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par Centre d’analyse stratégique

Pays de tradition juridique anglo-saxonne le Canada, Québec inclus, développe un modèle d’intégration qui passe par la reconnaissance d’un certain multiculturalisme : statistiques ethniques – obtenues par de méthodes basées sur l’auto déclaration raciale – monitoring dans l’accès à l’emploi mais aussi, au Québec, concept des accommodements raisonnables. Sur ces deux dernières expériences, voici des extraits tirés de la note n°220 du Centre d’Analyse Stratégique publiée en avril 2011 et qui porte sur La prise en compte de critères ethniques et culturels dans l’action publique, une approche comparée.

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Le suivi et l’évaluation (monitoring) dans l’accès à l’emploi

Ayant pour objectifs de sensibiliser les employeurs et de les rendre responsables de l’entrée dans leur entreprise de groupes sous-représentés, les dispositifs de monitoring canadiens sont régis par la loi sur l’équité en matière d’emploi de 1986. Celle-ci rend le monitoring obligatoire pour les entreprises de plus de 100 employés qui relèvent du secteur privé sous compétence fédérale, de la fonction publique et pour les entreprises sous contrat avec l’État (contrats de plus de 200 000 dollars canadiens). Cette loi identifie des groupes protégés ( » minorités visibles », « femmes » et « personnes handicapées ») pour lesquels les entreprises doivent fournir des données. Celles-ci sont présentées chaque année dans des rapports remis au ministère de l’emploi et à la Commission des droits de la personne :

– un volet quantitatif décrit, pour chaque groupe désigné, les embauches, les cessations d’emploi, les promotions, l’éventail des salaires et la distribution des postes professionnels ;
– un volet qualitatif recense les mesures prises pour améliorer la situation des groupes désignés et apprécie le résultat des actions menées.

Après analyse des rapports, les services ministériels attribuent des notes aux entreprises pour chaque groupe désigné, la note variant en fonction de la distribution statistique observée dans des zones géographiques de référence. Quant à la Commission des droits de la personne, elle peut sanctionner les entreprises en cas de défaillance dans la réalisation du monitoring, la sanction pouvant aller jusqu’à la rupture des contrats de marchés publics avec l’État. En 2007, près de 650 établissements, soit 1,2 million d’employés, étaient soumis à cette loi.

 

Les accommodements raisonnables au Québec

Au Québec, la diversité culturelle est reconnue et même valorisée politiquement, au point que certaines règles de droit peuvent être assouplies dès que leur application rigide entraîne une discrimination indirecte à l’égard d’une personne ou d’un groupe. C’est par cette jurisprudence, désignée sous le terme d' »accommodements raisonnables », que les Québécois concilient le respect des règles universelles et la prise en compte des différences culturelles. Comme le précisent plusieurs textes juridiques telle la Charte des droits et libertés de la personne, adoptée par le gouvernement québécois en 1975, ce qui est légitime pour un groupe l’est pour les autres.

 

En pratique, le traitement des demandes se fait au « cas par cas » et localement, auprès des arrondissements des municipalités, des commissions scolaires, etc. L’institution concernée évalue les besoins de la personne, notamment culturels et religieux, sur la base d’une discrimination supposée, et tient compte des circonstances locales. Ainsi, sont souvent acceptées, dans les hôpitaux, des demandes portant sur les interdits alimentaires ou l’orientation du lit vers la Mecque pour un patient musulman en fin de vie. À l’école, sont tolérées les absences lors de fêtes religieuses, le port du foulard et du kirpan – le poignard des Sikhs orthodoxes – ou encore l’octroi d’un rallongement des épreuves d’examens ; tandis que sont souvent rejetées les demandes de modification des programmes scolaires, de port du foulard durant l’accouchement ou celles qui visent à récupérer le corps d’un nouveau-né décédé.

 

Il faut préciser que le champ des accommodements est limité. Ainsi, toute demande non fondée sur l’un des motifs énoncés par la Charte des droits et libertés de la personne ou jugée excessive est exclue. Selon G. Bouchard et C. Taylor, le nombre des accommodements reste peu élevé, rien n’indiquant, en trente ans, une hausse significative des demandes. Ils n’en ont pas moins suscité de vifs débats dans la période récente, ce que certains interprètent comme une forme d’échec du modèle d’intégration québécois. La controverse émerge dans un contexte social imprégné de méfiance lié aux événements du 11 septembre 2001 et à l’évolution des flux migratoires générant des différences inédites de valeurs, notamment religieuses. En juillet 2006, une annonce de la Cour supérieure du Québec sur le port du kirpan connaît en effet un fort retentissement et marque le point de départ d’une vague médiatique hostile aux accommodements. Le paroxysme est atteint en 2007, au point que le Premier ministre du Québec met en place une Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement, afin de répondre aux critiques. Cette commission, présidée par Gérard Bouchard et Charles Taylor – le philosophe et théoricien du multiculturalisme -, préconise la poursuite des accommodements : ils permettraient de respecter la différence en luttant contre les discriminations et de promouvoir une identité et une culture sans créer ni exclusion ni clivage communautaire, parce qu’ils résulteraient de revendications individuelles.

 

Lire l’intégralité de la Note du CAS sur « La prise en compte de critères ethniques et culturels dans l’action publique, une approche comparée »

 

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