par Pipame, Sémaphores, Université Paris-Dauphine
Une étude récemment publiée fait le point sur les « Relocalisations d’activités industrielles en France ». Emanant conjointement du Centre d’Etudes et Prospective et de Sémaphores (Groupe Alpha) ainsi que de l’Association du Centre d’études des Dynamiques Internationales de l’Université Paris-Dauphine, elle montre combien les dynamiques de la mondialisation évoluent et combinent, entre autres, logiques de dé – mais aussi de re – localisations. Extrait de la synthèse finale.
Les travaux relatifs aux principaux déterminants des délocalisations soulignent que les vagues observables de relocalisations dans les dernières décennies, pour certains pays et certaines activités, reposent notamment sur la combinaison d’une automatisation efficiente et d’une meilleure réactivité face au marché. Les études rendent compte également de la régénération d’avantages comparatifs dans les pays originaires des délocalisations, lorsque ces pays peuvent relancer le cycle de produits banalisés, grâce à leur disponibilité en compétences et à leurs capacités d’innovation. La littérature souligne enfin l’hétérogénéité des logiques sectorielles et des comportements d’entreprise à l’égard des stratégies de localisation et des modes de division du travail : cette hétérogénéité contribue à expliquer la coexistence de dé- et relocalisations à l’intérieur d’un même secteur.
Nos travaux empiriques apportent confirmation à ces analyses, et établissent les principaux points suivants. Premièrement, le mouvement de relocalisation, sans être massif, n’est pas marginal, et il peut même être considéré comme prometteur. Il concerne en effet des entreprises très variées, qu’il s’agisse de leur appartenance sectorielle, de leur taille, de leur ancienneté, de leurs dimensions industrielles, commerciales, humaines et capitalistiques, de leur contenu en innovation, de leur positionnement en gamme, de leur appartenance capitalistique, et plus généralement de leur histoire économique. Deuxièmement, ces entreprises ont par nature pour point commun d’avoir envisagé la production à une échelle sinon mondiale, du moins internationalisée. Immergées dans la mondialisation, elles en dessinent la version positive et offensive, en quelque sorte. De ce fait, elles sont représentatives de cette « respiration » qui caractérise l’économie mondialisée contemporaine, et qui revisite régulièrement les avantages comparatifs des produits, des marques, et des coûts de production (et autres conditions de production et de logistique). Troisièmement, par voie de conséquence, ces entreprises sont régulièrement appelées à réexaminer leurs choix stratégiques, et à revoir donc l’adéquation de leur appareil de production, de logistique et de commercialisation, aux nouvelles conditions de marché et aux nouvelles orientations stratégiques ainsi définies. Repositionnements de gamme, ou ajustements dans les gammes de produits ; nouvelles offres de produits ; nouveaux procédés de production ; innovations de tous ordres, rebattent les cartes des chaînes de valeur des marchés, sinon en permanence, du moins à intervalles resserrés.
Ce mouvement de régénération régulière des avantages comparatifs s’opère de manière très visible, qu’il procède par révision d’erreurs passées (découverte de coûts cachés de délocalisation), ou par actualisation de données macroéconomiques (évolution défavorable des coûts de production), ou encore qu’il s’appuie sur une réorientation stratégique des chaînes de valeur et de réactivité de l’entreprise, il sous-tend l’ensemble des cas étudiés. Nous pouvons décemment en déduire qu’il concernera potentiellement un nombre croissant d’entreprises, parmi celles immergées dans les marchés mondialisés. A contrario, il n’a pas vocation à devenir général : il subsistera, dans les mêmes secteurs, et concomitamment, des mouvements de dé- et de relocalisation des facteurs de production. La concurrence s’opère, sur les marchés mondialisés, selon des paradigmes susceptibles de varier, et sous certaines conditions, de relativiser (ce qui ne signifie pas annuler) les logiques de prédominance des coûts. Plus exactement, coexistent sur ces marchés, ou se succèdent dans le temps :
* des combinaisons productives où l’optimisation de la chaîne de valeur, s’opérant à positionnement prix/produits constant ou peu variable, s’appuie de façon privilégiée sur la compression de la chaîne de coûts, en acceptant une certaine rigidification de la chaîne de réactivité vis-à-vis des marchés ;
* et des combinaisons productives reposant sur des chaînes de réactivité courtes, permettant des repositionnements prix- produits à fréquence plus élevée (allant jusqu’à la personnalisation de produits et de services), et relativisant ainsi la chaîne de coûts correspondante.
De tels marchés permettent, par moments, de substituer aux stratégies de délocalisation, et de délégation de la production à des pays à bas coûts de main-d’œuvre, d’autres stratégies créatrices de davantage de valeur, et plus propices au rapatriement d’unités de production industrielle en France.
Le phénomène des relocalisations (comme des délocalisations) apparaît donc intimement lié à la fragmentation des chaînes de valeur actuelles, et à leur recomposition, sinon permanente du moins régulière, à l’échelle mondiale. Il dessine les contours d’une « mondialisation offensive », mobilisant de nouveaux avantages comparatifs au service d’un repositionnement dans la chaîne de valeur, dont la relocalisation des activités productives n’est que l’expression, et non la fin en soi.
Lire le rapport « Relocalisations d’activités industrielles en France »
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