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par Wencelas Baudrillart

La problématique de l’emploi des personnes en situation de handicap n’est pas neuve : son premier cadre législatif date de la fin de la première guerre mondiale avec la mise en place d’une législation favorable aux blessés et mutilés de guerre. Presque un siècle déjà : on pourrait penser que l’ensemble des employeurs privés et publics ont eu le temps de se familiariser avec les spécificités de ces personnes et que leur emploi ne soulève plus de difficultés insurmontables. Mais les statistiques, pour imparfaites qu’elles soient (et elles le sont), restent impitoyables.

 

Handicap

Au moins 350.000 demandeurs d’emploi sont reconnus handicapés. Leur taux de chômage s’élève à 22%, plus du double de notre triste moyenne nationale. L’écart entre taux de chômage des valides et des handicapés ne cesse de s’accroître. Et pourtant, en même temps, le nombre de travailleurs handicapés dans les entreprises et dans les administrations continue lentement d’augmenter, même s’il n’atteint toujours pas les 6% légaux pour les employeurs de toute nature à partir de 20 salariés.

 

Les incitations à l’emploi de travailleurs handicapés ne font pourtant pas défaut. Incitations négatives pour ceux qui ne remplissent pas leur obligation avec des contributions à verser à l’AGEFIPH pour les employeurs privés ou au FIPHFP pour les employeurs publics. Contributions positives avec les multiples formes d’aide dont peuvent bénéficier les employeurs soit par des contrats spécifiques soit par des aides financières qui peuvent atteindre des montants tout à fait significatifs et compenser réellement les surcoûts éventuels.

 

La conclusion semble s’imposer : les personnes en situation de handicap, malgré toutes les évolutions de la société française dans ce domaine, restent perçues comme « différentes » et à ce titre difficilement ou plus difficilement employables que le mâle blanc qualifié et expérimenté qui reste le cœur de cible de tant de DRH développant sur papier glacé leurs ambitions de responsabilité sociétale et environnementale. Dans combien d’entreprises ou d’administrations le responsable de l’emploi des handicapés n’a-t-il pas pour titre « responsable de la mission diversité », handicapés, issus de l’immigration et femmes relevant des mêmes politiques d’exception ?  Il faut cependant y regarder de près tant les situations peuvent être diverses.

 

Tout d’abord la notion même de handicap. Ce mot renvoie dans l’imaginaire à quelques catégories bien identifiées : personnes en fauteuil roulant, aveugles, sourds et ceux qu’on ne sait pas nommer d’un mot simple : les déficients intellectuels. Mais la réalité des plus grandes masses du handicap réside dans les lombalgies dont le volume explose avec l’âge, et donc avec l’allongement des durées de vie active. Et, surtout, la notion de handicap ne cesse d’évoluer. Ce qui s’appelait la maladie mentale devient le handicap psychique. Ce qui s’appelait l’inadaptation sociale se voit de plus en plus reconnu comme un handicap par les différentes instances administratives. En témoigne l’évolution de la dépense pour l’allocation aux adultes handicapés : de 6 milliards € en 2012, elle doit passer à 7,2 milliards en 2013 : à l’évidence on ne décide pas de son attribution sur les mêmes bases.

 

Ensuite la relation handicap/difficulté au travail. Le handicap au sens médical n’est pas nécessairement un handicap professionnel. Là sans doute gît une des grandes équivoques de l’emploi et du chômage des personnes handicapées. Le premier président du Fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées avait une formule vigoureuse : « J’en ai marre qu’on compte les amputés du petit orteil gauche ». Le poids du handicap dans le travail est la résultante de plusieurs facteurs, si bien qu’un même handicap peut être ici un empêchement radical à l’emploi et là seulement une gêne modérée. Il y a la personne avec son handicap au sens médical, avec son niveau de formation et donc l’éventail de ses adaptations professionnelles possibles au-delà de son premier métier et enfin l’équipement dont elle disposera. Exemple extrême : en quoi le tétraplégique informaticien assis devant son écran d’ordinateur avec son clavier adapté performe-t-il moins que son collègue valide ? Adaptation : le mot-clé. Adaptation des systèmes techniques dans leur immense diversité : logiciels de toute nature pour mobilité réduite, malvoyance, malentendance, sièges et outils adaptés, accessibilité des accès, etc. Adaptation des systèmes humains, tant du point de vue de la personne handicapée que du point de vue de son entourage professionnel. La grande difficulté « objective » demeure aujourd’hui celle de l’accueil des handicapés psychiques en raison des risques de discontinuité comportementale qui met parfois à rude épreuve les collègues et l’organisation du travail.

 

Aujourd’hui, l’augmentation du nombre de travailleurs handicapés dans les entreprises et les administrations relève pour une part d’un vrai progrès en la matière, qu’il s’agisse de l’embauche de nouveaux salariés ou du maintien dans l’emploi de salariés atteints par le handicap au cours de leur vie active. Mais il relève aussi pour une part d’une chasse discrète mais réelle et de plus en plus intense au handicap caché pour pousser celui qui en est atteint à se déclarer alors même que son handicap n’a aucune conséquence sur son efficacité professionnelle. Cela va jusqu’à l’attribution occulte de primes à ceux qui viennent déclarer leur handicap à la DRH après s’être fait reconnaître par la MDPH. Cela va jusqu’à l’intervention de cabinets conseil spécialisés qui interviennent auprès de salariés ayant connu dans les années précédentes des arrêts maladie significatifs pour les pousser à demander cette reconnaissance, et de ce fait, à permettre à l’employeur de remplir son obligation légale et de diminuer sa contribution à l’AGEFIPH ou au FIPHFP.

 

Pour ce qui est de leur chômage, il repose aussi sur deux réelles difficultés qui ne relèvent pas du handicap : l’âge et la qualification. 50% des demandeurs d’emploi handicapés dépassent les 50 ans et 77% sont restés à un niveau V ou inférieur. Chômeur senior et peu qualifié, la solution n’est pas simple : il suffit de voir la statistique du chômage de longue durée. En y rajoutant le handicap, on n’est plus très loin de l’insoluble. Les handicaps bénins dans la force de l’âge voient leurs conséquences s’alourdir au-delà de 50 ans et plus fortement encore à partir de 55 ans. Pour eux comme pour tous les demandeurs d’emploi à faible qualification, le remède existe : la formation pour adapter en continu les compétences. Mais âge et accès à la formation : quel plafond de verre, aussi résistant aux programmes d’action de l’Union européenne sur le long life training qu’aux objectifs du ministère du travail ! Ce n’est pas gagné. Et puis il y a, avec plus d’acuité encore que pour les valides, l’adaptation des organisations de travail au vieillissement. Ce n’est pas davantage gagné.

 

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