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par Noël Leuthereau-Morel

Être travailleur sexuel a un sens différent selon que l’on se trouve en France ou dans d’autres pays européens où il s’agit alors d’exercer une activité professionnelle comme une autre.

 

 

Droit du travail

En France, pas de travail sexuel

Parler de droit du travail ou plus précisément de protection sociale et de travailleurs sexuels est un non-sujet en France. Pourquoi ? Parce que ces-derniers ne sont pas considérés comme exerçant une activité professionnelle. Dès lors qu’il y a prestation sexuelle tarifée, il y a prostitution, selon les tribunaux français alors même que la Loi ne précise pas ce que l’on peut appeler « prostitution ». C’est donc à un arrêt de la Cour de Cassation du 27 mars 1996 que l’on se réfère pour la définir comme étant le fait de « se prêter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu’ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d’autrui ».

 

Historiquement, de 1802 à 1946, la France a suivi une position règlementariste. Les prostitué(e)s ont alors obligation de se faire inscrire sur des registres et doivent se rendre à une visite médicale mensuelle sous peine de condamnation. C’est principalement dans un souci d’hygiène publique, et non pour des raisons de protection sociales, que ce système est alors en place. En 1946, le proxénétisme est formellement interdit. La France opte dès lors pour une position abolitionniste avec la Loi Marthe Richard qui décide de la fermeture des maisons closes. Depuis, cette position a été confortée notamment en 2011 à l’occasion de la publication du rapport de la mission d’information sur la prostitution de l’assemblée nationale où il a notamment été proposé de pénaliser les clients à l’instar de ce qui existe en Suède ou en Norvège, ainsi que de renforcer la lutte contre le proxénétisme dans la suite logique de la ratification par la France de convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui en 1960.

 

Aujourd’hui l’activité prostitutionnelle et l’assistance sexuelle (non reconnue en France) ne bénéficient pas de droits sociaux, mais il en va différemment pour d’autres catégories de travailleurs sexuels. C’est ainsi que les acteurs/actrices pornographiques peuvent être couverts par une protection sociale rattachée à leur activité : sous la condition d’effectuer 507 heures de travail sur 10 mois, ils sont rattachés au statut d’intermittent du spectacle qui leur donne droit aux Assedic, aux congés spectacles, à la retraite et, selon le montant de leurs revenus, à la sécurité sociale. Néanmoins, dans les faits, il n’est pas rare que l’intégralité de leurs cachets ne soient pas déclarés, notamment dans les productions dites amateurs qui font davantage reposer leur relations avec les acteurs sur la cession du droit à l’image que sur le contrat de travail, ne permettant pas d’être couvert par la sécurité sociale. Si les conditions du contrat de travail ne sont pas respectées, ou si la production impose une prise de risque la DIRECCTE a toute légitimité à agir. Il n’existe cependant pas aujourd’hui de règles de sécurités imposées sur les tournages de films pornographiques.

 

Si la prostitution n’est pas illégale en France, mais pas règlementée non plus – à noter néanmoins que les prostitué(e)s sont imposé(e)s sur les revenus obtenus par leur activité, considérés comme bénéfices non commerciaux (BNC) car le fait générateur de l’impôt est indépendant de la légalité de l’activité -, une partie des prostitué(e)s demande depuis plusieurs années à ce que la législation évolue. C’est ainsi que s’est créé en 2009 le STRASS (Syndicat du travail sexuel) qui se définit comme un syndicat autogéré, mais qui par définition n’est pas un syndicat professionnel, puisqu’il n’existe pas d’activité professionnelle reconnue du travail sexuel. Il demande notamment un encadrement de l’activité prostitutionnelle qui ne pourrait en France se faire que par le biais du statut de travailleur indépendant. En effet, il n’est logiquement pas possible d’être salarié dans ce cas, ce statut reposant principalement sur le lien de subordination. Or, qui dit salariat des travailleurs du sexe implique proxénétisme.

 

Si tel est le cas en France, de nombreux pays européens ont fait évoluer leurs législations depuis une dizaine d’années vers des solutions règlementaristes.

 

 

L’Europe entre règlementation et encadrement

Les Pays-Bas ont été le premier pays en 2000 à réglementer la prostitution comme n’importe quelle autre profession, donnant aux travailleurs sexuels le statut de salariés ou travailleurs indépendants et légalisant les maisons closes. Depuis 2011, les prostitué(e)s sont également imposables. Le proxénétisme y est légal et ne peut être sanctionné que si la personne dont le proxénète tire ses bénéfices est mineure ou contrainte.

 

En Allemagne, la prostitution est définitivement devenue légale et a été règlementée dès 2002. Les prostitué(e)s bénéficient ainsi aujourd’hui de droits et devoirs rattachés à leur activité (paiement de l’impôt, assurance chômage, sécurité sociale, droit à la retraite). Depuis cette date, les travailleurs sexuels peuvent dépendre de deux statuts différents : celui de travailleur indépendant ou d’employé. Ceci n’implique cependant pas l’absence de pénalisation du proxénétisme, mais son encadrement. Ainsi, les prostitué(e)s ne peuvent pas conclure de contrats de travail ni ne peuvent légalement se retrouver en situation de subordination de fait avec les exploitants des maisons closes.

 

D’autres pays ont règlementé la prostitution sans pour autant calquer le statut de salarié ou travailleur indépendant sur celui des prostitué(e)s. C’est notamment le cas de l’Autriche qui a accordé la sécurité sociale aux personnes se prostituant dès 1997, ou de la Suisse où les maisons closes sont légales depuis 1992. La Belgique, si elle n’a pas encadré la prostitution, tolère néanmoins les maisons closes en raison d’un flou juridique.

 

Depuis quelques années, d’autres travailleurs sexuels apparaissent également : les assistants sexuels. En France, leur activité est assimilée à de la prostitution. C’est également le cas en Suisse à l’exception du Canton de Genève où ils bénéficient de droits supplémentaires. Ils sont rémunérés à la prestation, et peuvent être formés à cette activité depuis 2003. En Suisse romande, seuls des personnes exerçant en parallèle une activité à temps plein ou partielle sont autorisées à exercer. Leur statut est le même que celui des autres travailleurs sexuels dans l’ensemble de la Suisse. La plupart du temps, dans les pays ayant reconnue le droit à l’expérience intime pour les handicapées (Allemagne, Danemark, Pays-Bas, Autriche), les assistants sexuels sont des personnes exerçant dans des milieux paramédicaux, sociaux et médico-sociaux et relèvent donc de leur activité principale lorsqu’il s’agit de leur protection et de leurs droits sociaux.

 

En France, en 2010, un rapport parlementaire du député Jean-François Choisy sur « l’évolution des mentalités et le changement du regard de la société sur les personnes handicapés » a travaillé sur un projet de loi visant à légaliser les assistants sexuels. Il s’est néanmoins vu opposer une fin de non-recevoir. Depuis, cette question, de même que celle de la prostitution (règlementaristes vs. abolitionnistes) est l’objet de débats qui font régulièrement évoluer la législation, mais sans jamais fondamentalement la transformer dans un sens ou un autre.

 

Noël Leuthereau-Morel
Juriste en droit du travail

 

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