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par Sébastian Reyna

Sébastian Reyna est le secrétaire général de l’UPTA, l’Union des professionnels et des travailleurs indépendants, sorte de syndicat espagnol des travailleurs autonomes. Il expose pour Metis ce qui fait la particularité de leur situation et comment cela a conduit à un statut spécifique, aujourd’hui en évolution.

 

UPTA 1

Tour d’horizon du travail indépendant en Espagne

Le pays compte actuellement environ 3 millions de travailleurs indépendants enregistrés dans le système de sécurité sociale. Ce chiffre a été quelque peu affecté par les longues années de crise économique qu’a connu le pays, mais le secteur indépendant continue de représenter près de 17% de la population active en Espagne.
Parmi ceux-ci, deux millions poursuivent leur activité professionnelle comme personnes physiques, c’est-à-dire qu’ils ne travaillent pas dans le cadre d’une société ou d’un cadre juridique quelconque. Au sein de ce collectif 1 600 000 travaillent seuls, et presque deux cent mille autres n’ont qu’un seul employé. C’est-à-dire qu’ils sont indépendants au sens strict du terme sans pour autant pouvoir être considérés sur le plan social comme entrepreneurs.

 

En outre, l’enquête de population active indique que plus de dix pour cent de ces travailleurs indépendants travaillent presque exclusivement pour une seule entreprise ou un client principal. Ils sont donc grandement dépendants des sociétés pour lesquelles ils exercent généralement leurs activités.

 

Un statut législatif propre et unique en Europe

Dans ce contexte, l’Espagne a lancé en 2005 un débat sur la nécessité d’instaurer des règles sur l’auto-emploi qui constitueraient un cadre législatif complétant les normes déjà existantes dans le secteur public pour les travailleurs indépendants.

 

Des constitutionnalistes prestigieux ont rappelé que le droit à la sécurité du travail, avec couverture et protection, ne peut être limité au travail salarié, et que des références éparpillées ne sont tout simplement pas suffisantes. La situation nécessite un texte de loi avec ses références et ses normes propres.
Malgré les difficultés de cette tâche, en particulier du fait de l’absence de loi comparables en Europe, le gouvernement a commencé son travail avec l’appui des partenaires sociaux et des associations représentatives propres à ce secteur, pour finalement produire ce qui est devenu plus tard la loi 20/2007portant statut du travail autonome.

 

La loi exige un niveau de protection équivalent à celui des salariés, ainsi qu’une même sécurité juridique et les mêmes garanties économiques. À cet égard, la loi espagnole a devancé de plusieurs années la résolution adoptée tout récemment par le Parlement européen en janvier 2014 sur la « Protection sociale pour tous, y compris pour les travailleurs indépendants ».

 

Travail autonome et nouvelles formes d’emploi

Cependant, dans son approche globale, le législateur espagnol ne pouvait ignorer le fastidieux débat qui traverse l’Europe sur la nécessité d’assurer une couverture juridique aux nouveaux systèmes de travail qui naissent à la frontière entre le travail indépendant et salarié. En Espagne, cette faille a été couverte par le concept du travailleur indépendant économiquement dépendant, mieux connu sous l’acronyme TRADE.
Toutes les études qui ont été faites récemment sur le marché du travail dans l’Union européenne ont montré qu’il s’est considérablement transformé au cours des dernières années. Un aspect de ce phénomène est dû en partie aux transformations des cadres spécifiquement nationaux, mais on remarque aussi l’apparition de « nouvelles formes de travail » qui concernent de nombreuses formes de collaborations au sein desquelles le travailleur est considéré indépendant alors qu’il ne travaille que pour une seule entreprise : il est économiquement subordonné, mais conserve son indépendance juridique.

 

L’existence de formes de travail étrangères à des relations classiques d’emploi n’est pas un phénomène nouveau en Europe. Il en va ainsi depuis de longues années du travail intérimaire. Ce qui change aujourd’hui, c’est l’ampleur de ce phénomène et sa présence dans des activités qui jusqu’à présent étaient réservées aux relations salariales.

 

Le fait qu’un nombre important de travailleurs européens effectuent des activités précédemment soumises aux règles du travail salarié par le biais de dispositions juridiques civiles ou commerciales est un sujet de préoccupation constante pour de nombreux acteurs publics et sociaux. Cependant, nous manquons toujours de travaux approfondis d’analyse sur ce secteur pour bien comprendre les implications de ce phénomène, et nous avons bien sûr également détecté un déficit évident dans les politiques publiques à cet égard. Le silence persiste donc, mais la réalité de la situation est bien présente.

 

Il est facile de conclure hâtivement que la réalité de ce secteur est simple, et qu’il n’y a ni « faux indépendants » ni ouvriers fraudeurs, mais le problème est plus complexe. On constate, que dans un grand nombre de ces relations, et en particulier dans les domaines liés aux technologies, au design, à la culture, au sport ou aux soins, il n’existe pas de relation salariale classique, à l’exception de l’unique facteur de subordination ou de dépendance économique.

 

Faut-il généraliser la reconnaissance des travailleurs autonomes économiquement
dépendants ?

Les partis espagnols de droite ont récemment mis en avant une proposition basée sur le Livre vert de la Commission intitulé: « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIème siècle », dans lequel figure explicitement l’intention de généraliser la reconnaissance des TRADE dans les Etats membres.

 

Le Livre vert insiste sur le fait que ces travailleurs « occupent une zone grise entre le droit du travail et le droit commercial. Bien qu’ils soient officiellement indépendants, ils demeurent économiquement dépendants d’un seul fournisseur ou client/employeur pour l’origine de leurs revenus ».

 

L’avis du Comité économique et Social du 29 avril 2010, intitulé  » nouvelles tendances du travail indépendant: le cas spécifique du travail indépendant économiquement dépendant « , était également intéressant pour le développement du débat national. Il proposait de mettre en place les moyens nécessaires à une compréhension véritable des statistiques du TRADE par la promotion d’études qui permettraient d’évaluer en détail les expériences nationales et qui encourageraient les partenaires sociaux européens à inclure le travail indépendant économiquement dépendant dans leur conception du travail.

 

La réponse espagnole

Le chapitre III de la loi espagnole établit une garantie commerciale, en vertu de cette situation de dépendance économique : elle permet de préserver le principe d’autonomie des parties dans les relations des travailleurs avec leur clientèle, tout en protégeant les plus faibles et en leur donnant la possibilité d’une action collective quand il s’agit de plaintes dans le même secteur d’activités et dans les mêmes conditions.

 

Cette loi définit un TRADE comme une personne qui exerce une activité économique d’une manière personnelle et directe pour un client qui représente au moins 75 % de leurs recettes totales, qui travaille seul, qui dirige son activité de façon différente à l’égard de ceux avec qui il forme des relations de travail , qui dispose d’ outils de travail, qui a des critères organisationnels propres et dont la rémunération a été convenue avec le client comme contrepartie économique de sa prestation.

 

Le travailleur ainsi décrit doit effectuer ses services sous contrat écrit et enregistré en matière d’emploi. Il aura droit à certains congés en raison de jours fériés, de vacances ou de repos hebdomadaire. Le prolongement de la journée de travail ne peut donc unilatéralement être imposé par le client.

 

En outre, est réglementée la cessation des relations de travail ainsi que les compensations de droits dans certains cas : garanties économiques des contrats, droits en cas de de maternité ou en matière de prévention des risques professionnels.

 

Il est donc possible de garantir un grand nombre de droits fondamentaux pour les travailleurs qui sont dans employés dans le cadre d’une relation juridique commerciale et ceci, par analogie avec les caractéristiques du droit au travail ou bien en raison de toute l’expérience accumulée en matière d’emploi ou de relation subalterne.

 

Quid des « autres » travailleurs indépendants ?

Nous n’avons pas le droit d’oublier le grand nombre de travailleurs indépendants qui ne sont pas dans cette situation de dépendance, mais qui doivent cependant couvrir leurs besoins personnels et familiaux.

 

Les droits à la protection de la sécurité sociale sont donc assurés grâce à un régime spécifique et adapté à la réalité de la protection collective, y compris en cas de cessation d’activité pour des causes indépendantes de la volonté du travailleur. Les thèmes de l’égalité d’accès à la formation professionnelle et de la couverture en cas d’accident du travail ont été par la suite couverts par de nouvelles régulations en 2010.

 

Quelle représentation des travailleurs autonomes ?

Pour une protection effective de ces droits, il est nécessaire qu’il existe un système associatif et des représentants spéciaux. Les travailleurs indépendants, indépendamment de leur liberté d’adhérer à un syndicat ou une organisation de l’entreprise, peuvent former des associations spécifiques, partenaires des pouvoirs publics ou encore gestionnaires de programmes et de services dédiés.
Un de ces organismes est par exemple l’Union des professionnels et des travailleurs indépendants (UPTA) est un de ces organismes, qui a réussi à intégrer dans son sein des indépendants de tous les secteurs professionnels, et qui est ainsi devenu non seulement un point de repère national mais aussi un nouveau modèle international d’organisation qui assure pour la plupart des membres de cette catégorie sociale un travail digne et sûr.

 

En outre, un Conseil du travail autonome a été créé comme organe consultatif auprès du gouvernement pour ce qui concerne les questions socio-économiques et professionnelles.

 

Crédit image: CC/Flickr/Trinidad Jiménez

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