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En France, un tiers des emplois sont fermés aux migrants non-européens, au nom de la « protection de la main d’œuvre nationale », comme l’annonce le préambule du CESEDA : le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui rassemble les règles concernant l’immigration. En avril dernier, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant a annoncé la réduction de l’immigration du travail de 20 000 personnes et une plus grande restriction des métiers autorisés. Pure démagogie ?

 

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En France, l’immigration professionnelle non-Européenne reste stable avec 31 500 personnes ces deux dernières années (Chiffre France Terre d’Asile). Le solde migratoire (toutes les entrées et sorties du territoire) est également stable à +71 000 (Eurostat 2009). Lorsqu’une préfecture reçoit une demande d’autorisation de travail pour un étranger qui veut être plongeur dans un restaurant, la direction des Etrangers vérifie le fichier de Pôle Emploi qui recense les besoins de main d’œuvre (BMO). Si le métier peut être pourvu par un Français, la demande est rejetée. Récemment, la circulaire du 31 mai rappelle aux préfets les critères de refus : taux de tension insuffisamment élevé, possibilité de former des demandeurs d’emplois en France, offre d’emploi qui n’a pas débouché pendant au moins 2 à 3 mois.

 

Il existe une liste de 30 métiers autorisés, plus ou moins restreinte selon les régions françaises. Et davantage lorsque des accords bilatéraux ont été signés pour les Tunisiens (77 métiers), Sénégalais (108), Congolais (15), Gabonais (9), Béninois (16) et Mauriciens (61). Les Tunisiens peuvent ainsi être serveurs, informaticiens, enseignants. Les Sénégalais s’engager comme matelots, maçon, infirmier, etc… « Ce sont des métiers qui souffrent d’une pénurie de main d’œuvre, dans la mesure où la plupart des Français refusent les conditions de rémunération et de travail proposées par les employeurs », précise François Brun, sociologue au CNRS (centre Genre travail mobilités, GTM) et militant au sein du mouvement « D’ailleurs, nous sommes d’ici ». 

 

Potentiel gâché

Ces quotas posent un véritable de sous-emploi des ressortissants étrangers, estime le MIPEX, l’index européen des politiques d’intégration des migrants. Le taux d’emploi était de 41% en 2009, le taux de chômage de 23%, soit 14 points au-dessus de celui des nationaux. Pourtant, l’accès à l’emploi est l’une des priorités du gouvernement français en vue de faciliter l’intégration des primo-arrivants dans la société française, dit l’OFII (Office Français de l’immigration et de l’intégration).

 

Les politiques cumulatives et souvent incohérentes (5 lois en 7 ans) expliquent en partie ce taux d’emploi très faible. En effet, le principe utilitariste demeure une constante. « Alors que le gouvernement promet l’immigration choisie, il refuse à tous les résidents non-européens l’égalité des chances sur le marché du travail et ailleurs. En Europe, la France a les politiques d’immigration les moins favorables aux nouveaux venus et les politiques d’intégration les plus contradictoires de tous les pays d’immigration ancienne », constate le MIPEX.

 

Entre autres : certains obstacles sont levés pour les migrants du travail (contrat d’accueil et d’intégration, bilan de compétence), mais maintenus pour le regroupement familial. Ils sont encouragés à devenir des citoyens, mais n’ont pas le droit de vote, alors que l’opinion publique y est plutôt favorable. Ils bénéficient de mesures de soutien pour exercer certaines professions, mais d’autres leurs sont fermées : près de 30% de toutes les offres d’emploi de France incluant le secteur public (fonctionnaires), 50 professions du secteur privé (vétérinaires, pilotes, marchand de tabac). Il leur est aussi interdit de se mettre à leur compte dans de nombreuses professions régulées (avocat, médecin, architecte, pharmacien).

 

La France fait figure d’exception parmi les pays européens, surtout parmi ceux qui cherchent à attirer des migrants qui ont un accès total au secteur privé et à l’emploi indépendant et un accès sous condition au secteur public. La Halde avait émis des recommandations en 2009 pour lever le critère de nationalité dans le secteur privé, dans le service public, les compagnies publiques et les institutions. Mais l’État préfère procéder par accords avec des entreprises ou organismes : Vinci dans le Nord-Pas-de-Calais, Manpower à Paris, ou encore la Fédération des entreprises de propreté et services associés (FEP) en Alsace et à Paris.

 

De plus, les migrants n’ont pas l’intégralité des droits et pouvoirs syndicaux, contrairement à tous les autres pays européens. En 2004, les migrants ont notamment perdu le droit d’être élus aux Prud’hommes et aux chambres de commerce.

 

Ainsi, conclut le Mipex le potentiel des migrants est gâché. À long-terme point le risque de leur exclusion économique et sociale. En effet, même les métiers de la liste n’ouvrent pas toujours droit à la régularisation. Depuis 2006, des milliers de sans-papiers, soutenus par les principales organisations syndicales (CGT, CFDT et Solidaires) se sont mis en grève (comme le relate l’ouvrage On bosse ici, on vit ici, on reste ici). Récemment, c’est le cas de femmes de chambre cap-verdiennes d’une résidence Pierre & Vacances à Cannes qui sont arrivées en France avec des faux-papiers portugais. Ces immigrés sont aidés par plusieurs organismes, le GISTI (juridique), la Cimade (entraide, conseil en rétention), le MRAP (contre toutes formes de racismes) et RESF (enfants de migrants). Le gouvernement a refusé la régularisation collective de tous les sans papiers traitant les dossiers au cas par cas.

 

 

Délocalisation « sur place »

Les étrangers séjournant régulièrement sur le territoire français seraient de plus en plus précarisés, socialement et économiquement, du fait de titres de séjour de plus en plus courts et de l’arbitraire des procédures administratives. La complexité favoriserait le travail au noir, lui-même responsable de dumping social. Cette critique émane d’une vingtaine de députés européens et nationaux qui ont fait le bilan de la politique d’immigration française dans un audit rendu public le 11 mai 2011.

 

Pour le sociologue François Brun, cela revient à constater une « délocalisation sur place : une combinaison de conditions de production qui s’approchent de celles qu’offrirait la délocalisation dans les pays du Sud et d’une production « sur place ». Dans le contexte actuel de précarisation générale du travail, l’instabilité est plus grande. Les intérimaires sont en général les moins bien protégés. Certains métiers sous-payés, pénibles ou dangereux (restauration, nettoyage, bâtiment, gardiennage, confection) sont devenus ethniques, car il est beaucoup plus difficile de changer de secteur d’activité lorsqu’on n’a pas un titre de long séjour. À Avignon par exemple, les Turcs sont plutôt dans le BTP, alors que les Maghrébins sont dans l’agriculture. À Marseille, les Comoriens dans la restauration. Et la concentration du nombre d’étrangers dans un métier influence le droit réel ».

 

Ainsi, plusieurs enquêtes du sociologue dans le milieu de la confection du Sentier à Paris, démontrent comment des pratiques illicites s’instaurent en parallèle du droit du travail. Les façonniers du Sentier recourent quasi-exclusivement à une main d’œuvre en situation irrégulière. Employeurs et employés ont une expérience commune de l’immigration et souvent celle d’une période de séjour irrégulier. Dans la précarité, « ils ont tendance à rester entre eux, explique François Brun. Souvent, une fois qu’ils obtiennent la carte de 10 ans, ces migrants créent leur propre entreprise, car contrairement aux idées reçues, les migrants ne sont pas « toute la misère du monde ». Ils disposent d’un petit capital social, culturel, voire financier, qu’ils souhaitent faire fructifier ».

 

 

Charge déraisonnable

Les Européens sont mieux lotis car ils bénéficient de la libre circulation. Le droit de séjourner en France sans formalité particulière est de 3 mois. Selon, le nouveau projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la naturalisation voté définitivement par le Parlement le 11 mai 2011, un citoyen européen peut cependant faire l’objet d’une mesure d’éloignement s’il devient « une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale » (assurance maladie, aide sociale, prestations publiques). De même, un étranger, européen ou non, présent depuis plus de trois mois, mais moins de trois ans,pourra être reconduit à la frontière en cas de menaces à l’ordre public, telles que mendicité agressive, vols répétés, ou occupation illégale d’un terrain.

 

Ces deux mesures visent notamment les Roms. Elles font suite aux « événements » de juillet 2010 où, suite au décès d’un jeune de la communauté du voyage, tué par les gendarmes après avoir forcé un contrôle, des violences avaient éclaté dans plusieurs communautés Roms de France. S’en est suivi un durcissement des discours, des législations et des actions (démantèlements de camps) visant directement la communauté Rom. D’après les derniers chiffres du ministère de l’Intérieur, près de 82 500 mesures d’éloignement du territoire français ont été prononcées en 2009 et 16900 exécutées. Cette année-là, 10177 Roms ont été expulsés sans caméras vers la Bulgarie et la Roumanie pour un coût estimé à 11 millions d’euro par l’Observatoire des subventions.

 

L’audit des parlementaires note ainsi sans surprise que « la politique du chiffre coûte cher et mobilise trop de fonctionnaires ; son efficacité est remise en question ; les coûts de la politique de lutte contre l’immigration illégale sont accusés d’opacité ; le contentieux des étrangers, nombreux, surchargent les tribunaux ».

 

 

Repère

– 3,6 millions d’étrangers vivent en France, un tiers sont membres de l’Union Européenne. 40% vit en Ile-de-France.

– 13% des naissances surviennent dans des couples binationaux, 8% dans des couples où les deux parents sont étrangers

– Les principaux pays d’origine des étrangers sont le Portugal (490 000), l’Algérie (475 000), le Maroc (450 000) et la Turquie (220 000). (INSEE 2007)

– Le solde migratoire net en France pour 2009 est de 71 000 individus (Eurostat). Il est stable.

– Il existe 7 cartes de séjour temporaire : (vie familiale, salarié, travailleur temporaire, compétence et talent, retraité, étudiant-élève)

– La carte de long séjour est valable 10 ans

 

 

FOCUS : Le contrat d’accueil et d’intégration (OFII)

Depuis 2003, un étranger entre 18 et 55 ans signe un contrat d’accueil et d’intégration (CAI). Le nombre de signataires s’élève à 97 736 personnes en 2009, dont l’âge moyen est de 31.8 ans. Près de 91% des signataires sont arrivés depuis moins de 10 ans. On compte une légère majorité de femmes signataires (52%).

 

Les signataires membres de familles de Français (conjoints + parents d’enfants français + ascendants ou enfants) représentent à eux seuls 48.8% (46.7% en 2008) des signataires contre 14.5% (14.3% en 2008) pour la catégorie liens personnels et familiaux, 9% (12.3% en 2008) pour les travailleurs, 8.5% (10.6% en 2008) pour les bénéficiaires du regroupement familial ; et 12.6% (10.5% en 2008) pour les réfugiés, apatrides et les membres de leur famille.

 

Sur les 150 nationalités représentées parmi les signataires, les ressortissants du Maghreb représentent 37.2 % (41.5% en 2008) des signataires (algériens : 17.4% ; marocains : 13.45% et tunisiens : 6.4%), viennent ensuite les Turcs (5.6% des signataires), les Maliens (5.2%), les Congolais (Brazz + RDC) (4,4%), les Camerounais (2.9%), les Chinois (2.8%), les Ivoiriens (2,7%) et les Sénégalais (2.7%).

 

La loi immigration intégration du 20 novembre 2007 a rendu obligatoire pour certains signataires du CAI, le bilan de compétences professionnelles. Cette prestation, expérimentée en 2008, a été généralisée sur l’ensemble du territoire à partir de février 2009. Il permet aux signataires de connaître et de valoriser leurs qualifications, expériences et compétences professionnelles dans le cadre d’une recherche d’emploi.

 

Près d’un bénéficiaire sur cinq est employable directement, un tiers a un intérêt pour les secteurs porteurs, mais des freins à l’emploi sont constatés dans 21,5% des cas, 26,2% ont besoin de formation et d’accompagnement et moins de 5% d’un accompagnement social.

 

Pour compenser la fermeture de 30% des emplois, des conventions ont été signées en 2009 avec :

> Le groupe VINCI pour faciliter l’accès à l’emploi des signataires CAI dans les sociétés du groupe dans la région Nord-Pas de Calais.

> France Terre d’Asile (FTDA) pour la mise en place de parcours individuels d’intégration par l’accès au logement et à l’emploi par le recours à la mobilité géographique pour les signataires de l’Ile-de-France (projet Métis).

> Le Service des droits de femmes et de l’égalité (SDFE) et le Centre national d’information sur le droit des femmes et des familles (CNIDFF) pour favoriser l’accès à l’emploi, à la formation et à la création d’entreprise des femmes signataires CAI en région Centre et en Bretagne.

> Manpower pour faciliter l’emploi dans le travail temporaire, le placement en entreprise ainsi que des actions de formation linguistique à visée professionnelle pour les signataires du CAI à Paris.

> La Fédération des entreprises de propreté et services associés (FEP) pour la mise en place de formations de découverte des métiers du secteur de la propreté pour les signataires CAI à Paris et en Alsace.

 

Circulaire du 31 mai sur l’immigration professionnelle

– Mouvement D’ailleurs nous sommes d’ici

– Rapport du SOPEMI pour la France  « Immigration et présence étrangère en France en 2009 », novembre 2010 

La liste des 150 métiers destinée aux ressortissants des nouveaux pays européens encore soumis à un régime transitoire (Bulgarie, Roumanie)

Les listes des 30 métiers destinée aux ressortissants des pays tiers.

– Audit de la politique d’immigration, d’intégration et de co-développement ; mai 2011 lien

– Pierre Baron, Anne Bory, Sébastien Chauvin, Nicolas Jounin, Lucie Tourette, On bosse ici, on reste ici La grève des sans papiers: une aventure inédite, La Découverte, 2011, 315 p. Récension

Recommandations de la Halde

– Le coût des expulsions de Roms pour 2009 sur L’observatoire des subventions.

 

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