Partisane du renouveau du nucléaire, Claude Fischer préside Confrontations Europe, qui fait du lobbying pour un « Schengen du Nucléaire », seule possibilité selon le think tank pour assurer un « nucléaire sûr et durable ». Clé de l’indépendance énergétique vis à vis du gaz russe, le nucléaire civil se taille une belle part en Europe orientale grâce aux constructeurs… russes notamment.
Qu’est ce que la crise économique et la catastrophe de Fukushima changent à la place du nucléaire aujourd’hui dans l’Union européenne ? Hormis l’Allemagne et l’Italie, quels sont les pays qui réfléchissent à sortir du nucléaire ?
Il existe pour le moment 143 réacteurs dans 15 pays, qui produisent un tiers de l’électricité et 15% de l’énergie consommée dans toute l’UE. Chaque État choisit la composition de son bouquet énergétique. Après Fukushima, l’Allemagne, l’Italie et la Suisse ont annoncé l’abandon du nucléaire, l’Espagne et la Belgique s’interrogent.
A contrario les pays d’Europe centrale, de l’Est et les pays Baltes ont majoritairement décidé de rester « nucléaires » pour assurer leur indépendance énergétique ; certains vont même accroître leur production et devenir « fournisseurs »… Les pays de l’Europe centrale comptent actuellement 19 réacteurs en activité, dont 16 sont d’origine russe. Après Tchernobyl, ces pays ont connu une mise aux normes de sûreté. La Lituanie a dû fermer sa centrale.
Fukushima ne semble pas remettre en cause la « renaissance » du nucléaire dans le monde, mais l’Europe (comme les Etats-Unis) va sans doute en réduire le développement. Quelle que soit la situation, l’Union européenne a décidé de renforcer la sécurité et la sûreté pour tous, ce qui va renchérir les investissements pour mettre les centrales aux normes, les remplacer par des centrales de nouvelle génération, ou tout simplement les fermer.
Quelles sont les compétences de l’UE concernant le nucléaire ? Depuis 2008, la Commission affirme que l’énergie nucléaire fait partie du bouquet énergétique de l’Union européenne et contribue aux objectifs du paquet énergie-climat en terme de durabilité, de réduction de CO2, et de la sécurité d’approvisionnement de l’UE.
Le traité Euratom prévoit que l’établissement de normes de base en matière de sûreté est une compétence de l’UE. La Commission travaille donc à l’établissement d’un cadre législatif en matière de sûreté et de sécurité nucléaires et de gestion des déchets radioactifs. L’UE s’est d’ailleurs dotée de directives, uniques au monde, et a proposé des « stress tests » pour mesurer la sûreté des centrales sous l’autorité d’Autorités nationales indépendantes.
Le nucléaire est emblématique des difficultés de la construction européenne. 15 pays producteurs, cela signifie 15 licences avec des formalités différentes… Un vrai casse-tête, des procédures longues et coûteuses. Or le nucléaire devrait pouvoir contribuer aux objectifs de compétitivité de l’Union, à condition de développer la coopération et le partage des coûts. Même si une partie des savoirs et des technologies est partagée, les rivalités et la compétition prévalent entre les Etats et les opérateurs. Même en France, nous n’arrivons pas à construire une filière nucléaire avec GDF-Suez et EDF.
Confrontations Europe a organisé des dizaines de débats ces dernières années au niveau européen. Nous avons plaidé pour un Schengen du Nucléaire, sur une idée lancée par Areva. La Commission n’y était pas très favorable jusqu’à présent, car elle espérait prendre une décision à 27. Le fait que l’Allemagne décide de sortir aussi brutalement et unilatéralement du nucléaire change la donne. Elle ne reviendra pas sur sa décision de sitôt. L’idée du « Schengen », qu’il faudra certes aménager, doit pouvoir être reprise pour créer non seulement une licence commune, mais un marché nucléaire avec un prix de l’électricité compétitif, et pour partager la formation et la recherche/innovation.
Savoir qu’on peut éclairer le monde avec un petit atome mobilise la recherche comme jamais. Un nucléaire sûr et durable demande beaucoup de compétences et de formation, insuffisantes aujourd’hui. Nous avons soutenu la création d’une Académie européenne du nucléaire qui, paradoxalement a vu le jour à Munich, pour que la formation soit la même partout.
L’Allemagne n’a d’ailleurs pas intérêt à s’exclure ni de la recherche sur le démantèlement et la gestion des déchets, ni de la recherche sur les réacteurs de 4ème génération. On ne sait jamais ce qui peut se passer.
L’UE vient d’adopter une législation concernant les déchets le 19 juin dernier. Elle encadre le retraitement et les exportations hors des frontières de l’UE. Où en sont les projets de centres de stockage définitif pour les catégories les plus dangereuses de déchets radioactifs ? Comment s’assurer que les informations soient transmises sur la dangerosité de ces lieux pendant 100 000 ans ?
Pour l’instant, il n’existe pas un seul site de stockage ouvert en Europe. À Bure, le centre est en construction depuis 20 ans, il devrait ouvrir -après consultation- en principe en 2025. Les déchets sont le talon d’Achille du nucléaire, avant la sûreté. Mais nous avons des solutions. Le problème, c’est que les gouvernements et les États sont sur la défensive. Au lieu de faire de la pédagogie sur les déchets, ils sont dans le secret. Or il faut casser cette vision globale et diabolique, certains déchets ont une vie longue et sont de faible activité, d’autres ont une vie courte et sont de moyenne activité, d’autres ont une vie longue et sont de haute activité : ce sont les moins nombreux mais les plus radioactifs. Chaque type de déchets aura son type de stockage, et pour les plus dangereux, le stockage géologique fait l’unanimité. Certains physiciens considèrent que les déchets seront la ressource de demain, ils étudient leur potentiel. Ils misent sur la réversibilité de l’enfouissement des fûts, mais j’avoue que je n’y crois pas trop.
Il faut que les grands pays aient leur site et accueillent des déchets étrangers. Cela pourra rapporter de l’argent et évitera de faire des trous partout. Les petits pays pourront avoir des sites communs. Quant à la mémoire des sites, c’est un devoir de tous les Etats de l’entretenir, et pourquoi pas, comme le propose d’ailleurs Cécile Massard, une sculpteure belge, en identifiant les sites et donner ainsi aux générations futures le signal à transmettre aux futures générations.
La crise financière et économique donne-t-elle un coup de frein aux investissements et aux projets de construction de nouvelles centrales notamment dans les pays d’Europe Centrale ?
La crise financière impacte en effet fortement ce secteur qui demande des investissements gigantesques. L’argent est là, mais les risques sont trop grands. Alors que les Etats Unis garantissent les opérateurs sur des contrats à long terme (30 à 100 ans), l’Union européenne s’est dotée d’un droit de la concurrence incompatible, sauf exception, comme pour le contrat Exeltium, un consortium de grandes entreprises énergétivores. C’est aberrant quand on sait le prix d’une centrale, et de l’investissement social nécessaire pour la construction, la maintenance (et demain pour le démantèlement) ! Les constructeurs ont une aversion au risque et du coup, investiront plutôt dans des pays solvables… et hors Europe ! EDF a répondu à l’appel d’offre de la Pologne. Mais les Polonais hésitent car notre EPR est cher, et les Français ont encore trop tendance à s’installer sur place avec leur équipe, tandis que les Américains forment les cadres dirigeants polonais et leur confient les responsabilités. De plus, leurs réacteurs sont moins chers.
Les constructeurs russes sont aussi très présents et ils ne sont pas si mauvais qu’on le dit. En Bulgarie, les Russes sont prêts à offrir une centrale. Et en ce moment, la Russie construit aussi des centrales à Kaliningrad. Les Lituaniens ne voulaient plus dépendre des Russes, mais ils n’ont pas d’argent pour construire leur propre centrale. Pourront-ils construire une centrale partagée entre les pays Baltes (ou avec la Pologne ?), ou devront-ils se brancher sur les centrales russes ?
N’est-ce pas justement contradictoire avec la sécurité de l’approvisionnement ? Et le désir de l’UE de garantir son indépendance vis à vis de la Russie?
Le nucléaire est une source qui permet aux Etats qui la développent d’être indépendants, quelle que soit la technologie… Car on n’importe pas le nucléaire (sauf l’uranium qu’on achète au Canada, à l’Australie ou au Niger) contrairement au gaz par exemple. Encore faut-il que ces Etats aient les managers et les travailleurs formés et qualifiés aux métiers du nucléaire et sachent coopérer entre eux pour construire et maintenir un nucléaire le plus sûr et le moins cher possible. Je suis pour une coopération avec la Russie et d’ailleurs, celle-ci existe déjà. À nous de la développer dans l’intérêt mutuel.
Repère
Confrontations Europe est une association non partisane. Créée en 1992, elle est devenue un réseau européen de 30 000 membres, un think-tank reconnu, un lobby d’intérêt général, apprécié des institutions. Présidée par Claude Fischer et Philippe Herzog, elle réunit des dirigeants d’entreprises, des syndicalistes, des acteurs territoriaux, associatifs et politiques, des intellectuels et des étudiants de plusieurs pays d’Europe, autour d’un engagement : la participation active de la société civile à la construction de l’Europe. Avec la crise mondiale, l’association propose de consolider l’Union européenne et a l’ambition de mobiliser les citoyens et les acteurs autour d’options de sortie de crise vers un nouveau modèle de croissance.
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