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Budget européen : l’Union s’élargit, le budget diminue !

publié le 2013-01-21

Le sommet européen des 22 et 23 novembre dernier n’a pas permis de trouver un accord sur le budget de l’UE. Pour Bart Vanhercke et Ramón Peña-Casas, co-auteurs (avec Matthieu Paillet) d’un article sur le sujet pour le compte de l’Observatoire social européen (OSE), il ne s’agit pas vraiment d’une surprise, même s’ils en regrettent les conséquences pour une « Europe sociale » déjà mal en point.

 

budget europe

Dans votre article, vous affirmez que l’échec du dernier sommet sur le budget était prévisible, pourquoi ?
B. V. : Le jeu est le même tous les 7 ans, depuis que Jacques Delors a estimé que cette formule était préférable à une négociation budgétaire annuelle. Les pays, surtout les « grands ») viennent négocier ce qui les arrange pour ensuite rentrer chez eux en affirmant l’avoir emporté. L’Angleterre garde sa ristourne, la France évite qu’on touche trop à la PAC et le budget global de l’UE reste toujours aussi modeste.

R. P-C. : Mais cette fois, ça a bloqué même sur des propositions minimalistes, ce qui est plus inquiétant. La proposition de création d’un fond d’aide aux plus démunis a été affaiblie par exemple. Pourtant il s’agissait de donner une base légale à un dispositif préexistant qui visait notamment à recycler les surplus alimentaires, dont l’apport est vital pour les plus démunis des Européens. Elle n’était pas exempte de critique puisqu’elle liait cette aide d’urgence à des mécanismes d’activation, mais même ça, ils n’en ont pas voulu.

B. V. : La Commission parle beaucoup du social et affirme que « l’investissement social » devrait être la prochaine priorité de l’UE, mais avec quels moyens ? Il y a clairement une contradiction entre les objectifs affichés en la matière et les options budgétaires finalement retenues.

 

Comment expliquez-vous ce décalage ?
B. V. : Il y a un déséquilibre manifeste au sein des institutions européennes entre le social et l’économique, mais aussi entre les institutions elles-mêmes. Le cas de la Commission est emblématique. Non seulement ses DG plus « sociales » peinent à s’imposer, mais la Commission elle-même semble chercher sa place à la suite des bouleversements institutionnels engendrés par le traité de Lisbonne. Elle est toujours restée un peu en retrait des États, notamment sur le budget, mais cette fois elle a été largement absente des débats ! À l’inverse, la nouvelle présidence assume un rôle clairement moteur. Il y a donc actuellement une redéfinition des rapports de pouvoir entre les différentes institutions dont on ne peut prédire l’issue.

 

Qu’est-ce qui pourrait permettre à l’UE de remplir les objectifs sociaux qu’elle s’est elle-même fixée, notamment dans la stratégie « Europe 2020 » ?
R. P-C. : D’abord il faut rappeler qu’en matière sociale ce sont surtout les États qui sont compétents. La commission peut apporter des soutiens financiers externes, par exemple à travers le fonds social ou le fonds structurel, mais les moyens d’action et la compétence restent avant tout du domaine des États membres. Ceci dit, l’Europe contraint budgétairement ces mêmes États à un point tel qu’ils peuvent difficilement se conformer aux objectifs sociaux qu’elle proclame par ailleurs. C’est assez paradoxal puisque dans la plupart des eurobaromètres, quand on demande aux gens ce qu’ils attendent de l’Europe, ils répondent qu’ils souhaitent la voir s’attaquer à la pauvreté et au chômage. Or, ce sont des domaines dans lesquels elle n’a pratiquement pas de marge de manœuvre.

B. V. : En théorie, la Commission peut faire des recommandations sur ces sujets, et elle le fait. Mais dans la pratique, la pression est mise presqu’exclusivement sur les objectifs économiques et budgétaires. Par exemple, les chiffres de la pauvreté en Allemagne atteignent des niveaux alarmants. La Commission pourrait lui demander des comptes là-dessus, mais elle ne le fera jamais. On en revient aux déséquilibres dont on parlait tout à l’heure.

 

Dans un tel contexte, quel avenir voyez-vous pour « l’Europe sociale » ?
B. V. : Les blocages budgétaires actuels vont probablement être levés autour de consensus a minima. Le FEM va probablement être reconduit par exemple, mais avec une portée moindre. Idem pour le fonds d’aide aux plus démunis. Si on ajoute ça aux contraintes qui pèsent sur les États, ça augure mal de la suite…

R. P-C. : Malheureusement, l’intergouvernementalisme actuel a encore de beaux jours devant lui. On risque donc de voir émerger une Europe à 2-3 vitesses. Le fait de doter l’Europe d’un budget ambitieux serait déjà une bonne chose. Mais il faudrait aussi sérieusement revoir l’affectation des fonds. Quant on sait que la PAC représente presque 40 % du budget européen, alors qu’elle concerne un secteur très minime dans l’activité économique et l’emploi européen, il y a de quoi se poser des questions. Et puis il faut aussi mettre fin aux logiques budgétaires actuelles qui commencent à frôler l’absurde. Par exemple, pourquoi ne pas neutraliser les dépenses liées aux filets sociaux minimum dans les calculs budgétaires ? On propose de le faire pour la compétitivité et l’innovation, pourquoi pas dans ce cas-ci aussi ?

B. V. : Pour ma part, j’insiste sur le rééquilibrage indispensable à effectuer entre dimension sociale et économique de la gouvernance. Ces éléments sont déjà présents, mais ils doivent être réellement pris en compte. Et puis à côté des possibilités législatives qui existent au niveau européen, il ne faut pas non plus oublier le rôle que peut jouer le dialogue social, pour autant qu’on parvienne à dépasser les blocages actuels.

 

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