S’inspirant de la Suède, 44 médecins du travail, psychiatres, psychologues, sociologues et chercheurs en sciences sociales plaident pour la création d’un observatoire des suicides en France. Objectif : connaître mieux le premier phénomène de mort violente et améliorer la prévention.
La France connaît l’un des taux de suicides les plus élevés de l’Union européenne. Les statistiques dénombrent 130 000 tentatives et plus de 11 000 morts par an, note un rapport du CAS sur la santé mentale en France. Ces nombres sont cependant à prendre avec des pincettes, car pour approcher de la vérité, il faudrait les gonfler de 20 à 25%. Le suicide représente moins de 2 % des décès, la dépression est stable autour de 3 % (dans sa forme la plus sévère), mais la détresse psychologique a considérablement augmenté, mettent en garde les auteurs du rapport.
Outil de connaissance
« Il nous faut un outil de connaissance pour mieux comprendre les suicides » estime Michel Debout, initiateur de l’appel, co-signé par le psychiatre Boris Cyrulnik, ou encore le médecin généticien Axel Kahn. Pour le moment, les seules données fiables concernent : le genre, l’âge et le mode de suicide, parfois aussi le lieu de vie. Nous ne savons pas si la personne travaille ou si elle est au chômage. Un observatoire indépendant, doté de moyens propres, pourrait « mener des études épidémiologiques et cliniques », dit l’Appel, afin de faciliter « la connaissance des populations les plus exposées, leurs caractéristiques, (…) leurs conditions de travail (ou de chômage) et l’évolution dans le temps du taux de suicide ».
Pour repérer tous ces facteurs, il faut s’appuyer sur les informations recueillies par les services de médecine légale (pour les suicidés) et les services d’urgences psychiatriques (pour les suicidants). Michel Debout a un double regard sur le problème du suicide. En tant que professeur de médecine légale et en droit de la santé, il intervient après une mort par suicide au près des tribunaux. Psychiatre également, il prend en charge les suicidants (qui ont fait une tentative) et s’est impliqué par conséquent depuis des années dans la prévention.
L’idée d’un observatoire n’est pas nouvelle. « Cela fait plus de 10 ans qu’on en parle » affirme celui qui est aussi l’ancien président de l’Union nationale pour la prévention du suicide (UNPS) regroupant professionnels, associations d’écoute et familles. En mai dernier, Jean-Claude Delgenes de Technologia, cabinet spécialisé dans la prévention des risques professionnels, a interpelé le ministre Xavier Bertrand dans L’Express. 44 professionnels en ont alors profité pour lancer un appel dans le quotidien Libération, qui est resté lettre morte. La dernière version de l’ambitieux programme national d’Action face au suicide est en panne, elle date de mars 2011. Pour le moment, aucune structure ne fait donc ce travail en France. L’Institut national de Veille Sanitaire (INVS) n’est pas l’outil adéquat, car il constate seulement les évolutions de morbidité de manière générale.
Modèle suédois
L’observatoire prend exemple sur le modèle développé par la ville de Stockholm : un réseau de chercheurs et de praticiens travaillant en permanence sur la suicidalité. Il serait dans cette veine-là un lieu de réflexion entre médecins du travail (pour les actifs), de médecins généralistes, et d’autres intervenants pour les catégories de personnes à risques. Par exemple la mutualité agricole pour les agriculteurs, ou encore d’autres référents pour les adolescents, et les personnes âgées. Il faut aussi « formaliser des réseaux d’alertes et de prises en charge à tous les niveaux curatifs et préventifs » selon l’appel.
Le lien entre travail et suicide est une des thématiques que voudrait étudier l’observatoire en s’intéressant aux évolutions des métiers au sein des entreprises, des grands corps d’État comme la police, les hôpitaux et dans le monde agricole.
La France pourrait ainsi rattraper son retard en la matière. Pour Michel Debout, « le coût d’un tel observatoire ne serait pas exorbitant, car il s’appuierait sur des acteurs déjà existant. On a bien un observatoire de la délinquance, alors qu’il y a beaucoup moins de victimes de la délinquance ».
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