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Jeremy Rifkin dans son livre « La troisième révolution industrielle » (2011) nous invite à sortir de « l’accumulation de projets pilotes et de programmes en silo » et à poser la question écologique en des termes très larges. Il ne s’agit pas de substituer le lyrisme des révolutions à la tiédeur des transitions et des réformes graduelles. La possibilité d’une troisième révolution industrielle (TRI dans le texte) viendra du mariage des énergies renouvelables avec l’autre événement majeur de notre période historique: l’internet. Conclusion : l’ère post-carbone sera coopérative ou ne sera pas. Explications.

Reprise de l’article édité en octobre 2013.

 

Jamais deux sans trois (révolutions).

 

Rifkin

La première source du raisonnement de Jeremy Rifkin est historique. L’histoire des 19e et 20e siècle permet de formuler un «fil conducteur ». Il remarque que « les grandes transformations économiques de l’histoire se produisent quand une nouvelle technologie des communications converge avec un nouveau système énergétique ». A l’origine de la première révolution industrielle, on trouve bien sûr la machine à vapeur, mais le déploiement des réseaux continentaux de chemins de fer et la création de vastes complexes industriels qui suivent de quelques décennies son invention, n’auraient pas été possibles sans la généralisation du texte imprimé, elle-même rendue possible par l’industrialisation des imprimeries et le développement de l’alphabétisation. « Comment ces entreprises géantes auraient-elles pu gérer leur logistique compliquée si elles n’avaient pu donner des ordres écrits redescendant toute la chaîne de commandement et recevoir des rapports écrits de leur armée de travailleurs déployée sur d’immenses espaces ? ».

 

Au 20e siècle, c’est la convergence entre la communication électrique et le moteur à essence qui engendre la deuxième révolution industrielle. L’électrification des usines inaugure l’ère des biens produits en grande série, dont le plus important est l’automobile. La prospérité suit : « Des milliers de kilomètres de lignes téléphoniques ont été posées, puis sont venues la radio et la télévision : tout cela a remodelé la vie sociale et créé un vaste réseau de communications capable de gérer les activités géographiquement dispersées de l’âge du pétrole et de l’automobile ».

 

Ces deux premières révolutions ont en commun d’avoir imposé un modèle d’entreprise centralisée et à forte intensité en capital. C’est précisément ce modèle qui nous empêche aujourd’hui d’opérer la fusion entre la technologie d’internet et celle des énergies renouvelables et d’en voir la dynamique, celle qui annonce « une nouvelle ère économique », celle de la troisième révolution industrielle.

 

Jeremy Rifkin constate que nous avons atteint les limites des possibilités de poursuivre la croissance mondiale dans le cadre d’un système économique dépendant du pétrole et autres énergies fossiles. Le système économique qui nous a si bien servi autrefois est maintenant sous respiration artificielle. L’urgence n’est pas seulement climatique et écologique. Notre dépendance aux énergies fossiles est également économiquement et politiquement insoutenable. Le livre commence par quelques rappels : le chômage atteint des niveaux dangereux, Etats, entreprises et consommateurs sont lourdement endettés, un septième de l’humanité connaît la famine, 40% de l’humanité vit avec deux dollars par jours, ou moins, un changement des prix de produits de base (en 2008 les cours du soja et de l’orge avaient doublé, ceux du blé triplé et ceux du riz quintuplé…) représente un immense danger, aux Etats Unis, 2,9 millions de propriétaires ont reçu un avis de saisie de leur maison en 2010, etc.

 

Les énergies renouvelables ne sont pas des substituts.

 

La TRI s’organisera autour des énergies renouvelables si nous comprenons qu’elles ne sont pas de simples substituts aux sources d’énergies fossiles. Le soleil, le vent, l’hydro-énergie, la chaleur géothermique, la biomasse, les vagues et les marées sont largement distribués et ils ne peuvent pas être accaparés. On les trouve partout (à la différence du charbon et du pétrole). Chaque immeuble peut être construit pour être sa propre « mini-centrale électrique ». « Ces énergies dispersées peuvent être collectées dans des millions de sites locaux, puis rassemblées et partagées sur des réseaux électriques intelligents pour assurer les quantités optimales de courant et maintenir une économie durable et efficace. Distribuée par nature, l’énergie renouvelable nécessite des mécanismes de gestion coopératifs et non hiérarchiques ». Nous serons tous fournisseurs et usagers, modèle Linux et Wiki. Les technologies de l’hydrogène (pour stocker les énergies intermittentes) et la mutualisation sur une grande échelle garantiront notre confort d’utilisateur et notre dynamisme d’entrepreneurs.

 

Le reste suit. L’Encyclopaedia Britannica n’a pas résisté longtemps à Wikipedia. Les usages professionnels des imprimantes 3D se multiplient très rapidement en attendant peut-être de transformer nos habitations en autant de Fab Labs. C’est bien un nouveau modèle de production et de consommation, réticulaire, décentralisé, qui émerge. Jeremy Rifkin multiplie les exemples de réussites d’entreprises, start-up d’internet, réseaux d’artisans du monde entier, agriculture à soutien communautaire » (les circuits courts), car sharing, financement par l’appel à l’épargne locale, installation de « systèmes solaires domestiques », etc. Il pointe la convergence entre ces entreprises et un des pôles du débat politique, qui « se structure moins en termes de droite et de gauche qu’autour d’un nouveau clivage, centralisé et autoritaire contre distribué et coopératif » et y voit une possible sortie des impasses écologiques, économiques, politiques, dans lesquelles nous sommes engagés.

 

Ceci n’est pas une transition, mais une révolution.

 

Poser le problème en termes de transition énergétique, transition à l’issue de laquelle les énergies seront indéfiniment renouvelables et le réchauffement climatique stoppé, « toutes choses égales par ailleurs », nous empêche de voir le potentiel de notre situation.

 

Avec le « Paquet législatif Climat-Energie », voté en 2008, l’Union Européenne a fixé trois objectifs à atteindre avant 2020. Les pays européens doivent réduire d’au moins 20% les émissions de gaz à effets de serre, porter à 20% la part des énergies renouvelables dans la production totale d’énergie et enfin diminuer d’au moins 20% la consommation d’énergie. En France, après le Grenelle de l’Environnement en 2007, nous sommes invités à débattre de la « transition énergétique ». La question de la part du nucléaire dans notre « bouquet énergétique » national occupe logiquement une grande place dans ce débat, pendant que les tenants de l’exploration, voire de l’exploitation des gaz de schiste, poursuivent leur travail de persuasion au nom de l’emploi et de l’exemple américain. Par ailleurs, et après l’échec du Sommet de Copenhague sur le Climat en 2009 – le journal Le Monde titrait : « Douze journées pour passer de l’espoir à la désillusion »- la France se prépare à accueillir en 2015 la prochaine Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques.

 

Dans toutes ces instances et tous ces sommets, nous risquons de débattre indéfiniment des délais (2030 ? 2050 ?), des objectifs chiffrés (20% ? 50% ?), de la composition du mix énergétique, des avantages comparés de la géothermie, des hydroliennes, du nucléaire (beaucoup, un peu, pas du tout ?), et sur la part que chacun doit prendre dans les efforts à consentir, entre ceux qui consomment et polluent beaucoup aujourd’hui et ceux qui en avaient rêvé ! Les résultats sont bien minces.

Il faudrait nuancer ce jugement bien sûr. L’économie circulaire, une moindre consommation d’énergie et le verdissement des compétences et de la fiscalité, sont également à l’ordre du jour. Les tenants de la frugalité radieuse (à moins que ce soit la sobriété heureuse), et notamment Pierre Rabhi, leur porte parole talentueux, envisagent notre vie de consommateur selon d’autres paramètres que celui des économies d’énergies, mais ils peinent à sortir de leur marginalité.

 

Du rôle des utopies.

 

Dans ce nouveau livre, dans la suite de ceux annonçant La fin du travail, L’âge de l’accès ou Le rêve européen, Jeremy Rifkin fait éclater les raisonnements cloisonnés, problème après problème. Les convergences qu’il met en scène ne sont pas seulement technologiques. Elles dépassent la rencontre annoncée des technologies nano-bio-informatique-sciences cognitives (NIBC dans le texte) qui pourrait, dit-on, nous transformer en homme symbiotique et immortel.

 

C’est bien une révolution globale que Jeremy Rifkin annonce. Elle ouvre sur l’ère coopérative qui offre à l’humanité non seulement l’opportunité d’une nouvelle période de prospérité, mais aussi « l’occasion de s’affranchir, de desserrer l’étreinte d’une vie mécanisée bien au chaud dans un monde utilitariste, et de respirer avec ivresse l’air de la liberté. » Un air sans carbone dans lequel « L’Homo sapiens cède la place à l’Homo empathicus » et qui nous invite à nous éloigner du pouvoir hiérarchique pour nous rapprocher du « pouvoir latéral ». Utopie, direz-vous. Rappelons-nous le sens que Thomas More donnait au 16e siècle à ce mot. Son best seller décrivant le gouvernement de l’Ile Utopia est une pure fiction. Ses deux objectifs, proposer une critique de l’ordre existant et imaginer, explorer, élargir le champ du possible, visaient pourtant le monde réel et l’ont atteint.

 

Jeremy Rifkin. « La troisième révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde ». Les Liens qui Libèrent. 2011. 410 pages.

 

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.