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par Pavlena Dobreva

A l’heure de la mise à jour des statistiques comparatives en matière de salaire minimum et moyen en Europe, et en plein débat sur la nécessité d’établir une rémunération minimale commune au niveau européen, il semble intéressant de s’interroger sur les réalités sociales qui se cachent derrière les données quantitatives.

 

La comparaison des salaires minimums et moyens en Europe : d’accord, mais encore ?

Il serait impossible d’aborder la question de la nature, de la place et du vécu des salaires en Europe, sans rappeler quelques éléments de fond.

 

Vingt et un pays européens sur les vingt-huit ont fait le choix de mettre en place un système national qui fixe le salaire minimum légal sept autres fixent (ou non) leurs salaires minima par branches. Les dernières données comparatives de l’Eurostat montrent une très forte hétérogénéité mais aussi un écart considérable entre le montant le plus bas et le montant le plus haut.

 

revenus

Dans une première catégorie, les salaires minima les plus bas allant de 159 euros pour la Bulgarie à 401 euros pour la Croatie. Un deuxième regroupement positionne les salaires minima mensuels situés entre 566 euros en Pologne et 784 euros en Slovénie. Enfin, dans le groupe des salaires minima les plus élevés, six pays dont la France, avec des montants mensuels allant de 1190 euros pour le Royaume-Uni à 1874 euros pour le Luxembourg.

 

Ces catégories semblent perdre en partie leur sens lorsque l’on analyse les salaires moyens.

 

D’après le Comparatif social européen, le salaire moyen est de manière générale deux à deux fois et demie plus élevé que le salaire minimum. Ce n’est pas le cas partout. Le salarié bulgare, par exemple, n’a décidément pas de chance. Non seulement il bénéficie du salaire minimum le plus bas d’Europe, mais le salaire moyen est à peine 1.9 fois plus élevé que le minimum.

 

D’autres constats créent la surprise. Les Pays-Bas et la France ont parmi les salaires minima les plus élevés (respectivement 3ème et 5ème place). Leurs salaires moyens sont cependant moins de deux fois plus élevés que le salaire minimum. A l’inverse, la Lettonie, la République tchèque, l’Estonie et la Hongrie ont parmi les salaires minima les plus bas mais bénéficient de salaires moyens qui sont deux fois et demie à trois fois plus élevés que le salaire minimum. Le Luxembourg et la Belgique, en tête de la liste des salaires minima les plus conséquents, témoignent d’un salaire moyen tout juste deux fois plus élevé que le minimum.

 

Cependant, en dehors du constat que le record malheureux en matière de salaire minimum ou moyen est bulgare, que le salaire minimum le plus haut est douze fois plus élevé que le le plus bas, et qu’avoir des salaires minima conséquents n’est pas synonyme d’une rémunération moyenne plus élevée, ces données ne permettent pas de comprendre la réalité même des montants énoncés, et encore moins de saisir l’ampleur de leurs impacts sur la vie des ménages européens.

 

Les standards et priorités d’achat des ménages sont-ils les mêmes dans chacun de ces pays ? Sur la base d’un achat de produits similaires, la proportion du salaire qui y est consacrée, serait-elle la même ? Comme disait un certain Edouard Bourdet, il faut choisir dans la vie entre gagner de l’argent et le dépenser. On n’a pas le temps de faire les deux, mais souvent pas la possibilité non plus…

 

Le jeu d’équilibriste : où comment s’organisent les dépenses des ménages européens ?

Déterminer la part du salaire dans le budget dont disposent les ménages européens n’est pas chose aisée et il est encore plus difficile de savoir comment il est dépensé. Aussi, afin d’essayer de fournir une réponse ne serait ce que partielle à la question des standards et priorités de dépense des ménages en Europe, nous retiendrons pour base le revenu disponible.

 

En 2012, 23.6% du budget des ménages européens concerne le logement. En tête, les pays nordiques et la République tchèque, a contrario, c’est la Lituanie, la République de Malte, le Portugal, la Roumanie et la Bulgarie qui dépensent le moins pour le logement (le taux de propriétaires par héritage étant important). Ces dépenses de logement sont considérées comme faibles par rapport aux dépenses alimentaires nettement plus significatives.

 

Un autre poste important de dépense entre en jeu en Europe : le transport. En moyenne, il s’élève à 13%, soit presqu’autant que le budget consacré à la nourriture. Les seuls pays à dépenser moins de 10% sont la République tchèque, la Pologne et la Slovaquie.

 

Quant aux dépenses consacrées aux loisirs (en moyenne 8.9% du budget disponible) elles se révèlent tout aussi discriminantes que celles concernant l’alimentation. Les ménages nordiques sont ceux qui dépensent le plus (11%), à la différence de la Grèce, de la Lituanie, de la Roumanie et de la Bulgarie qui ne dépensent que 5% de leur budget.

 

Quelques exemples concrets permettent de mieux peser les écarts entre pays :

– Tous chiffres confondus, 50.9% des dépenses d’un ménage bulgare sont consacrées à la nourriture, au logement et à l’énergie. Par comparaison, en France, le budget pour ces mêmes dépenses est de 30%. Rapportées aux revenus annuels médians des ménages, ces parts de dépense révèlent un écart réel : il restera au Bulgare environ 1.100 euros annuels pour le reste de ses dépenses, alors que le Français aura 5.270 euros annuels

– De même, prenons les 5% du budget annuel grec, lituanien, roumain et bulgare consacrés aux loisirs. N’ayant pas les mêmes revenus annuels médians, l’enveloppe de loisirs dans ces pays se révèle fortement discriminante : 540 euros pour les ménages grecs, 209 euros pour les ménages lituaniens et une centaine d’euros à peine pour les ménages roumains et bulgares.

 

Enfin, les dépenses des revenus en Europe sont d’autant plus variables que la composition des ménages diffère. Pour que l’on puisse s’approcher du niveau de vie réel, encore faut-il peser la distribution des revenus en fonction du nombre de personnes qui composent la famille et qui contribuent donc à ses dépenses…

 

Le poids d’un panier d’achats sur le salaire minimum d’un européen

Avant de terminer ce tour de piste rapide et non exhaustif de cette balade européenne, une dernière simulation semble intéressante : partir faire quelques achats dans certains pays, en n’ayant en poche que le salaire minimum national.

 

Revenus

Pour cela, rendons-nous au supermarché en transport commun (aller-retour) et remplissons, à titre d’exemple, le panier contenant les aliments suivants :

1 kg de tomates (en saison), 1 kg de pommes de terre, 1 kg de bœuf, 1 kg de pommes, 1 litre de lait, 6 œufs, 4 yaourts et 1 bouteille d’eau minérale.

 

Le calcul des frais de transport et du montant de notre panier d’achats, illustre de manière incontestable le fossé qui se creuse entre les pays de l’échantillon. Mais au-delà des disparités observables, ces simulations permettent également de faire deux constats importants.

 

Le montant de la facture représente un pourcentage différent du salaire minimum de chaque pays. Le panier le moins cher de l’échantillon (8.5 euros en Bulgarie) représente la deuxième dépense la plus significative du salaire minimum (5.4%). Avec une facture de 24 euros en République tchèque et de 21 euros en Espagne, un tel achat représenterait respectivement 7.8% et 2,8% du salaire Enfin, l’impact serait quasiment similaire en Espagne et en France, alors que le prix du panier serait plus cher de 13.5 euros en France. Le Luxembourg creuse l’écart avec le salaire minimum le plus élevé d’Europe, pour lui, la simulation se révèle comme ayant l’impact le plus faible (31 euros, soit 1.6% du salaire minimum).

 

Second constat : l’hétérogénéité au sein d’une même catégorie de salaires minima. Parmi les salaires minima les plus bas (Bulgarie et République tchèque), les dépenses alimentaires tchèques ont un impact presqu’une fois et demie plus significatif que les bulgares, alors que la différence de salaire minimum est d’à peine 150 euros. De même, parmi les salaires minima les plus élevés ( Luxembourg et France), le panier d’achat grignote une fois et demie plus du budget pour le Français que pour le Luxembourgeois.

 

Tout compte fait, même si les différentes simulations et comparaisons évoquées ci-dessus ne se veulent aucunement représentatives sur le plan statistique, elles ont la vertu de proposer une vision partielle plus concrète de l’impact que certaines dépenses peuvent avoir sur le budget des ménages européens ou encore sur le salaire minimum en vigueur dans chacun de ces pays.

 

Alors chers camarades européens, face à ces données, avez-vous l’impression que nous sommes égaux dans l’utilisation de nos salaires ?

 

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