par Gérard Bardier
C’est apparemment le vœu de beaucoup de seniors au travail, si on en croit ceux que les consultants rencontrent tous les jours dans le cadre de plans de départs, qu’ils soient volontaires ou pas. La réduction d’effectifs par départs en (pré) retraite reste encore la solution la plus consensuelle dans les entreprises comme le montre cette contribution adressée à Metis.
Lors de l’ouverture de ces plans, les salariés les plus âgés sont invités, s’ils le souhaitent, à rencontrer un responsable RH ou un consultant qui va les aider à examiner l’intérêt pour eux de s’orienter vers un départ à la retraite, notamment en calculant avec eux la date où ils pourront liquider leur retraite à taux plein.
Le législateur a organisé depuis la loi Fillon de 2003 une information systématique des salariés sur leurs droits, avec notamment l’envoi tous les 5 ans d’un relevé de carrière qui comprend l’ensemble des informations permettant d’estimer la date de départ et le niveau futur de leur pension. Malgré ce progrès indéniable, les salariés ont besoin à la fois d’une aide pour comprendre les conditions de leur départ éventuel et d’être rassurés sur le fait de ne pas se tromper sur ces sujets sensibles. Le temps est loin où certains seniors vous expliquaient tranquillement qu’il leur restait 2 ans, 3 mois, 8 jours et 11 heures avant de prendre une retraite bien méritée : les lois successives depuis 20 ans, les divers types d’exception et les conditions différenciées selon l’année de naissance sont passés par là.
Il est vrai que si l’identification de la date où ils rempliront les conditions d’une retraite à temps plein n’est jamais simple, elle peut être particulièrement compliquée pour les parcours les plus atypiques. Le résultat est qu’avec un relevé de carrière à jour, il ne faut que peu de temps au consultant pour faire ses calculs, mais il faut plus d’une heure de pédagogie pour décrypter la situation avec le salarié et le voir repartir en ayant bien compris sa situation.
A partir de milliers de rencontres, les intervenants observent que l’immense majorité des seniors concernés est particulièrement désireuse de basculer du statut de vieux salarié à celui de jeune retraité. On observe deux types d’exceptions, très minoritaires il est vrai. La première concerne des personnes, toutes catégories socio professionnelles confondues, dont les seules relations sont professionnelles et qui paniquent à l’idée de s’en couper. La deuxième concerne des personnes dans la partie supérieure de la hiérarchie qui ne voient pas de raison de quitter un travail dans lequel elles disposent de beaucoup d’autonomie et d’occasions de faire des activités passionnantes.
Cette quasi unanimité est révélatrice de la manière dont les seniors se situent au travail, les deux types d’exception apportant un éclairage particulier. Signalons cependant qu’une étude récente de l’INSEE a montré que pas moins de 12 % des retraités de 60 à 69 ans avaient quitté leur dernier emploi pour raison de santé ou de handicap.
L’observation des carrières professionnelles fait apparaître que le changement d’emploi ou de poste est de moins en moins fréquent au fur et à mesure que les salariés avancent en âge. Une étude précise dans une entreprise moyenne avait révélé que plus de 90 % des moins de 40 ans étaient depuis moins de 5 ans dans leur poste alors que plus de la moitié des plus de 45 ans y étaient depuis plus de 5 ans. La réduction de la mobilité professionnelle est sans doute bienvenue pour les trentenaires qui ont multiplié les CDD en début de carrière, mais elle peut devenir problématique pour les seniors. Parmi les plus de 50 ans, et encore plus parmi les plus de 55 ans, ceux-là même qui vont se poser de manière précise la question de la date de leur départ, une part très importante occupe le même poste depuis 10 ou 15 ans, voire davantage.
Rester longtemps dans le même poste, cela signifie que les occasions de rencontrer des situations nouvelles (et par là de progresser en compétences) se raréfient. Le temps passant, être réticent aux changements du contenu ou des modalités de travail, regretter les anciennes méthodes ou avoir la nostalgie des fonctionnements du passé est de plus en plus tentant. Avec le changement organisationnel et technologique permanent, l’époque où la principale compétence était l’expérience accumulée des situations particulières de son métier est largement révolue.
Alors que le discours officiel consiste à dire que les seniors doivent valoriser leur expérience et transmettre leurs compétences à travers des processus comme le tutorat, les employeurs sont persuadés que la plupart des seniors sont rétifs au changement, ne maîtrisent pas les compétences les plus modernes, voire ont des compétences obsolètes et globalement sont tournés vers le passé. Au point que le premier conseil donné par les consultants aux seniors qui recherchent un emploi est d’éviter à tout prix de sur valoriser leur passé et au contraire, à travers leurs lettres de motivations ou à l’occasion de leurs entretiens, de se projeter en priorité sur l’avenir.
A l’heure où le gouvernement pousse les feux sur les contrats de génération, il faut noter que ce sont souvent les anciens qui profitent le plus de la relation entre jeunes et anciens au travail, tant pour enrichir leurs compétences que pour se tourner plus résolument vers l’avenir. La relation inter générationnelle ne fonctionne de manière satisfaisante que si elle est basée sur la réciprocité.
Le cas de ceux qui craignent de perdre tout lien social en quittant leur travail montre aussi à quel point le travail est un lieu de relations sociales. Certains chercheurs ont beau pointer la disparition des collectifs de travail et les conséquences perverses de l’individualisation des objectifs et des rémunérations, le temps que nous passons dans le travail est tel que c’est dans le cadre du travail que nous établissons la plus grande partie de ces relations indispensables à l’être social que nous sommes. A l’inverse, quand ces relations se caractérisent de plus en plus par des reproches sur les compétences ou des mises à l’écart, l’envie de partir ne peut que grandir.
Pour ceux qui sont toujours valorisés et considérés dans l’entreprise, notamment parce qu’ils sont dans le haut de la hiérarchie, partir à la retraite, passer de l’état de patron à celui de papy, c’est au contraire perdre un statut social très valorisant. C’est parfois aussi constater que les liens privés, y compris familiaux, sont devenus très ténus, tant ils ont été sacrifiés à la carrière professionnelle.
L’enthousiasme pour le départ à la retraite n’interdit pas les désillusions. S’il existe de très nombreux retraités heureux, il en est qui constatent après les premiers mois qu’ils n’ont pas pris le temps de préparer le socle de leur nouvelle vie qui se trouve alors bien vide. Le retour à la réalité peut survenir très vite : très récemment était cité le cas d’un senior sous anti dépresseurs trois semaines après avoir décidé de liquider sa retraite.
Depuis 1995 et l’arrivée des classes du baby boom à l’âge de 50 ans qui marque habituellement la limite de la qualification de senior dans les entreprises, celles-ci ont vu la proportion de seniors nettement progresser, pour atteindre environ un quart des effectifs aujourd’hui. Il serait temps pour elles de s’organiser pour que ces seniors, souvent parmi les mieux payés, ne soient pas un poids mais une richesse. Cela suppose notamment de booster la mobilité interne pour que la durée dans un poste ne pousse pas au repli sur soi (8 ans devrait être un maximum) et de faire baisser cette pénibilité génératrice d’inaptitudes et de handicaps, que le législateur a bien l’intention de leur faire payer.
Gérard Bardier est consultant pour BPI group. Il a 25 ans d’expérience dans les domaines de la conduite du changement, de l’organisation et du temps de travail, ou encore de la gestion des compétences.
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