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Alors que dans plusieurs pays une discussion s’est ouverte sur un permis à points en matière de migrations, le Danemark lui l’a déjà introduit. Le pays est un cas à part en Europe sur ces questions. Mi-mai, face à l’arrivée de migrants tunisiens, il a établi des contrôles douaniers « renforcés » à ses frontières avec l’Allemagne et la Suède. Le Parti du Peuple danois (PPD, extrême-droite) prônait une mesure plus radicale de contrôles systématiques, qui l’aurait placé en infraction avec les règles de Schengen sur la liberté de circulation.

 

danemark

Le pays reste en dehors de la plupart des décisions européennes sur l’immigration. Il n’a pas signé la directive européenne sur la carte bleue européenne et ne discute pas sur le permis unique. Depuis l’arrivée du Parti du Peuple danois (PPD, extrême-droite), dans la coalition en mars 2010, la politique migratoire danoise est plus restrictive à l’encontre des non-Européens. Le système à points concerne autant les candidats à l’entrée, que les étrangers déjà résidents qui doivent renouveler leur permis de séjour et de travail et n’y parviennent pas toujours.

 

Officiellement, le gouvernement veut s’assurer que tous les individus sont « employables et contribuent activement au fonctionnement de la société danoise, explique l’auteur du blog « Courrier Danemark » joint par téléphone. En 2007, les étrangers représentaient 10% de la population active. Aujourd’hui, le gouvernement veut affiner la sélection de migrants qualifiés pour que le taux d’emploi des étrangers reste l’un des meilleurs d’Europe. Il a gagné 10 points en 10 ans (de 55% pour les non-occidentaux, de 60% pour tous les étrangers) ».

 

Pour appuyer sa demande, le candidat doit remplir une série de critères d’intégration : attachement au Danemark, travail à temps plein, bénévolat, expérience professionnelle, ressources, logement… Un étranger de plus de 24 ans a besoin de 60 points. S’il a moins de 24 ans, il lui faut totaliser 160 points (une limite d’âge controversée sensée remédier aux mariages blancs). Il peut aussi recevoir son permis après quatre années de résidence, contre sept ans auparavant.

 

Les conditions sont tellement draconiennes qu’entre le 1er juin 2010 et décembre 2010, seulement 5 personnes ont obtenu un permis de séjour permanent, révélait le quotidien Berlingske Tidende. Pire : 95% des demandes ont été rejetées estime Leif Randers, du Conseil Danois des Immigrés. Le but est de fermer les portes aux immigrés non-Européens, accuse Marie-Sophie Germain sur son blog Europe Upstairs.

 

Les « occidentaux » privilégiés

« La distinction se fait moins entre européens et non-européens, qu’entre occidentaux et non-occidentaux » affirme Courrier Danemark. C’est à dire, les pays de l’OCDE. Le mois dernier Søren Pind, virulent ministre de l’Immigration a affirmé dans plusieurs déclarations fracassantes que les immigrés des pays riches ne seraient pas soumis au système de points. Dans les faits, c’est déjà un peu le cas.

 

Au Danemark, les travailleurs migrants sont d’abord non-européens, car ils sont originaires des pays dits « Nordiques » Norvège et Islande, dont les ressortissants ont le droit de résider et de travailler sans permis. Contre toute attente, le troisième pays d’origine est l’Ukraine, d’où le Danemark fait venir des saisonniers dans le secteur agricole.

 

Les Européens peuvent en général résider trois mois au Danemark, et jusqu’à six mois s’ils cherchent du travail. Dans ce cas, ils doivent s’enregistrer auprès de l’administration régionale d’État et demander un titre de séjour. Cette démarche n’est pas simple à moins d’avoir un contrat de travail, d’exercer comme indépendant, ou de venir comme étudiant, décrit le ministère de l’Intérieur, qui précise que le demandeur « ne doit pas devenir un fardeau pour les autorités ».

 

En 2008, selon Eurostat, 7 420 permis de travail ont été délivrés. Certaines professions sont inscrites dans une liste dite « positive », où la main d’œuvre qualifiée manque : construction, technologies de l’information et télécommunications, management, éducation, travail social et religieux, commerce et marketing, soins et aide à la personne.

 

Le sésame pour une intégration factice

Rare, car précieux, le permis de travail ouvre en principe les portes de l’État Providence danois, car il ouvre certains droits sociaux. Le centre de recherche sur les relations professionnelles de Copenhague (FAOS) estime que 44 000 migrants proviennent des 12 nouveaux pays européens (Pologne en tête). 10% d’entre eux seulement sont couverts par des accords collectifs. Les 39600 restants travaillent de longues heures : en moyenne 58h/semaine pour environ 6,7€ de l’heure.

 

Muni d’un permis de travail, les non-Danois ne se syndiquent pas, même lorsqu’ils bénéficient de la liberté d’association et d’affiliation. « Ainsi, 3 Polonais sur 4 travaillant à Copenhague n’ont jamais eu de contact avec un syndicat. La moitié ne sait pas si elle est concernée par une convention collective », détaille Jens A. Hansen du FAOS. Il a conduit une étude auprès de 500 travailleurs polonais avec la confédération Landsorganisationen (LO) et le ministère du travail. L’étude montre qu’être sous convention collective et s’affilier à un syndicat (11% des Polonais présents au Danemark) assure de meilleurs salaires et des horaires de travail normaux.

 

« Les Polonais sont assez sceptiques sur l’utilité de se syndiquer. La majorité reste peu de temps, gagne un peu d’argent et repart, précise le chercheur. Un Polonais sur cinq compte rester de manière permanente, et au total, moins de la moitié envisage de rester plus de 5 ans ». Cela explique en partie que les syndicats danois se soient peu préoccupés de leur sort sauf en menant des actions ponctuelles, notamment en éditant des brochures sur le droit du travail en polonais.

 

Les Polonais de Copenhague se sont organisés de manière plus ou moins formelle. Ils s’échangent des informations et des conseils sur le web à propos de leurs expériences, d’opportunités d’emploi, de bons plans de logement. Autre transformation de taille : dans ce pays majoritairement protestant, les Églises catholiques ont dû embaucher des prêtres parlant polonais pour les nouveaux venus. En fin de compte, les Européens sont donc plutôt privilégiés.

 

Aujourd’hui, le gouvernement veut repousser l’effectivité du droit d’accès aux soins médicaux gratuits après une période de probation de plusieurs années, pendant lesquelles les consultations, examens ou opérations seront à la charge des migrants, rapporte le Copenhagen post. Il en serait de même pour les congés maternité, les prêts étudiants et les allocations. « Le temps est venu pour nous de mettre en place des conditions plus restrictives, estime le ministre de l’emploi Inger Støjberg. Il est important que les gens méritent ces avantages. Notre système actuel d’État providence est très vulnérable, parce qu’il est trop facile d’en profiter ». Le ministère examine jusqu’où il peut aller sans violer le droit communautaire et international.

 

 

 

Dernières déclarations du Ministre de l’Immigration

Europe Upstairs

FAOS : « Polish migrant workers and the Danish Labour market model » – Site internet

Blog de Courrier Danemark

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