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Vieille lune ou projet d’avenir ? Ce salaire minimum applicable à tous les Européens pourrait être une pierre angulaire d’une Europe sociale mise à mal depuis longtemps. Le déterminer n’entre pas dans la compétence des institutions européennes. Enrique Fernandez-Macias et Carlos Vacas-Soriano d’Eurofound analysent donc en quoi pourrait consister une coordination des politiques en la matière.

L‘université Cornell publie le rapport des deux chercheurs. Ils ont procédé à un travail statistique et technique fouillé, ils passent en revue la riche littérature qui existe sur la question, les débats qu’elle soulève, la variété des dispositifs existants – qui ne facilite pas une éventuelle coordination-, puis ils explorent ce que pourrait être un seuil de salaire minimal et ses conséquences sociales, économiques et institutionnelles.

Quel salaire minimum ?

L’hypothèse centrale retient un seuil qui, pour chaque Etat membre, serait fixé à 60% de leur salaire médian (la moitié des salaires est supérieure au salaire médian et la moitié est inférieure). Des variantes sont également examinées : un seuil de 50% des salaires moyens de chaque Etat membre (moyenne de l’ensemble des salaires pratiqués dans le pays) et un seuil de 60% des salaires médians par pays et par secteur ou branche. Chaque variante présente des avantages et des inconvénients, notamment selon le niveau des salaires minimaux pratiqués dans chaque pays, de leur échelle de salaires ou des secteurs dans lesquels travaillent les salariés. Une question essentielle se pose, combien de bénéficiaires ? Une contrainte est également à prendre en compte, le bouleversement plus ou moins important qu’induirait la mise en place d’un salaire minimum européen sur les dispositifs juridiques et contractuels à l’œuvre actuellement.

Hypothèse centrale : un salaire minimum à 60% des salaires médians

Le tableau suivant positionne le niveau des salaires minima pratiqués dans les Etats membres par rapport à la diagonale représentant 60% des salaires médians.

 

mediane 2

Que constate t-on ? Une telle hypothèse représenterait pour une grande majorité de pays une hausse du niveau actuel des salaires minima. Seraient notamment concernés, les Pays Bas, l’Espagne, le Luxembourg, le Grande Bretagne, l’Irlande et la plupart des Etats membres d’Europe de l’Est. A l’inverse, le seuil serait nettement plus bas pour l’Italie qui occupe une situation en Europe assez exceptionnelle. La France se situe à peine au dessus de ce seuil de 60% du salaire médian.

Combien de salariés pourraient bénéficier d’une telle mesure ? C’est la variable économique et sociale clé.

 

Tableau 2

D’après Eurostat, dans la plupart des pays, entre 10 et 15% des salariés se situent actuellement sous ce seuil. En Grande Bretagne, en Irlande, en Allemagne, dans les pays baltes, ce sont environ 20% des salariés qui seraient concernés. Les Etats qui ne disposent pas d’un salaire minimal national sont particulièrement touchés, Allemagne, Italie, Autriche ou Chypre, le Danemark l’est moins. Les Etats qui disposent d’un salaire minimum national ont également des salariés sous ce seuil mais globalement en moins grand nombre : la France, la Lituanie, la Grande Bretagne ou l’Irlande. Ce peut être dû à un salaire national minimum inférieur à l’hypothèse étudiée mais aussi à des pratiques qui ne respectent pas les seuils légaux ou à des dispositions spécifiques pour certaines populations comme les jeunes.

 

Classement des pays selon les impacts d’un salaire minimum à 60% des salaires médians
Le tableau suivant résume les impacts quantitatifs et institutionnels d’un salaire minimum européen. A un extrême, l’Allemagne pour qui les conséquences quantitatives et institutionnelles seraient les plus élevées, à l’autre extrême, la France et le Portugal pour qui les changements induits seraient plus marginaux.

 

impact

L’instauration en Allemagne d’un salaire minimum à 8,50 euros serait un premier pas susceptible de faciliter des évolutions ultérieures. Il ne faut pas négliger pour autant les modifications qui seraient induites dans près de la moitié des Etats européens sur le système de relations professionnelles, les syndicats et organisations professionnelles patronales, parties prenantes dans la détermination des salaires minima au niveau national ou par branche verraient leur rôle amoindri.

 

Première variante : un salaire minimum à 50% des salaires moyens
Cette variante d’un salaire minimum situé à 50% de la moyenne des salaires pratiqués dans chaque Etat membre augmente le nombre de bénéficiaires et ce pour la majorité des pays mais pas forcément les mêmes que dans l’hypothèse centrale. Les Etats caractérisés par un éventail très large des salaires sont davantage affectés puisque le salaire moyen est calculé comme moyenne des niveaux se salaires pratiqués, et ce indépendamment du fait que les salaires les plus élevés concernent un petit nombre de salariés alors que les salaires les plus bas en concernent un grand nombre.

 

Ce sont environ 25% des salariés du Portugal, de Lituanie, de Lettonie, de Grande Bretagne et d’Estonie qui pourraient dans cette variante voir leur salaire augmenter mais seulement 10% des Allemands et des Luxembourgeois. Le Portugal est un cas particulier, le nombre de salariés qui gagne moins de 50% du salaire moyen est deux fois plus élevé dans cette variante que dans l’hypothèse 60% du salaire médian. C’est également le cas dans une moindre mesure des Britanniques ou des salariés de Lituanie et de Lettonie.

 

 

Seconde variante : une hypothèse basée sur 60% des salaires médians par pays et par secteurs
Cette variante est rarement évoquée dans les débats actuels. Les chercheurs l’ont retenue, notamment parce qu’elle est plus conforme aux salaires minima déterminés par négociation collective (Allemagne, Danemark, Italie, Autriche, Suède, Finlande, Chypre). Il faut noter que les pays qui pratiquent la négociation collective par secteurs sont souvent les pays les moins favorables ou les plus hostiles à l’instauration d’un salaire minimum européen. Potentiellement, cette méthode permettrait de mieux tenir compte des différentiels existants entre secteurs et donc de maintenir leur compétitivité.
Globalement, le nombre de salariés touchés serait proche de celui que l’on trouve dans l’hypothèse de base de 60% des salaires médians nationaux.

 

Tableau 4

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par contre, les incidences sur certains secteurs pourraient être très importantes. Quasiment partout, dans les secteurs peu rémunérés, peu de nouveaux bénéficiaires apparaîtraient alors que dans les secteurs les mieux rémunérés, le nombre de bénéficiaires croîtrait considérablement. Par exemple, dans le secteur des services à la personne, le pourcentage de salariés sous le seuil passerait en moyenne de 13,4% (hypothèse 60% du salaire médian) à 6,7% (hypothèse 60% du salaire médian sectoriel). Dans les services à haute valeur ajoutée (conception de logiciels par ex), la proportion de salariés concernés passerait de 8 à 17,7% en moyenne. Au Portugal, le pourcentage passerait même de 3,9 à 27,3%.

 

Cette variante sectorielle présente un inconvénient majeur, elle ne permet pas de traiter également tous les salariés et risque au contraire d’accentuer les inégalités.

 

Ce rapide examen de trois variantes possibles d’un salaire minimum européen montre bien qu’un consensus sur la question serait difficile à opérer. Les modalités nationales, les intérêts des Etats, les positions des acteurs économiques et sociaux divergent non seulement sur le fonds de l’affaire et son opportunité, mais également, lorsqu’un jour la négociation s’ouvrira, sur les modes de calcul d’un tel salaire.
Les chercheurs n’ont pas analysé le plus petit commun dénominateur, celui qui serait symbolique et ne changerait pas grand-chose, celui qui, à terme, n’est pas le moins probable. Et l’intérêt de l’Europe dans tout ça ?

 

 

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