6 minutes de lecture

par Nadya Charvet

Et si demain, la moitié des Français travaillaient en indépendants, un ordinateur à portée de main, un smartphone à l’oreille ? D’année en année, le nombre des « sans bureau fixe » augmente… Il explose même de l’autre côté de l’Atlantique où l’on parle de 40% de la population active en free lance dans un avenir proche. Ces bouleversements modifient le cours du travail. Et son organisation. Peut-être les bureaux classiques n’en sortiront-ils pas indemnes ?

 

mutineries

Le phénomène est trop jeune pour l’affirmer, mais la tendance est là. Le co-working a le vent en poupe. Il permet à des indépendants de se regrouper dans des lieux dédiés au travail pour « rester autonomes sans être isolés, bénéficier de la force de frappe d’une entreprise sans la lourdeur et les contraintes». Né aux Etats-Unis, le co-working s’installe progressivement en Europe. Mi novembre, Paris accueillait même pour la première fois la conférence européenne du co-working réunissant la communauté des acteurs du mouvement; près de 300 personnes venues de plus de 30 pays différents pour imaginer de nouvelles manières de travailler, de produire et de consommer. Les pouvoirs publics avaient pris leur ticket, afin d’observer de plus près ces pionniers qui pourraient à terme peser lourd dans le tissu économique de demain. Depuis 6 ans, le nombre d’espaces de co-working double chaque année. Il en existe plus de 2000 à travers le monde, dont 880 en Europe, et peut-être une centaine en France.

 

Libres Ensemble
Libres Ensemble, c’est la devise de Mutinerie, un espace de co-working parisien né en mars dernier, véritable laboratoire de ce que pourrait être les univers de travail du futur. « Les premières usines ne fonctionnaient pas autrement », rappelle Eric, un des trois frères Van den Broek à l’origine du projet. « Chacun venait y travailler avec ses propres outils jusqu’à ce que l’automatisation mette fin à cette forme de co-working avant la lettre ».
Ici l’espace a été pensé en grand. C’est beau, conçu avec des matériaux de récup’, lumineux, convivial. A l’entrée, un bar et une restauration commune. Au mur, les photos et patronymes des mutins, déjà au nombre de 130. « Chacun est le bienvenu à partir du moment où il est ouvert et respectueux des autres. Il est possible de venir une journée de temps en temps, tous les jours, à mi-temps…». Les pièces du fond sont modulables. Certaines sont fermées pour se réunir ou téléphoner. D’autres ouvertes, et libres d’être investies comme bon vous semble. On y accueille aussi des évènements, conférences, débats en rapport avec l’économie collaborative, thème cher aux occupants du lieu, des journalistes, graphistes, traducteurs, entrepreneurs, développeurs, designers, etc. Mutinerie propose également un calendrier de formations, consultable sur le réseau social interne, et évidemment des services communs, et bien sûr des apéros, pour faire groupe.

Les mutins ont déjà appris à se connaître, et partagent la même idée du travail, horizontale et sans fil à la patte. L’ambiance est ici studieuse. Mais fructueuse. On échange, on collabore aussi.
Cédric, 10 ans chez Danone, vient 10 jours par mois pour peaufiner son concept de boulangerie où l’on viendra acheter bien plus que du pain. «Chez moi, je tournais en rond. Ici, je travaille efficacement. C’est mieux qu’un bureau. Je commence et j’arrête quand je veux. Je m’installe où je veux. Je rencontre d’autres porteurs de projet ainsi que des gens qui n’ont rien à voir avec mon univers professionnel et dont l’approche radicalement différente de la mienne m’intéresse et me fait progresser».

 

Génération Y
L’esprit qui règne ici a quelque chose de prometteur. Comme si ensemble, on pouvait être plus fort, meilleur, plus efficace. On se met à penser aux bureaux classiques des entreprises classiques et à plaindre leur esprit « petit propriétaire », « petit chef ». Eric, un des mutins, modère : «Attention à ne pas surestimer les vertus du co-working, il ne dissoudra pas l’entreprise à la papa ». Néanmoins, Mutinerie représente une alternative intéressante aux formes d’organisations vieillissantes et sclérosantes. Elle porte en son sein une autre vision du travail. Celle des trentenaires. Celle de la génération Y qui fait rimer hiérarchisme avec ringardisme, qui n’aime rien moins que travailler en projet, en réseau, en simultané, en…semble. Les quatre comparses à l’origine de ce projet, trois frères donc et un de leurs amis d’enfance, sont fait de ce bois. Ils sont tous sortis d’écoles de commerce et ont occupé, un temps, des postes dans la finance, le conseil ou l’informatique, au sein de grandes entreprises. Avant de jeter l’éponge. Aujourd’hui, ils veulent créer des espaces où l’on travaille autrement :« ce qui nous intéresse c’est de promouvoir un style de vie et de travail », explique Eric.

La bande des quatre projette d’ouvrir prochainement un espace de co-working à la campagne. « Nous avons déjà trouvé le lieu, dans le Perche. Il y aura un gite attenant. Quelques jours à la campagne de temps à autre pour travailler efficacement et au vert, c’est une idée qui devrait plaire à nos adhérents». Dans le même esprit, ils réfléchissent à un espace parisien où l’on pourra travailler et se loger en même temps… pour les nomades, un jour à Berlin, un autre à Paris. « Nous en avons déjà quelques-uns dans notre clientèle ». Ils voudraient aussi créer un Fab Lab, sur le modèle américain, où l’on viendra concevoir et fabriquer ses propres objets, « et pourquoi pas une sorte de marketing Lab où l’on viendra les commercialiser ».

Et pour fluidifier les échanges entre ces lieux, ils ont imaginé, avec la communauté du co-working, un système de Copass qui mettra en réseau des espaces de co-working dans le monde entier et permettra à ses adhérents d’aller et venir de l’un à l’autre….

 

Epilogue
– « Il était une fois un monsieur qui avait un bureau à lui, une secrétaire qui lui passait ses appels, et il était très très important.. »
– « Tu me l’as déjà raconté cette histoire, Maman, et puis elle est vieille. J’en veux une où les gens travaillent ensemble, ils sont des milliers, partout dans le monde et ils font des trucs supers comme sauver la planète… »
– « Mais ça chéri, ça n’existe pas encore… »

– « Maman, tu vieillis ! »

 

En savoir plus

Le co-working

La Mutinerie

 

 

Print Friendly, PDF & Email
+ posts