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par Albane Flamant

Depuis des décennies, le modèle suédois fait envie en Europe de par son succès économique et social. Cependant, leur système de protection sociale a été réformé trois fois en moins de dix ans. Comment le chômage est-il indemnisé en Suède aujourd’hui ? Metis s’est entretenu avec Emilie Bourdu, chargée d’études économiques à la Fabrique de l’Industrie et auteur d’un rapport sur « Les transformations du système économique suédois », pour mieux comprendre les changements apportés par ces réformes.

 

2012-04-29En moins de 10 ans, la Suède a connu trois grandes réformes de son système de sécurité sociale. De manière générale, comment l’indemnisation du chômage s’inscrit-elle dans les politiques d’emploi du gouvernement suédois ?

Traditionnellement, la Suède privilégie les politiques actives de l’emploi, c’est-à-dire les programmes et services qui assurent le retour à l’emploi : formation, accompagnement personnalisé, aides à la création d’entreprise… Bien sûr, elle indemnise ses chômeurs, mais il faut savoir qu’au cours de ces dix dernières années, le gouvernement a activé ses dépenses passives, en incitant de plus en plus les chômeurs à ne pas être seulement dans une logique d’indemnisation, mais aussi dans une logique de reprise d’emploi.
Avant les années 1990, le pays connaissait une grande prospérité économique, et son taux de chômage était extrêmement faible. Cependant les suédois ont connu une grande période de crise économique dans les années suivantes, et les chiffres du chômage ont explosé (de 1,7% à 9,4% entre 1990 et 1994). Il fallait une stratégie pour gérer cette nouvelle situation.

 

A partir de ce moment-là, on a vu une évolution progressive du système de protection sociale : les conditions d’accès aux allocations chômage se sont durcies, et le gouvernement a investi plus d’efforts dans le processus d’accompagnement et de formation avec son programme « garantie d’activité » en 2000 pour les chômeurs de plus de 24 mois, puis celui qu’il a intitulé « garantie emploi et développement » en 2007 pour les chômeurs de plus de 12 mois. C’était tout particulièrement l’objectif du gouvernement de centre-droit qui est arrivé au pouvoir en 2006 en prônant le retour à l’emploi. Aujourd’hui, dès que les chômeurs atteignent douze mois d’inactivité, un programme d’accompagnement se met en place avec différentes phases : un tuteur par groupe de 20 chômeurs, des offres de formation professionnelles et d’emplois aidés,… Après 450 jours de chômage, ils sont affectés d’office à un travail d’intérêt public.

 

En 2007, ce gouvernement de centre droit dont vous parlez fait partiellement basculer le système d’indemnisation chômage vers un financement privé. Peut-on dire que cette année a marqué un grand tournant dans l’approche suédoise de la sécurité sociale ?

Non, je pense que la réforme de 2007 s’inscrit dans une politique qui, comme je l’ai mentionné, remonte aux années 1990. Il ya bien sûr eu un changement important dans les conditions financières du système : l’Etat s’est non seulement partiellement désengagé du financement des indemnisations chômage, mais ces dernières sont également passées en mode dégressif. Auparavant, ce n’était le cas que lorsqu’un chômeur refusait une formation ou un emploi dit « convenable » après une certaine période d’inactivité.

 

Une autre originalité du système suédois actuel réside dans le fait que les travailleurs cotisent en fonction de leur métier, et quelque part en fonction de leur « risque » de se retrouver au chômage. A partir de 2007, c’est une logique assurantielle, par exemple: un chercheur paiera moins de cotisations d’assurance chômage qu’une personne travaillant dans le BTP. Bien sûr, cette mesure a été amplement critiquée : le principe de solidarité était quelque part rompu ! Mais de manière générale le bilan semble plutôt être positif. Ce qu’ils pensent en Suède, c’est que ces mesures ont permis de largement atténuer l’effet de la crise sur l’économie nationale, malgré les licenciements très nombreux qui ont eu lieu dans l’industrie suédoise.

 

Peut-on comparer la Suède à la France dans sa gestion du chômage ? Quels enseignements peut-on en tirer ?

Pour moi, la vraie différence entre ces deux pays, c’est qu’il y a beaucoup moins de chômeurs longue durée en Suède relativement à la France. Cela s’explique par le niveau d’investissement dans l’accompagnement et la formation des chômeurs. On ne peut pas comparer le suivi d’un conseiller Pôle Emploi, qui doit gérer une centaine de personnes, avec celui d’un tuteur qui gère un groupe de vingt personnes. Les Suédois se donnent tout simplement les moyens de leur politique de l’emploi ! La formation tout au long de la vie, qui concerne les jeunes, salariés ou les chômeurs, est aussi un trait caractéristique de la politique suédoise. C’est ce vers quoi souhaite tendre la France, mais on est encore loin des résultats atteint par la Suède, et par les pays nordiques en général.. Aujourd’hui, en France, les formations concernent souvent plus les salariés que les chômeurs, et je dirais même qu’elles bénéficient tout spécialement aux travailleurs les plus qualifiés. En Suède, c’est plus uniforme, et il y également plus d’incitation à être formé.

 

Qu’en est-il du chômage des jeunes en Suède ? Avec un taux de plus de 23% en 2014, c’est peut être un secteur où les politiques d’emploi du gouvernement suédois sont moins efficaces…

C’est vrai que c’est un paradoxe. Actuellement, le taux de chômage des jeunes est très proche de celui de la France, alors que le taux de chômeurs dans la population active est en dessous de la moyenne européenne, et c’est un phénomène récent. Il faut dire qu’en 2007, le gouvernement a changé sa façon de catégoriser les jeunes par rapport à l’emploi, ce qui a contribué à augmenter les chiffres. Il compte à présent les étudiants plein temps en recherche d’emploi comme des jeunes chômeurs : dans les pays nordiques, il est normal de travailler en plus de son cursus universitaire. Plus de 40% des jeunes suédois « au chômage » tombent dans cette catégorie. Mais cette explication est loin d’être suffisante…

 

Crédit image : CC/Flickr/Guillaume Baviere

 

Pour aller plus loin

Emilie Bourdu. Les transformations du modèle économique suédois. La Fabrique de l’industrie, 2013. 

 

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