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par Nadya Charvet

Fondateur de NoveTerra, consultant international en stratégie et ancien responsable du développement durable pour le groupe Vivendi, Stéphane Riot est co-auteur de « Vive la CoRévolution ! pour une société collaborative ». Pour lui, la société de demain sera collaborative, les entreprises vont devoir prendre le virage de l’intelligence collective.

 

corevolution

Notre modèle tayloriste caractérisé par une organisation bureaucratique et verticale serait vacillant. Quelle nouvelle !

Oui, en effet, vieillissant. Et notre ouvrage le démontre. L’arrivée d’internet et des réseaux sociaux a permis l’émergence d’une intelligence globale collective. On a vu se constituer des groupes de personnes qui collaborent de leur plein gré sans structure hiérarchique dirigiste dans un but commun. Le fameux contrat social moderne paternaliste se marie mal avec cette génération Y, née avec une souris dans la main, qui accède aujourd’hui au monde du travail. Sa particularité est de mettre en cause le schéma organisationnel pyramidal cher au management traditionnel. Pour elle, les rapports sociaux au sein de l’entreprise sont essentiels comme il est essentiel de mettre en place un mode de travail plus collaboratif dans lequel le partage d’idées est naturel.

 

Ces évolutions semblent aussi dictées par la crise et les NTIC ?
Dans un contexte économique marqué par les conflits sociaux, les délocalisations, les injustices, les suicides au travail, il est urgent de permettre aux individus de transcender leurs peurs et leurs ambitions personnelles, donc d’adopter une culture d’entreprise qui donne son sens au mot collectif. Sinon, gare aux dérapages…
Prenez ce salarié de chez Quick qui récemment a envoyé des tweets pour décrire ses conditions de travail et l’ambiance délétère qui régnait au sein de son entreprise. Même s’il est actuellement poursuivi au pénal, comment empêcher des salariés qui font déjà du storytelling sur leur Facebook ou sur Twitter de s’exprimer sur leur travail, encore plus en période de crise ? Avec les réseaux sociaux, l’expression d’un seul est relayée par tout un collectif. Lorsqu’on sait qu’un tweet peut affecter la valeur actionnariale d’une entreprise, sa réputation, son image, etc. mieux vaut éviter des débordements individuels et permettre l’expression collective des salariés au sein de l’entreprise.

 

Avec quels outils ?
Le réseau social d’entreprise en est un : essor du travail à distance, besoin de fédérer les salariés, d’informer, de favoriser l’innovation, etc. voilà bien un outil stratégique et managérial favorisant l’expression des salariés. Le réseau social est par nature collaboratif et moins figé qu’un intranet classique, la direction peut ainsi optimiser la communication entre les salariés. Dès 2008, Danone, mettait en place Danone 2.0, un réseau social interne ayant pour vocation de placer l’humain au coeur de la démarche et d’intégrer des modes de coordination dépassant les limites de l’organigramme: la mise en oeuvre du réseau a elle-même été collaborative invitant les équipes à se pencher sur des thématiques transversales de l’entreprise – environnement, distribution de ses produits dans les pays émergents, etc. Aujourd’hui le réseau compte 10 000 utilisateurs réguliers et 250 communautés actives.
De tels dispositifs d’interactivité proposés par les réseaux sociaux d’entreprise comme des animations participatives émergent d’autres manières de se réunir et de travailler en intelligence collective.

 

Ils permettent aussi aux salariés de s’exprimer en dehors des canaux traditionnels ?
Le nombre d’outils et de réseaux collaboratifs grandit chaque jour mais au delà de la facilitation et de l’aspect pratique qu’offrent les solutions en ligne c’est bien de cela qu’il s’agit. Un réseau social interne, c’est aussi un espace de liberté, de dégazage, d’expression de toutes les tensions, un baromètre de la météo sociale de l’entreprise…. Cette nouvelle donne révolutionne les modes d’expression traditionnels des salariés dans l’entreprise. Au passage, les syndicats doivent redéfinir leur objet. Comme les managers acquérir une nouvelle forme de légitimité.

 

Quels sont les enjeux de cette « co-révolution »?
Un management participatif crée des attentes qui ne peuvent être satisfaites que par une organisation elle-même participative. On le comprend aisément, l’intelligence collective et collaborative ne se décrète pas, elle se ménage ! Il faut pour cela déhiérarchiser, privilégier une organisation en réseaux, user de concertation, de médiation et de co managers. Ce n’est pas facile. La collaboration peut générer du stress, une crainte de perdre le pouvoir, des blocages émotionnels (peur de collaborer avec un autre différent de moi) ou cognitifs (pas assez d’expérience ni de compétence en intelligence collaborative).
On voit clairement un gap apparaître entre la génération Y qui maîtrise les réseaux sociaux et le mode collaboratif et la génération X qui a peur de se ringardiser. Encore plus dans un contexte de crise, les anciens peuvent légitimement se sentir menacés par ces nouvelles pratiques. Cela crée des tensions majeures qu’il faut désamorcer. On voit actuellement fleurir les cabinets conseils sur le créneau « les générations pour les nuls ». Ce n’est pas un hasard. Certaines entreprises ont commencé à travailler sur ce thème. Danone a mis en place des échanges de compétences entre anciens et nouveaux, qui portent en partie sur les nouvelles technologies d’un côté, sur les savoir-faire métier de l’autre, une sorte de donnant-donnant qui permet à chacun de trouver sa place. C’est un moyen de fidéliser les jeunes générations, en leur reconnaissant une expertise des réseaux sociaux et en les impliquant dans leur bonne gestion. Et de conforter le rôle des anciens.

 

Place à l’intelligence collective, oui mais jusqu’où ?
Avec les enjeux actuels et la prise de conscience propre à chacun émerge un besoin énorme de communiquer autrement. Chaque individu a besoin de retrouver sa place dans un collectif, d’élaborer du sens, de partager ses idées et ses solutions pour ensuite s’engager avec les autres. On l’aura compris l’intelligence collective est une approche ouverte, qui repose sur des interactions constantes indispensables à son bon fonctionnement : la diversité des connaissances, des compétences, des points de vue, des interprétations, des modes de raisonnement, etc. C’est le système qui fait sens. Paradoxalement, cette autorégulation contient précisément en germe ses limites : certains n’osent pas dire ce qu’ils pensent, d’autres peuvent accepter passivement certaines informations, il faut se méfier de la tyrannie de la majorité. S’il est possible de valoriser systématiquement l’opinion d’un groupe au détriment de l’avis d’experts, cela pose la question de la sagesse des foules et la toute puissance attribuée à certains au collectif. Tout n’est pas à jeter dans la présence d’une structure hiérarchique.

 

Comment passer d’une gestion des ressources humaines à une gestion de l’intelligence collective ?
Beaucoup de managers biberonnés aux fiches de postes et à l’organisation pyramidale finalement très confortable pour conserver le pouvoir et asseoir leur autorité peuvent légitimement s’inquiéter pour leur statut dans le cadre de la mise en place d’un management collaboratif. Dans une organisation collaborative les managers doivent faire preuve d’une nouvelle forme de dirigisme. Et passer de compétences managériales verticales sur leurs collaborateurs à une posture horizontale de facilitateurs. Il n’est plus question de déployer des compétences particulières (connaissances, compétences, technicité) mais plutôt de développer une posture d’animation de l’intelligence collective.
Les managers doivent travailler leurs capacités relationnelles pour cultiver une intelligence plus émotionnelle. Fait nouveau, on leur demande de coordonner des équipes sans centralisme, d’animer des projets sans hiérarchie.
Le challenge est de lâcher prise: déléguer ne réduit pas l’autorité et n’empêche pas la reconnaissance, au contraire. Il faut également être en mesure d’avancer dans des projets sans savoir à l’avance quelle sera la meilleure solution possible qui sortira du travail collaboratif. Il faut passer d’un chief executive management à un chief chaos officer, en charge de maintenir l’esprit et l’intention du projet commun pour tenir à distance l’anarchie créative et laisser émerger les idées. Il faut pour cela être capable de gérer les tensions sous-jacentes à l’élément humain (les egos, la confrontation des croyances) ; cela peut s’assimiler à l’art de refaire société…

 

La route est encore longue ?
Nous devons maintenant nous défaire de certains automatismes inculqués dans le plus jeune âge : pour gagner, doit-on vraiment faire perdre l’autre ? Notons d’ailleurs que plusieurs pays pratiquent un mode éducatif éloigné des cours magistraux à la française. Ce mode éducatif plus participatif expliquerait les propensions plus larges à la collaboration dans ces pays (anglo-saxons ou scandinaves). C’est donc collectivement que nous arriverons à réconcilier monde des affaires et société, dans la mise en place d’un management organique, renouvelé et garant de la résilience de l’entreprise. Ces méthodes seront-elles suffisantes pour répondre aux enjeux du monde du travail et à l’expression concrète d’une responsabilité sociale des entreprises ? Réponse dans 5 à 10 ans.

 

Pour en xavoir plus

Anne-Sophie Novel, Stéphane Riot « Vive la CoRévolution! pour une société collaborative » (Alternatives – 2012)

 

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