Faire mieux avec moins de fonctionnaires. C’est la promesse de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Pourtant, que ce soit à la direction des finances publiques ou dans les directions régionales, le malaise est grand face aux contradictions.
2,4 millions de salariés de la fonction publique d’État sont concernés par les lignes directrices de la RGPP, 873 000 d’entre eux sont non-contractuels (soit 14%). D’ici 2012, 10% des effectifs des directions centrales des ministères auront disparu dans les fusions, restructurations et mutualisations. Dans ce grand chamboulement, les méthodes de travail de la plupart des salariés sont modifiées. La révision « impose une gestion contre-productive, et crée un stress dramatique », dit un observateur sous couvert d’anonymat. Il regrette l’absence de dialogue, et de consultation. En bref, c’est un « sacré échec, tout à fait contraire à l’esprit de départ ». Mais tous les agents ne sont pas perdants.
Ceux de Bercy, par exemple. La Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) « a acheté la paix sociale en fusionnant les statuts. On a nivelé par le haut tous les salaires, créé une prime de fonctions et de résultats et encouragé les départs à la retraite », témoigne un agent avec amertume. Issue de la fusion des directions générales des Impôts (DGI) et de la Comptabilité publique (DGCP), la DGFiP a promu « de façon quasi-automatique » ses agents qui sont passés à la catégorie supérieure : A vers A+, B vers A, C vers B. Résultat, il y a de plus en plus de Catégorie A+, donc davantage de hiérarchie. Le rapport de Gilles Carrez en octobre 2010) chiffre cette croissance à environ 47 % depuis 2006, ce qui contraste avec la réduction de plus de 20 % de la catégorie C. Pour l’année 2011, l’effort demandé porte sur 2 372 équivalents temps plein et la réduction des effectifs est concentrée sur la seule catégorie C. M. Carrez en conclut : « La DGFiP est devenue une administration moins nombreuse, sans doute plus compétente, mais pas moins coûteuse ». Il alerte sur des tensions et le stress provoqués par une gestion abrupte du changement. Elles seraient similaires à celles qui ont mené aux nombreux suicides chez France Telecom.
Aider moins, punir mieux
Mi-décembre, ce sont les 22 directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (direccte) qui se retrouvent pour un séminaire à Paris. Les débats et l’échange d’expérience se feront autour de deux questions centrales : est-ce que le regroupement des services a abouti à une plus-value de service offert aux particuliers et aux entreprises ? Quelles sont les conséquences de la RGPP en terme de réduction d’effectif et de GRH ?
Les expériences sont très différentes selon les trois pôles. La constitution du pôle C (Concurrence, Consommation, Répression des fraudes et Métrologie) au niveau régional s’est faite sans heurt majeur. Réalités du Dialogue Social décrypte par exemple la concertation réussie au sein de la DREAL Rhône-Alpes, dans son livre consacré au Dialogue Social dans la fonction publique d’État.
La réorganisation a été plus difficile sur les deux autres pôles déclinés au niveau territorial, le Pôle 3E (Entreprises, Emploi et Economie) a perdu petit à petit en compétences et en effectifs, alors que le pôle T (Travail) s’est renforcé.
Le pôle 3E a perdu l’insertion des travailleurs handicapés et l’accompagnement des créateurs d’entreprise titulaires de l’Accre, qui sont remontés à l’échelon régional. Les chambres de métiers ont récupéré l’apprentissage, les chambres de commerce les contrats de professionnalisation. Les contrats aidés font partie des rescapés, alors que leur efficacité est extrêmement relative, mais c’est pour éviter une augmentation trop importante du chômage (selon la DGEFP – 340 000 nouveaux contrats aidés non marchands et 50 000 nouveaux contrats aidés marchands en 2011). Un responsable d’unité territoriale raconte. « L’État a déshabillé le pôle 3E. J’ai beau dire à mes agents qu’ils ont un rôle de pilotage et d’animation, quand vous avez un service qui a perdu les 2/3 de ses effectifs en deux ans, ceux qui restent ne se font pas d’illusion. Ils sont désabusés, ou bien au moins en interrogation ».
Comme la nouvelle politique ne doit plus coûter à l’État, elle s’exerce à travers des sanctions pour les entreprises sur des « dispositifs 1% » : 1% seniors et 1% pénibilité (liés aux retraites), ou encore le 1% égalité professionnelle. Le levier est l’amende et l’internalisation de la contrainte par l’entreprise, ce n’est plus l’aide. C’est le fruit d’une réflexion sur l’action de l’État au sens large, et une évolution des politiques en matière d’emploi vers un système plus libéral. Moins d’encadrement, moins de politiques pour les publics spécifiques. « Avant les agents était gestionnaires de mesures et de publics, ils ont un peu perdu leur raison d’être. Les suppressions de compétences les déboussolent. Ils se demandent quand est-ce que ça va s’arrêter ».
Réformes contradictoires
À l’inverse, le renforcement du pôle travail n’a rien à voir et va même à l’encontre de la RGPP. Il fait suite aux arrêts amiante de 2004, qui ont condamné le politique et conduit à compenser les carences de l’inspection du travail dans le cadre d’un plan de modernisation et d’un plan de Santé au travail (2008-2013). Le pôle T est centré sur le contrôle des entreprises, les précarités, le travail illégal, le dialogue social, l’homologation de ruptures conventionnelle (5700 par mois en 2010), l’enregistrement des accords d’entreprise, et le renseignement aux entreprises et aux salariés.
Sur les premières années de la RGPP, l’inspection du travail était donc sanctuarisée. « On a continué plus ou moins, à renforcer l’Inspection du travail, ensuite on a fait passer des personnes de l’emploi au travail sur des postes vacants. On arrive au bout de la logique » explique le responsable d’unité territorial.
Pourquoi le malaise des fonctionnaires n’est-il pas pris au sérieux ? Est-ce parce que certains s’estiment heureux d’échapper à l’austérité ? Certes, les émoluments des fonctionnaires sont gelés pour la deuxième année consécutive. Mais, la moitié des économies liées aux suppressions de postes, soit environ 600 millions d’euros leur seront reversé en 2012, avec intéressement et extension des primes au mérite. Une vingtaine de millions d’euros pourraient aussi être distribués sous forme d’aides au logement ou à la garde d’enfant. Preuve que l’État soigne encore bien ses agents.
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