4 minutes de lecture

Clin d’œil bien sûr à l’apostrophe de Nicolas Sarkozy selon lequel « il est ridicule de mettre La Princesse de Clèves dans les programmes des concours de l’administration ! ». Le film de Régis Sauder relate l’expérience d’une enseignante de français qui travaille avec ses élèves sur ce roman du XVII° siècle : pour se l’approprier, les élèves d’une classe de Terminale vont le jouer comme une pièce de théâtre, ou comme les dialogues d’un film.

 

princesses de cleves

Contrairement au film de François Bégaudeau, Entre les murs, la présence de l’enseignante est très discrète. Les véritables acteurs du film sont les élèves qui disent le très beau texte de Mme de Lafayette, qui parlent entre eux de ce que ce texte leur dit, qui parfois en parlent dans leur famille et font réagir leurs proches. Les élèves ne sont pas dans une salle de classe, mais dans le hall du lycée, chez eux ou dehors dans ces paysages mi-artificiels mi-sauvages de banlieues. L’enseignante et le cinéaste ont eu la belle idée de filmer les réflexions que le texte et les personnages font naître chez les adolescents : la littérature est un moyen de se projeter dans les personnages et parfois de se trouver soi-même. Telle jeune fille se compare à la Princesse de Clèves, ou réagit sur les rapports que la « Princesse » entretient avec sa mère : le parallèle est vite fait avec des situations familiales un peu étouffantes qui voisinent avec la grande liberté du monde d’aujourd’hui. Les jeunes sont visiblement très sensibles aux liens de dépendance forts qui unissent la Princesse à la conformité sociale.

 

Ainsi tandis qu’ils lisent et « disent » le texte de la Princesse de Clèves, ils y pensent, s’en servent comme on le fait souvent de la littérature quand on est ado, comme d’un langage pour réfléchir leurs identités, leurs problèmes d’amour, de relations à la famille. Les familles réagissent aussi, les pères – encore un peu dans des traditions africaines ou musulmanes, ou les deux – les mères silencieuses, mais si présentes. C’est riche pour eux et cela peut les aider à se construire.

 

Le renoncement

Ils ont des rêves aussi. Avoir le bac, d’abord : l’insistance avec laquelle ils en parlent, leur famille qui l’espère comme une chose vaguement inaccessible, s’enflammant à l’idée de la fête qu’ils feront ce jour-là. Etre avocate. Faire médecine…

 

Mais la confrontation au « bac blanc », puis au vrai bac est sévère. Et s’installe dans le film l’idée que « ces jeunes-là n’ont aucune chance », ils ne sont pas dans le moule, ils n’ont pas le langage. Ils ont merveilleusement joué la Princesse de Clèves, ils ont compris beaucoup de choses de ce roman, ils ont su bien en parler. Mais la pédagogie est de peu de secours face à la machine à sélectionner scolaire et sociale. Le bac ne sera au rendez-vous que pour un très petit nombre. Triste phrase que celle d’une jeune fille qui rêvait d’être avocate : « C’est pas grave, moi ce que j’aime c’est servir dans les restaurants ».

 

Pessimiste et beau, tel est ce documentaire : La Princesse de Clèves est le livre du renoncement à l’amour, Nous, Princesses de Clèves est le film des espoirs déçus et des destins déjà écrits. Mais on ne sait jamais… on pressent qu’il en restera quelque chose pour eux. Les grands textes peuvent et doivent être mis entre toutes les mains, sans démagogie.

 

J’ai repensé en voyant ce film au livre de Danièle Sallenave, Nous, on n’aime pas lire (Gallimard, 2009). L’écrivain participe à une opération de «  parrainage » de classes qui l’emmène dans un collège «  Ambition réussite » (une de ces expressions qui «  positivent » pour améliorer l’image des ZEP – Zones d’éducation prioritaire -) à Toulon. Danièle Sallenave écrit le récit de cette expérience, comme une sorte de carnet de voyage : certes l’école reproduit et ne permet que très faiblement des parcours «  d’ascension sociale », une grande part des destins d’emploi et de travail s’écrit très tôt : voir le dossier de Metis Ecoles et sociétés. Mais est-ce une raison pour renoncer à être exigeant, pour renoncer à la qualité de l’enseignement à laquelle de très nombreux enseignants sont attachés.

 

 

Film : Nous, Princesses de Clèves de Régis Sauder 2010

 

A lire : Danièle Sallenave, Nous, on n’aime pas lire, Gallimard, 2009

  

 

Print Friendly, PDF & Email
+ posts

Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.