par Pavlena Dobreva
En mai 2011, la Bulgarie s’engage auprès de l’Union Européenne à atteindre, d’ici 2020, 16% de sa consommation finale d’énergie sur la base de moyens d’origine renouvelable. Cet objectif semble d’autant plus réalisable qu’en 2010 elle avait déjà atteint les 15%. Pourtant, les investissements en éoliennes se multiplient, pour le meilleur ou pour le pire ?
Dans le marché bulgare des énergies renouvelables, estimé annuellement à près de 300 millions d’euros, les éoliennes se trouvent souvent au cœur des débats qu’ils soient politiques, économique ou sociaux ; débats portant à la fois sur leur efficacité, leur nécessité et leur rentabilité.
Ces aérogénérateurs surplombant de plus en plus le nord et le sud-est du pays permettent-ils réellement la transformation du vent en énergie électrique ? Quel est le prix à payer pour leur installation et leur fonctionnement ? Sont-ils devenus les artefacts d’une volonté politique ? Sont-ils la goutte d’eau prête à faire déborder le vase social de ce pays déchiré depuis plus de 100 jours par une grève au nom du ras-le-bol citoyen… ?
Le Conseil européen de l’énergie renouvelable (EREC) estime que près de 45% de la consommation énergétique de l’UE peut provenir de sources renouvelables d’ici 2030. L’Association de l’énergie éolienne de l’Europe (EWEA) va encore plus loin en supposant que l’éolien seul réponde à presque 30% de la demande de l’Europe en électricité.
Dans le ce tableau peint en « vert », les énergies renouvelables représentent environ 9% de la consommation d’énergie totale en Bulgarie. L’énergie éolienne y contribue pour moins d’1% si on y rajoute également la part de l’énergie photovoltaïque. Comment expliquer alors l’engouement bulgare pour leur construction ces six dernières années ? Les raisons semblent nombreuses pour peu que l’on connaisse la face cachée possible de ces investissements…
Quand le vent du changement souffle dans les régions bulgares
Les régions les plus favorables pour l’énergie éolienne se trouvent essentiellement dans le nord et le sud-est du pays. Elles sont particulièrement bien exposées pour assurer un retour sur investissement en électricité produite. Ce choix d’implantation est encore moins surprenant si nous prenons en compte le relief capricieusement montagneux de 23% de la superficie de la Bulgarie.
Cependant, ces régions ont une particularité non négligeable. Une large partie des terres qui servent à l’installation des éoliennes sont réellement ou potentiellement des sols agricoles de type tchernozem. Il s’agit d’une terre noire très riche en humus, potasse, phosphore et micro éléments dont la valeur ajoutée pour la culture céréalière (blé, maïs, orge, avoine…) et oléagineuse (tournesol et colza) reste incontestable. Ce fait est d’autant plus important au regard de l’orientation agricole de plus en plus prononcée du pays, avec une part croissante de terres arables (environ 65%). Or, le fonctionnement des éoliennes entraîne inévitablement le déversement de lubrifiants synthétiques et d’huiles hydrauliques provoquant le desséchement des terres dans un large périmètre autour des aérogénérateurs installés.
Outre la nature des sols, de multiples espèces d’oiseaux (dont certaines protégées) occupent des niches écologiques dans ces mêmes régions ; des oiseaux dont la présence est essentielle pour la qualité de la production agricole autrement dévastée par de nombreux insectes. La question de la préservation de ces oiseaux et de leurs habitats face aux immenses pales ainsi que celle de la perturbation du microclimat, restent donc entières.
Quand le vent de l’intérêt souffle sur l’énergie renouvelable
Dans ce paysage écologique menacé, la construction accélérée de parcs éoliens interpelle, et ce malgré les vertus largement connues de ce type d’énergie renouvelable. De plus, si les normes environnementales de l’Europe permettent de comprendre l’engagement en la matière du gouvernement bulgare, celles-ci ne suffisent pas pour expliquer la traduction opérationnelle douteuse qui en est faite sur le terrain.
En effet, le nombre d’éoliennes ne cesse d’augmenter alors que les infrastructures fragmentées du pays et des réseaux électriques vieillissants montrent leur incapacité, dans l’état actuel, de supporter de grandes quantités d’énergie renouvelable. Des travaux de modernisation sont engagés, mais les failles et coupures électriques sont encore trop fréquentes. Il n’est donc pas étonnant de constater que le gouvernement bulgare refuse de raccorder ses institutions publiques à des sources d’énergie alternatives dont il prône pourtant l’efficacité et la fiabilité.
En outre, le temps nécessaire à l’ingénierie et à l’implantation des aérogénérateurs se trouve souvent écourté au nom des quotas européens et des bénéfices immédiats tirés par l’Etat des quelques investisseurs étrangers fortement intéressés par ce marché. Dans ce contexte de recherche de bénéfices et de financements temporaires, il n’est donc pas surprenant de découvrir qu’il existe des éoliennes qui ne tournent que pour produire l’énergie nécessaire au fonctionnement des autres engins du parc.
Face à cette situation, il devient difficile de convaincre l’opinion publique du bien-fondé des décisions politiques relatives aux investissements précipités dans l’énergie du vent. D’autant que les avantages sociaux de ces derniers restent à l’heure d’aujourd’hui inexistants. Certes, la construction des éoliennes permet à certains modestes propriétaires fonciers de tirer leur épingle du jeu en faisant une légère plus value sur la vente ou la location de leurs terrains. Mais le citoyen lambda, lui, ne voit que les 21 euros supplémentaires sur sa facture d’électricité d’ici 2020…une contribution financière des ménages nécessaire à la présumée diversification énergétique.
Quand le vent ne suffit pas pour sortir de la crise énergétique
Il est impossible de parler de la place des éoliennes dans la palette bulgare des sources d’énergie, sans évoquer le défi énergétique de taille auquel le pays est confronté depuis quelques années. Plusieurs éléments de contexte ont fait de la question de l’électricité, et plus particulièrement de celle de son prix, une préoccupation sociale majeure.
La dépendance énergétique du pays semble constituer le principal point noir au tableau.
Depuis la privatisation du secteur de l’énergie en 2007, le pays semble pris au piège des chocs d’offres provoqués par les trois fournisseurs étrangers se partageant le marché énergétique (EVN, CEZ et Energo Pro). Les dernières augmentations du prix de l’électricité ont d’ailleurs cristallisé la colère sociale. Face aux factures exorbitantes qui ont augmenté de 13% en juillet dernier (pour certaines d’une valeur de 60 euros pour un salaire mensuel moyen de 350 euros), le citoyen bulgare réclame la chute de la « dictature énergétique » dans une grève qui secoue le pays depuis plus de 100 jours.
A ce problème de dépendance énergétique se rajoute le va-et-vient incessant de la question des sources nucléaires représentant en 2012 presqu’un tiers de l’énergie totale de la Bulgarie. Là où celles-ci constituent aux yeux du citoyen un espoir d’autonomie énergétique partielle et donc un facteur de réduction des prix d’énergie, les décisions politiques ambivalentes à l’égard des centrales nucléaires bulgares s’enchaînent. Entre les travaux de construction de la centrale de Béléné (toujours inachevée depuis 1981) et la fermeture des deux blocs énergétiques de la centrale de Kozlodouï (initialement considérée comme la condition sine qua non à l’entrée de la Bulgarie dans l’UE puis repoussée à l’horizon 2017-2020), la population semble très peu rassurée face au flou politique concernant leur gestion et leur future contribution à la facture énergétique nationale.
Quelle serait alors la sortie possible de cette impasse énergétique dans laquelle se trouve la Bulgarie ? Miser sur l’état actuel des énergies renouvelables serait de l’optimisme illusoire. L’intérêt environnemental et économique des sources alternatives, qu’elles soient éoliennes ou pas, ne semble pas prêt à convaincre l’opinion publique bulgare figée dans son élan par l’absence de confiance grandissante à l’égard de sa classe politique dirigeante ; une classe politique faisant le choix de s’abriter derrières les visions et exigences européennes pour continuer à mener des actions d’une pertinence opérationnelle parfois fortement douteuse. Alors Shakespeare avait-il raison quand il disait « Souffle, souffle, vent d’hiver ; tu n’es pas si cruel que l’ingratitude de l’homme » ?
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