans les débats publics, les représentants des entreprises ont louvoyé, prétextant que le moment n’était pas venu. Alors que dans leurs discussions internes, ils y étaient clairement opposés. Dans son livre vert de 2006 sur la Modernisation du marché du travail, la Commission a rappelé que la question du travail indépendant n’était pas réglementée, donc que la question était ouverte. Mais cette proposition est restée lettre morte. De ce que je sais, il n’existe pas de nouvelle initiative à ce jour.

 

Pourquoi ? Parce que dans chaque indépendant un entrepreneur sommeille ? Donc ils ne veulent pas être assimilés aux salariés et soumis au Droit du Travail ?

Non, c’est plutôt que les indépendants économiquement dépendants sont flexibles, ils peuvent se substituer aux salariés. Ils coûtent aussi moins cher et posent moins de problèmes. C’est très pratique au fond d’avoir recours à cette catégorie de travailleurs. La question des indépendants fragiles paraît vraiment subsidiaire dans ce contexte de récession. La priorité est de protéger les salariés, mais c’est un faux calcul, car les indépendants sont très vulnérables, surtout dans les secteurs affectés par la crise : le bâtiment notamment.

 

Les indépendants pourraient-ils être une porte d’entrée pour constituer un droit du travail communautaire ? La charte des droits fondamentaux des travailleurs est-elle un fil rouge pour définir les droits du travail quel que soit le statut au travail ?

La sphère politique devrait prendre en charge ces questions au niveau européen. Mais, la Charte des droits fondamentaux : c’est de l’idéologie, de la mythologie. Dans la pratique, ces principes ont le mérite d’exister, ils peuvent être utilisé au niveau national pour la juriprudence.

 

De fait, la crise a éloigné toute perspective de réglementation. L’Europe n’a plus de projet de réglementation en matière de travail depuis la dernière directive sur le travail intérimaire. La recommandation de 2003 autour de la santé et sécurité des indépendants n’était pas très intéressante, car la plupart des Etats ont déjà des dispositions en la matière. Même sur la prévoyance et les assurances sociales, il existe un règlement communautaire de 1971 ! Un nouveau règlement est en principe en préparation, il englobe salariat et le travail indépendant.

 

Au niveau européen, les négociations doivent surmonter trop de clivages, seule la méthode ouverte de coordination (MOC), la soft law permet d’avancer. Les initiatives appartiennent aux Etats membres. Seule l’Espagne a pris des dispositions législatives autour des travailleurs économiquement dépendants. L’Italie de son côté a l’idée de créer un statut du travailleur général, qu’il soit salarié, indépendant ou parasubordonné.

 

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