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par Pavlena Dobreva

Presqu’un demi-siècle s’est écoulé depuis l’entrée des premières femmes dans la police. Un chemin long, jalonné de restrictions administratives et juridiques, semé d’obstacles et de mises à l’épreuve sur le terrain… Un « métier d’homme » a dû ouvrir ses portes à des femmes décidées à en faire leur cheval de bataille professionnel. Mais ne soyons pas dupes, ce n’est pas parce que l’on a le droit d’y rentrer que l’on acquiert sans combat le droit d’y exister.

 

Police française

Il était une fois un métier d’homme…

En 1966, par la voie du concours d’officier de police, une poignée de femmes fait son entrée dans le métier. Mais c’est sans grande surprise que l’on constate, dès leur première affectation, la prégnance certaine des stéréotypes de genre : quoi de plus approprié pour ces femmes-mères, dociles et réconfortantes, que les missions liées à la protection de l’enfance ? Il faut attendre 1972 pour que tous les postes au concours d’officier leur soient ouverts. Une insertion progressive des femmes est dès lors engagée, avec la possibilité d’accès au concours de commissaire de police (en 1974), à celui de gardien de la paix (en 1978) puis d’officier de paix (en 1983).

 

Aujourd’hui, les femmes dans la police nationale représentent 27.5% du corps de conception et de direction, 22.6% du corps de commandement et 17.4% du corps d’encadrement et d’application. Du point de vue des statistiques, la France se situe dans la moyenne de l’Europe même si certains pays ont su mieux faire (Angleterre, Suède, Pays-Bas). La « seringue » étatique, à dosage modéré bien sûr, a donc fonctionné, les femmes ont pénétré le système sanguin de la force publique (nous n’évoquerons pas ici la question pourtant essentielle des inégalités professionnelles H/F qui opèrent).

 

Mais soyez lucides, parler de la féminisation de l’institution policière, c’est d’abord se rappeler que l’entrée dans un groupe n’obéit pas aux lois arithmétiques. Il ne suffit pas d’un ensemble d’unités que l’on additionne pour arriver au joli total. Le groupe (et son « nous » d’appartenance) va au-delà de la somme d’hommes et de femmes qui le compose, peu importe d’ailleurs leur proportion. Il est le fruit d’un partage plus ou moins féroce du territoire professionnel, d’une distribution subtile des rôles et statuts de chacun et d’une négociation astucieuse des normes et « règles de jeu ». Sans oublier naturellement que le groupe est aussi un ensemble de représentations collectives, que celles-ci appartiennent au métier de policier ou qu’elles soient construites à l’égard de celui-ci.

 

Le militantisme policier : la défense et les tentatives de reconfiguration d’une norme professionnelle

La notion de militantisme sera abordée ici comme une forme de manifestation, au nom d’une croyance partagée, de ce qu’est le monde policier, ses fondements et ses valeurs ; elle sera vue comme le soutien à une représentation collective qui régit le métier et qui dresse les contours de la juste posture à tenir.

 

Le métier de policier repose depuis son origine sur une vision professionnelle faisant de la masculinité, de la force, de la confiance et du courage les éléments clés de l’identité policière. La rudesse a longtemps été vue comme le seul moyen de faire face à l’hostilité et l’agressivité des perturbateurs de l’ordre public. L’entrée des femmes dans ce métier nécessairement viril, représentait donc pour les hommes en place, une forme de remise en question des traditions masculines.

 

Il n’est donc pas étonnant de voir que les dispositifs juridiques en faveur de l’accès des femmes au métier, ont souvent été accompagnés d’un discours politique permettant d’adoucir le sentiment d’ébranlement de la norme masculine dominante. L’entrée des femmes, c’est contribuer à mettre en place une police plus « douce », préventive et soucieuse non seulement de l’agresseur mais aussi de sa victime (directe ou bien collatérale). Un enjeu de taille à la clé : faire entendre le sens de la complémentarité des sexes.

 

Les policiers ont su négocier le virage de cette revendication politique et sociétale sans pour autant perdre le leitmotiv de leur engagement. Un système transactionnel « don/contre-don » a été mis en place. Ils ont accordé aux femmes le statut de coéquipières en obtenant en échange leur adhésion (voire leur soumission) à la norme masculine dans laquelle seule la force et le courage font sens. Etre policière, c’est donc accepter d’appartenir à un métier conçu, dans l’action et dans la posture, pour les hommes (l’endurance et la force physique requises, la tenue et ses équipements à peine adaptés à la morphologie féminine, ne sont que des infimes exemples).

 

Femmes police

Moi « fliquette », même pas peur…

Actuellement, une sorte de stabilisation du compris policier hommes-femmes opère. Certains signes de l’unification sexuelle sont visibles mais la dynamique d’ensemble laisse l’impression d’une oscillation normative pas encore résolue.

On aperçoit toujours la même nécessité pour les femmes de prouver qu’elles sont à la hauteur des attentes symboliques du métier. Elles doivent faire davantage leurs preuves sur le terrain, surtout les premières années, pour prouver qu’elles ne sont pas un handicap qui met en danger mais, un effectif de force susceptible d’apporter l’appui nécessaire. Elles doivent également oser et s’endurcir notamment face à certaines plaisanteries, remarques désobligeantes, insinuations sexuelles ou propositions indécentes venant du public ou de leurs collègues masculins. Puis, si c’est nécessaire, elles doivent également épouser la posture masculine (on n’a qu’à regarder parfois leur manière de parler, de se tenir ou de marcher…qui, par miracle, se féminise souvent dès la sortie du travail). Tout ceci pour gagner la légitimité aux yeux de leurs pairs et ne pas « perdre la face » devant un public parfois hostile qui n’attend que le moindre signe de faiblesse pour prendre le dessus. Etre donc digne représentant du métier, c’est tout faire pour sortir des attributs préjugés de la gent féminine.

 

Cependant, une fois la phase de mise à l’épreuve terminée, on observe un basculement des rapports (ou du moins pour les femmes qui ne se perdent pas en chemin). Elles laissent leurs homologues masculins jouer « les protecteurs bienveillants » et « les costauds », et osent davantage revendiquer leur « touche féminine » : dans la sensibilité avec les victimes, dans la négociation subtile, dans la modération des propos…C’est le fin jeu d’équilibriste permettant à chacun de s’assoir confortablement dans sa position de genre stéréotypée sans remettre en cause l’apport de l’autre. Souvenons-nous, l’enjeu c’est défendre la complémentarité des sexes.

 

L’unification sexuelle face à la menace identitaire

Le militantisme des hommes et des femmes en tant que sexes opposés semble en revanche basculer dans une forme d’unification identitaire lorsqu’il s’agit de défendre la légitimité et l’image de leur groupe professionnel d’appartenance. C’est alors que le « nous » de l’institution policière s’oppose de manière unie et solide au « eux » de tous ceux qui ne font pas partie de leur histoire et de leur vécu.

 

Les exemples en la matière sont nombreux. Les « flics », c’est un tout lorsqu’il s’agit de se défendre ou de s’imposer face à certains publics agressifs ou particulièrement violents (à eux de relever le défi en faisant « l’usage de la force strictement nécessaire »). Ils sont aussi unis lorsqu’il s’agit de revendiquer leurs droits (la légitime défense, par exemple) ou remettre en question les conditions d’exercice de leur métier (la politique du chiffre, la baisse des effectifs…). Enfin, ils sont toutes et tous flics lorsqu’il faut « se serrer les coudes » pour défendre leur honneur ou leur déontologie (soutenir les collègues blessés, morts ou « cuits à feu doux » par les « bœufs-carottes » (IGPN), garder la tête haute face aux bavures de certains…). Quoi de mieux donc pour témoigner de l’ensemble solide que ces hommes et ces femmes ont su former en l’espace d’une cinquantaine d’années.

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Parler des femmes de la police, rester fidèle dans la retranscription de leur vécu, rendre compte des normes et des valeurs pour lesquelles elles se battent ouvertement et militent en silence, est loin d’être tâche facile et encore moins dans un article nécessairement réducteur ne serait-ce par son volume. C’est la raison pour laquelle, nous nous intéresserons dans une prochaine publication aux témoignages de celles qui font de la police au quotidien. Car derrière « la policière », il a aussi une femme ; une femme avec une histoire propre, avec un parcours professionnel singulier et bien sûr avec un grade qui dote sa position féminine d’enjeux spécifiques.

 

Crédit image : CC/Flickr/Alexandre Prévot, CC/Flickr/flightlog

 

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