La reprise allemande, un miracle chinois ?
publié le 2014-02-03

Lors de la rencontre mensuelle des Economistes Atterrés, quatre économistes venant des deux côtés du Rhin ont discuté, le 16 janvier, la performance de l’Allemagne en matière de compétitivité et d’emploi. Les participants au débat ont notamment débattu des spécificités du modèle allemand, de sa mutation après les réformes Schröder, de leurs contributions à la reprise rapide de la crise et des leçons à en tirer pour la France et l’Europe.
Les spécificités du modèle économique allemand
Il est bien connu que la forte orientation vers l’exportation est le moteur de la croissance allemande. Ce champion du monde en exportation a vendu, en 2012, des produits qui représentent 7,3 % de son produit intérieur brut (PIB), explique Peter Wahl, économiste et président de l’ONG WEED, qui trouve un terme pour cette « orientation excessive » : le néomercantilisme. Le succès de ce modèle est basé sur une spécialisation profonde sur des produits demandés, précise Guillaume Duval, rédacteur en chef d’ Alternatives Economiques et auteur d’un ouvrage sur le modèle économique allemand. Par exemple, les entreprises outre-Rhin produisent trois fois plus de machines que la France et sont fières de la réputation mondiale de leurs voitures de luxe.
Néanmoins, l’orientation vers l’exportation s’accompagne d’une faible demande intérieure qui rend le pays fortement dépendant de la conjoncture mondiale, surtout des pays émergents qui importent de plus en plus de produits allemands. Ainsi, la reprise de l’économie allemande a été largement conduite par un redémarrage dans les autres régions du monde. Peter Wahl constate donc : « il vaut mieux parler d’un miracle chinois que d’un miracle allemand ».
Malgré ça, les participants au débat sont loin de proposer une baisse de la production, comme l’indiquent les réactions de Berlin à l’ouverture d’une enquête sur l’excédent commercial allemand. Il faudrait plutôt, propose l’économiste de l’Université Duisburg-Essen Steffen Lehndorff, stimuler la demande intérieure pour arriver à équilibrer la balance commerciale.
Guillaume Duval évoque également des facteurs peu discutés, mais qui font néanmoins partie du succès de l’économie allemande. La RFA connait un changement démographique résultant d’un taux de naissance parmi les plus bas en Europe. En conséquence, les dépenses publiques et privés pour l’éducation sont plus basses d’environ 1% du PIB. Guillaume Duval explique que la réunification, quoique coûteuse, a ouvert un marché de consommation et d’investissement dans l’est du pays, ainsi que des possibilités d’emploi pour des cadres expérimentés de l’Ouest. « L’Allemagne est gagnante de la chute du mur », constate-t-il.
La reprise pendant la crise : grâce ou malgré les réformes de Schröder ?
Il y avait peu de désaccords parmi les économistes sur le fait que les réformes de l’ex-chancelier socio-démocrate ont affaibli les piliers traditionnels du modèle allemand. Steffen Lehndorff rappelle que, il y a une dizaine d’années, les Allemands eux-mêmes décrivaient leur pays en matière économique comme étant « l’homme malade de l’Europe ». Qu’est-ce qui a changé depuis ? Les réformes du gouvernement centre-gauche de Gerhard Schröder ont notamment porté sur une dérégulation du marché du travail et une expansion du secteur des très bas salaires, le durcissement des conditions d’indemnisation après un an de chômage et la privatisation d’une partie de la sécurité sociale. Or, la question de savoir si ces mesures ont contribué à la reprise du pays se pose.
Guillaume Duval surligne l’importance du chômage partiel qui a permis aux entreprises de réduire le temps puis le coût du travail en période de baisse de la demande en gardant leur main-d’œuvre bien qualifiée. Ces outils étaient bien en place avant le gouvernement Schröder et le chancelier avait, quant à lui, proposé de déréguler une grande partie de la protection de l’emploi et de s’orienter vers un système anglo-saxon de « hire & fire » (embaucher et licencier). Steffen Lehndorff fait également référence au rôle des comités d’entreprise dans les négociations du chômage partiel, un élément du système allemand traditionnel inchangé par les récentes réformes.
Bruno Odent, journaliste et chef du service « Monde » du journal L’Humanité et auteur d’un livre sur le modèle «économique allemand », invoque « l’obsession pour la baisse du coût du travail pour augmenter la compétitivité » des Allemands et qui s’exprime fortement dans les réformes Schröder. Or, ce n’est pas dans les secteurs industriels que l’ on trouve les bas salaires, mais dans les services qui jouent, eux, un rôle indirect et marginal dans l’exportation. On peut faire le lien entre l’ « austérité salariale », les modestes changements de prix et les développements démographiques, commente Guillaume Duval.
Les intervenants sont donc d’accord sur le fait que la force économique de l’Allemagne s’appuie largement sur les piliers traditionnels du modèle allemand et a pu se réaliser malgré l’agenda du gouvernement Schröder. Ce dernier a par contre eu pour résultat de menacer ces institutions dans leur existence. En outre, l’expansion du secteur des bas salaires a mené à un phénomène inconnu ailleurs, la croissance parallèle de l’emploi et de la pauvreté.
Le modèle allemand comme modèle pour l’Europe ?
C’est Bruno Odent qui exprime le plus fermement le danger d’une dominance du modèle allemand en Europe. D’abord, il compare, en accord avec les autres, les chiffres de croissance de la France et de l’Allemagne. Or, en 2012, l’économie allemande a cru de seulement 0,4 % et donc de seulement 0,2 point de plus que la France. En outre, une forte orientation vers l’exportation ne peut pas être un modèle pour toute l’Union Européenne car il faut bien des économies qui achètent les produits, explique-t-il.
En dehors du déséquilibre économique, le journaliste voit aussi des dangers politiques et même démocratiques. Dans une déclaration d’Angela Merkel sur les réformes en Grèce et dans les autres pays qui touchent des fonds européens, la chancelière allemande avait souligné l’importance d’une démocratie qui soit « conforme au marché ». Cette domination des intérêts économiques et financiers se retrouvent dans une politique qui place l’austérité au-dessus des valeurs démocratiques. La montée du Front National et autres groupes populistes d’extrême droite n’est qu’une conséquence de cette politique, commente Bruno Odent.
Steffen Lehndorff se prononce pour une poursuite des deux modèles nationaux, ce qui ne veut pas dire que l’on ne pourrait pas s’inspirer de ce que font nos voisins. Pour la France, il conseille de s’orienter vers les composantes traditionnelles, c’est-à-dire pré-Schröder, du modèle Allemand.
Sources:
« Made in Germany : Le modèle allemand au-delà des mythes », Seuil, 2013.
« Modèle allemand, une imposture. L’Europe en danger », Le temps des cerises, 2013
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Un entretien avec Steffen Lehndorff, économiste et chercheur de l’Institut Arbeit und Qualifikation (Institute for Work, Skills and Qualification / IAQ) de l’Université de Duisburg/Essen, en Allemagne.
Et ailleurs…
L’enregistrement vidéo de la conférence sur YouTube :
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