En janvier, le ministre britannique des finances a proposé de relever le salaire minimum horaire de 11% d’ici 2015 qui passerait ainsi de 6.31 £ à 7 £. Ce geste généreux doit « assurer que nous ayons une reprise pour tous et que le travail paie toujours ». En est-on si sûr ?
Ceci nous invite à parler d’une démarche purement « british » qui est à cent lieux de notre culturel. Mais why not ?
Pour cela il faut se rendre sur le site de la Living Wage Foundation. Sur sa page d’accueil, trois messages :
– Le salaire pour vivre, living wage, LW, doit être de 8.80 £ à Londres et de 7.65 £ dans le reste du pays, par heure de travail,
– Respecter ce LW est non seulement moral mais c’est le bon sens même d’un point de vue économique,
– Devenez des employeurs qui s’engagent à adopter le LW.
Le LW se caractérise ainsi par cinq traits :
– c’est un taux horaire rémunérant le travail, taux actualisé chaque année,
– il est calculé en tenant compte du coût de la vie avec l’aide d’experts,
– ce taux est adopté par les entreprises sur la base du volontariat,
– cette démarche est non-partisane,
– son objectif est bon pour les entreprises, bon pour les personnes, bon pour la société.
Un mouvement de citoyens
Cette fondation promeut donc le LW. C’est une « charity », association à but non lucratif à vocation charitable, portée par Citizens UK, mouvement de citoyens.
Citizens UK se présente comme une alliance de groupes locaux de Londres, Birmingham, Cardiff, Milton Keynes et Nottingham. Elle fédère aujourd’hui 214 associations locales (100 en 2009) : des églises, des mosquées, des synagogues, des écoles, des universités, des syndicats, des think-tanks, des associations de locataires… Son objectif est de créer des groupes de pression pour améliorer la vie des communautés dans le pays en intervenant auprès des décideurs.
Que fait-elle ? Trois choses :
– la labellisation des entreprises qui respectent ce LW
– le soutien méthodologique aux entreprises qui veulent mettre en œuvre le LW pour obtenir le label
– la promotion du LW par des manifestations, forum, organisation d’une semaine du LW en novembre etc…
Aujourd’hui plus de 500 entreprises ont reçu ce label, dont 40% appartiennent au secteur privé, 40% au secteur de l’économie sociale et 20% au secteur public. On y trouve quelques entreprises financières (comme Aviva, Barclays) et de nombreux grands cabinets de conseil et d’audit (Clifford Chance, Deloitte, Accenture, KPMG..). Mais en réalité, hormis celles citées, très peu d’autres grandes entreprises.
Plus de 10 ans pour obtenir ce résultat
Cette campagne a été lancée, sous cette forme de mouvement citoyen, par des membres du London Citizens en 2001. Plus précisément, des citoyens de l’East End de Londres faisaient le constat que, même en travaillant beaucoup, ils n’arrivaient pas à joindre les deux bouts.
Ils ont donc pris diverses initiatives, mené des campagnes pour alerter l’opinion et obtenus quelques succès locaux, tant et si bien qu’en 2005, le Grand Londres décidait de faire calculer un London Living Wage. Désormais, chaque année, un rapport est publié pour réactualiser ce taux qui tient compte à la fois du budget minimum pour vivre décemment et du seuil de pauvreté (60% du revenu médian).
Trois ans après, en 2008, ils reçoivent un soutien important du Trust for London, une fondation consacrée aux problèmes de pauvreté et d’inégalité, qui distribue chaque année 5 millions £ d’aides. Ainsi, ce Trust leur a octroyé une subvention de 1 million de £ pour leur permettre de changer de dimension et d’être plus professionnel.
En 2011, cette campagne s’élargit à d’autres parties du pays. Un deuxième LW est calculé par un centre de recherche de l’Université de Loughborough pour tenir compte de la différence du coût de la vie avec Londres.
Elle est soutenue par le bouillant maire de Londres, Boris Johnson et par deux grandes institutions anglaises KPMG et AVIVA (certaines insinuent que c’est pour améliorer leur image bien ternie après ces années de crise financière).
Ce n’est pas gagné (of course !)
D’après la fondation, son action a permis à 45 000 salariés de toucher le LW alors qu’il y a environ 5 millions de salariés qui reçoivent au Royaume Uni un salaire inférieur.
Ce problème concerne principalement les emplois peu qualifiés de service de proximité, les travailleurs pauvres dans le commerce, les aides à la personne, le nettoyage, la restauration etc… Ces salariés pauvres travaillent en majorité dans de petites entreprises sans syndicats.
Par exemple : les grands magasins.
Les militants de LW ont entamé des négociations avec les grands magasins anglais bien connus : Tesco, Mark & Spencer, John Lewis pour les inciter à se faire référencer comme respectant le LW.
Les débats ont été rudes pour plusieurs raisons :
– ces employeurs ont clairement refusé de payer ce salaire de base arguant du fait qu’en réalité, ils payent finalement mieux leurs salariés si l’on inclut les primes, les plans d’actionnariat salarié, la participation aux bénéfices etc…
– ils ont également refusé de demander à leurs sous-traitants de se conformer au LW
La fondation en a donc référé à son conseil pour finalement proposer un compromis qui constitue une dérogation à la notion de LW : au lieu d’avoir une définition stricte fondée sur le salaire horaire de base, ils ont proposé que le calcul du salaire minimum puisse inclure les primes etc…
Mais ils ont été fermes concernant les sous-traitants (comme les entreprises de nettoyage).
Le bras de fer continue donc.
Qu’en pensent les syndicats ?
A la fois ils soutiennent mais ils ont quand même plusieurs réticences :
– en effet, dans cette démarche, où est la voix des salariés ?
– si les entreprises acceptent ce salaire horaire de base, on peut craindre qu’elles récupéreront ailleurs (en supprimant certains avantages comme par exemple les congés maladie…)
– la réalité est qu’il y a des entreprises qui font des profits et traitent bien leur personnel mais elles ont déjà externalisé les activités à bas salaire dans des entreprises qui font de faibles marges et ne pourront adopter le standard LW.
Retour au politique
Cette démarche, un peu hors norme, a quand même le mérite de mettre le doigt sur les incohérences du salaire minimum.
Dans le pays chantre du libéralisme, le salaire minimum a finalement été imposé par le gouvernement travailliste de Tony Blair en 1999. Première brèche dans la sacro-sainte loi du marché qui serait le seul capable de fixer les prix.
Ce salaire horaire minimum est réévalué chaque année et sa valeur s’accroît même rapidement : ainsi entre 1999 et 2014, il a augmenté de 75% (en France, sur la même période le smic s’est accru de 53%). Aujourd’hui donc, le salaire horaire minimum anglais est de 6.31 £ soit environ 7.60 € (en France, 9.53 €).
Mais aujourd’hui, il apparaît que ce salaire minimum est déconnecté de la réalité : on ne peut pas vivre avec. Si bien qu’aujourd’hui le LW est devenu progressivement une nouvelle référence. On l’a vu, le maire de Londres la soutient et depuis peu l’opposition travailliste (déclaration de Ed. Miliband, leader travailliste).
D’où deux stratégies :
– celle du gouvernement actuel qui est coincé entre sa forte réticence à intervenir par la loi et un mécontentement qui monte. Il tente donc de désamorcer les revendications en proposant une augmentation échelonnée de 11% (Le maire de Londres dit que le LW est 39% au-dessus du salaire minimum national)
– celle de l’opposition qui, s’appuyant sur le mouvement créé par la LWF, veut pousser les entreprises à adopter le LW volontairement par trois méthodes :
o faire connaître les entreprises vertueuses et donc montrer du doigt les autres. Jouer sur la réputation,
o donner l’exemple. Ainsi il est demandé aux collectivités d’imposer aux sous-traitants d’adopter cette norme,
o en incitant les entreprises à le faire en leur accordant une réduction annuelle d’impôt de 1000£ par salarié pour compenser une partie du surcoût.
Le débat fait rage, certains affirmant qu’augmenter ce salaire minimum conduirait à détruire de l’emploi et donc à augmenter le chômage, la pauvreté ce qui conduirait à accroître les aides de secours aux personnes démunies, les autres, au contraire, soutiennent que l’adoption du LW permettrait au budget de l’Etat d’économiser sur les dépenses de transfert devenues inutiles et améliorerait la performance des entreprises.
Il est évidemment difficile de dire quel avenir aura ce LW. Mais on peut déjà remarquer que vouloir imposer le LW comme référence va poser des problèmes redoutables de légitimité et de coexistence avec le salaire minimum national. Peut-être les Anglais sont-ils en train d’inventer quelque chose de nouveau ?
Pour terminer, on ne peut résister au plaisir de raconter comment les Anglais réussissent à introduire l’Europe dans le débat. Le gouvernement conservateur a déclaré que forcer des entreprises à payer le LW pour pouvoir répondre à un appel d’offre lancé par une collectivité locale est probablement contraire aux règles de la concurrence européenne.
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