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Installé face au soleil, sur une chaise branlante, dans un hangar sans climatisation. Pour désarçonner les commerciaux, les pratiques déloyales des acheteurs de la distribution ne manquent pas. Réflexion sur un monde de négociations ardues sans manichéisme, où l’Etat veut jouer le rôle d’arbitre.

 

fournisseur requin

« Si vous n’acceptez pas nos conditions, on vous classe code 9 ». Dans le jargon, cela signifie que le produit est déréférencé et ne sera plus en rayon, explique Michel Ghazal du Centre européen de la négocation, qui forme chaque année 2000 personnes aux relations commerciales « constructives » chez les industriels comme Pasquier, Fleury Michon, Danone, 3 M, et tous les acheteurs de chez Cora depuis 5 ans. « Autrefois la distribution était plus éparse, elle est concentrée aujourd’hui par sept grandes enseignes, avec une capacité d’achat si grande, qu’elle peut représenter 20% du chiffre d’affaires d’un industriel, et davantage pour une PME ».

 

Les 10 000 industriels qui fournissent la grande distribution n’ont pas tous la même force de négociation. Les rayons de Leclerc ne peuvent pas se passer de produits Lactalis et de marques-phares comme Danone ou Ricard. Les géants de l’agroalimentaire sont regroupés au sein de l’ANIA – l’association nationale des industries alimentaires. Plus petites, près de 600 PME ont rejoint la FEEF (Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France), une association à but non lucratif, créée à la demande de Carrefour en 1995 dont le métier est de faciliter les relations avec les PME qui fournissent toute la grande distribution et en sont souvent très dépendantes.

 

Équilibrer les rapports commerciaux

En 2008, la loi de modernisation de l’économie (LME) a remplacé la loi Galland, pour mieux encadrer la négociation commerciale et contrôler définitivement les fameuses « marges arrières », dans le jargon, ce sont les rémunérations ou des remises différées versées par le fournisseur au distributeur qu’il ne pouvait intégrer dans le calcul de ses prix de vente aux consommateurs.

 

Les points essentiels de la LME sont : la réduction des délais de paiement, qui pouvaient aller jusqu’à 160 jours et sont limités à 40 jours (60 effectivement), le renforcement des sanctions en cas d’abus constatés par les services de la répression des fraudes (DGCCRF) qui a mis en place une « brigade LME ».

 

Elle traque si le déséquilibre entre les parties contractantes est significatif. « Toute la discussion des juristes tourne autour de l’interprétation de la notion de « déséquilibre significatif », principale mesure de protection des PME, décrypte Ismahane Abandarat, juriste de la FEEF. Cette notion est le pendant de la libre négociabilité des tarifs, mais elle est encore floue, car il existe peu de jurisprudence à ce jour ». « Nos PME ont grandi grâce à la grande distribution, explique Noëlle Bellone, déléguée Générale. Nous travaillons donc ensemble au respect des négociations commerciales dans l’application de la loi stricto sensu ».

 

La fédération a un interlocuteur au sein de chaque centrale d’achat, un Monsieur ou Madame PME. En effet, chaque groupe à sa centrale d’achat nationale, qui décide parfois pour les magasins du monde entier sur des marques-phares et sur des marques de distributeurs (MDD). Puis chaque magasin a une marge pour choisir d’autres produits, qui sont alors négociés avec des fournisseurs locaux.

  

Promouvoir de bonnes pratiques

Pour la FEEF, depuis la LME on parle un peu moins du produit qu’auparavant. Il faut « replacer le produit au cœur des échanges », c’est pourquoi, la fédération promeut un projet d’action globale intitulé « Cap sur la croissance ». Il vise à promouvoir l’innovation, mutualiser les plateformes logistiques, accompagner les PME sur les marchés étrangers et contrôler les coûts des audits. « Une bonne négociation ne se limite pas au prix du produit. Elle porte aussi sur la logistique, le marketing, l’organisation des rayons, voire l’analyse des process de production » analyse Michel Ghazal.

 

Avec la hausse du prix des matières premières agricoles, les industriels sont bloqués. Surtout les PME, dont la dépendance à la grande distribution est parfois totale surtout pour ceux qui fournissent les marques de distributeurs (MDD), dont le prix est inférieur de 20% aux marques leaders. Ils sont fixés d’une année sur l’autre par négociation annuelle. Parmi les priorités 2011 de la DGCCRF figure le recours, si nécessaire, à l’action en responsabilité contre tout acheteur qui exigerait de son fournisseur des prix de cession « abusivement bas »

 

« Notre rôle est de présenter et d’expliquer à nos adhérents les obligations juridiques qu’ils doivent respecter dans le cadre des négociations commerciales. Il faut tout de même rappeler que le fournisseur et le distributeur sont co-responsables du contenu de la convention récapitulative. Il est ainsi essentiel pour nos TPE-PME d’être prêtes juridiquement. Pour cela, je m’appuie notamment sur les recommandations de la CEPC, Commission dans laquelle je représente la FEEF , explique Mme Abandarat. Par ailleurs, nous menons actuellement au sein même de cette Commission des travaux sur la notion de protection du savoir faire. En effet, un grand nombre de nos industriels participent activement à la création et au développement des produits à marque distributeur et il est important de protéger ce savoir faire qui relève de l’expérience propre à l’industriel ».

 

Des abus encore légions

Les abus sont encore nombreux. Au plan civil, 54 contentieux en cours, près de 357 000 € d’amendes en 2010. Au plan pénal, 409 procès-verbaux dressés et près de 810 000 € d’amendes, décrit la DGCCRF dans son bilan d’activité « en faveur de l’équilibre des relations commerciales » en 2010.

 

Les pratiques à faire disparaître sont listées : transfert sur un partenaire d’une charge ou d’un risque incombant à l’autre ; asymétrie d’obligations entre les partenaires ; privation de droits de l’un des partenaires commerciaux. Parmi les comportements à éliminer : utilisation des nouveaux instruments de promotion sans visibilité pour le fournisseur, augmentation du déréférencement partiel brutal, conditions déséquilibrées de mise en œuvre des pénalités logistiques.

 

Le ministère de l’économie a même le pouvoir d’assigner les enseignes et leurs centrales d’achat en justice. Ainsi, suite aux enquêtes sur le terrain de la brigade LME, et au relevé minutieux de toutes les dispositions qui déséquilibraient les contrats, neuf assignations ont été lancées à l’encontre de Carrefour, Castorama, Casino, Darty, Provera, Eurauchan, Galec, Intermarché, Système U sur le fondement du « déséquilibre significatif » par Hervé Novelli (à l’époque Secrétaire d’Etat chargé du Commerce, de l’Artisanat, des Petites et Moyennes Entreprises (PME), du Tourisme et des Services).

 

Comme très peu de fournisseurs attaqueront la grande distribution, l’Etat se pose en défenseur des PME. Incroyable, mais vrai.

 

 

 

 

Lire le bilan d’activité 2010 de la DGCCRF (pdf – 432.1 ko)

Le site du Centre européen de la négocation (www.cenego.com)

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