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par Christian Azaïs

São Paulo, première flotte d’hélicoptères au monde, leader mondial du trafic d’hélicoptères devant New York ou juste derrière… peu importe, les médias en jouent pour propulser la métropole brésilienne au rang des « villes globales ». Symbole pour certains de la modernité et de l’accélération des temps, de leur désir de puissance dans un capitalisme en quête de nouveaux espaces, les commentaires vont bon train. L’activité témoigne de l’inscription de la ville sur la scène internationale, ce dont s’enorgueillit une partie de sa population. Entre glorification et controverse, en raison des nuisances provoquées, bruit et danger, rarement une activité aura produit autant de discours contradictoires.

 

helico

Quiconque se rend à São Paulo, capitale économique du Brésil de plus de 11 millions d’habitants, est surpris par le trafic d’hélicoptères dans le ciel. Vus d’avion, les toits des gratte-ciels aux alentours de l’aéroport de Congonhas, situé en pleine ville, sont tachetés d’hélistations qui dessinent une véritable mosaïque. On en dénombre pas moins de cent vingt sur une vingtaine de kilomètres. Une telle concentration est unique au monde. Il est vrai que pas moins de 60 000 atterrissages ou décollages d’hélicoptères sont répertoriés par an dans l’« aire contrôlée », la zone de l’espace aérien délimitée par les autorités aéroportuaires de São Paulo pour réguler le trafic aérien.

 

La profession de pilote d’hélicoptère est emblématique et spécifique aux mégalopoles latino-américaines. A l’origine, mon idée était de comparer Mexico et São Paolo, deux métropoles aux dynamiques voisines, qui connaissent sur le plan du trafic d’hélicoptères des trajectoires différenciées. L’engouement croissant pour cette forme de déplacement, source en outre de désaccords entre les usagers, autorités municipales et autres et les habitants de São Paulo, méritait que l’on s’y attarde. De plus, symboliquement, cette profession est vue comme un épiphénomène de la globalisation.

 

L’une des hypothèses initiales pour expliquer les motifs d’un usage nettement moindre des hélicoptères à Mexico et à São Paulo, outre des conditions d’altitude différentes rendant la navigation moins propice à Mexico qu’à São Paulo, était celle d’une architecture institutionnelle plus normée au Mexique qu’au Brésil, en raison d’un transfert de responsabilité des militaires à une agence de régulation de droit privé. En outre, la présence d’un syndicat puissant au Mexique et sa quasi absence au Brésil contribuent à différencier les deux villes. La troisième raison est de nature théorique. En effet, flexibilité est fréquemment associée à précarité. Or, dans le cas des pilotes d’hélicoptère, il n’en est rien. Ils reçoivent des salaires bien supérieurs à la moyenne de celles et ceux qui ont leur niveau d’étude.

 

Brouillage des frontières

Le pilote d’hélicoptère peut être militaire de carrière, piloter un appareil pour le compte d’une radio ou d’une chaîne de télévision. Ex-militaire, il est employé à temps plein d’une grande entreprise qui a ses propres appareils ; pilote « exécutif », il travaille pour le compte d’un particulier et se qualifie souvent de « chauffeur de luxe ». Tous les deux sont salariés mais la relation qu’ils entretiennent avec leur travail n’est pas la même. Le premier est employé de l’entreprise et jouit des mêmes avantages et droits que les cadres ; le second, bien qu’employé, est au service d’un patron et de sa famille ; sur son livret de travail (carteira de trabalho) on trouve parfois la mention « employé domestique ». D’autres encore, qui n’opèrent pas en ville, les pilotes off-shore transportent passagers et matériel vers les plateformes pétrolières en mer. Les écarts salariaux entre tous ces pilotes peuvent aller du simple au décuple voire plus.

 

Par ailleurs, se déplacer en hélicoptère à São Paulo participe d’un questionnement sur la ville insulaire (Duhau, Giglia, 2012) et le brouillage des frontières entre les sphères publique et privée dans les villes latino-américaines. L’hélicoptère participe pleinement de ces changements. Il n’est pas rare de voir des lotissements fermés, des centres commerciaux, accessibles uniquement en voiture, posséder une hélistation et favoriser donc cette forme de coupure dans la ville. Qu’est-ce qui a changé ? Les hélicoptères ont toujours été présents dans la ville, que ce soit ceux de la police, de la sécurité routière ou pour le transport de grands malades. Ce qui a changé, c’est leur utilisation privative par une frange extrêmement réduite de la population qui s’en sert à des fins professionnelles mais aussi pour aller faire son shopping et éviter ainsi les vicissitudes de la grande ville tenue pour dangereuse, violente, sale et non fréquentable.

 

Christian Azaïs est socio-économiste, Maître de conférences à l’Université de Picardie Jules Verne (Amiens) et membre de l’IRISSO (Institut de Recherche Interdisciplinaire en Sciences Sociales) UMR 7170 à l’Université Paris-Dauphine.


Lire 

« De la ville moderne aux micro-ordres de la ville insulaire. Les espaces publics contemporains à Mexico », Espaces et Sociétés, n° 150, Vers la ville insulaire ?, pp.

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