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Les résultats de l’enquête de l’OCDE auprès de plus de 100 000 enseignants du secondaire sont passionants. La Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’Education Nationale vient d’y consacrer deux notes d’information qui dressent un portrait fascinant du face à face solitaire de l’enseignant et de « sa » classe.

 

classe

Il suffit de citer quelques uns des pays de l’OCDE, le Canada, l’Australie, le Japon, les pays européens pour se représenter intuitivement la diversité des systèmes éducatifs, des conceptions de l’Ecole et donc la variété des pratiques pédagogiques. Mais que font donc les enseignants quand ils travaillent ? Comme pour de nombreux métiers, le temps consacré aux différentes facettes de l’activité est significatif. Ainsi les tâches administratives occupent environ 10% du temps en classe, et ce dans tous les pays. Le « maintien de l’ordre » occupe une place importante, de l’ordre de 15% du temps, et davantage en France que dans les autres pays (presque 20%), et davantage dans le secteur public que dans le privé (10%). Le « reste du temps » est consacré à l’enseignement et aux apprentissages…

 

L’étude des pratiques pédagogiques dessine une figure du collège français dominé par le face à face solitaire de l’enseignant et de « sa » classe. Ainsi « faire travailler les élèves en petits
groupes » est pratiqué par 58% des profs canadiens, 48% des Néerlandais, mais seulement 37% des enseignants français. De même « faire travailler les élèves sur des projets prenant une semaine au moins » est mis en œuvre par 52% des profs australiens, 38% des Anglais mais seulement 22% des Français. Curieusement les enseignants finlandais sont très peu innovants sur ces méthodes, et pas plus sur l’utilisation du numérique. La réussite du modèle finlandais (voir les enquêtes PISA de l’OCDE maintenant bien connues) ne tient donc pas à l’innovation. C’est qu’il ne faut pas chercher trop vite à établir des relations de cause à effet entre pratiques pédagogiques et réussite d’un système éducatif… Un expert finlandais me le confirmait récemment « Notre enseignement est assez vieux jeu et traditionnel, mais il est surtout très stable dans ses règles du jeu ». De quoi donner raison à Finkielkraut ou à Onffray !

 

Avec qui travaillent les enseignants ? 42% de l’ensemble des enseignants de l’enquête « observent le travail de leurs collègues et font cours à plusieurs », pratique peu répandue en France où 78% des profs ne mettent jamais les pieds dans une classe autre que la leur. Mais manière de travailler très répandue en Angleterre et en Suède où l’on met aussi beaucoup l’accent sur les relations avec la communauté éducative : parents, associations de la vie extra-scolaire…

 

Les enseignants en France sont moins nombreux à participer à des actions de formation continue, bien loin derrière l’Australie où 97% le font régulièrement. Le tutorat est dans de nombreux pays très développé et pas seulement pour les enseignants débutants : en Angleterre un tiers des enseignants sont également « mentors ».

 

On voit que c’est bien au cœur du travail enseignant, et du travail des élèves qui va avec, que se joue la conception que l’on a de l’Ecole. « La classe épuise l’Ecole » écrivait Antoine Prost dans son Histoire de l’enseignement. En ce sens, pour la situation française, le chantier qui avait été lancé par Vincent Peillon, avec l’accord des syndicats d’enseignants, sur « le métier d’enseignant », est l’un des plus importants qui soit. Où est passé ce chantier dans la confusion générale ? Il y était question du temps passé en classe, du temps passé dans l’établissement, de la présence simultanée de plusieurs enseignants dans une classe, de la formation tout au long de la vie des enseignants.

 

Dans les débats sur le système éducatif on ne parle jamais du travail : comme s’il disparaissait au seuil de la classe, de ce lieu mystérieux où régnerait la dialectique socratique, l’exercice magistral de la parole qui « transmet ». Or c’est toujours sur le travail, sur le métier, sur la manière dont interagit le travail de l’élève et le travail des enseignants qu’il faudrait « travailler » : expérimenter, évaluer, confronter les pratiques, s’ouvrir aux derniers travaux des neurosciences (relire les nombreux appels en ce sens de Jean-Luc Dehaene, professeur au Collège de France)…Il y a de quoi faire !

 

Références

DEPP – Note d’information n°23 – juin 2014

DEPP – Note d’information n°22 – juin 2014

Antoine Prost, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, t. IV, L’école et la famille dans une société en mutation (depuis 1930) Paris, Perrin, coll. « Tempus », 2004, p. 809

Stanislas Dehaene, Les neurones de la lecture, Odile Jacob, 2007.

 

Pour aller plus loin

Infographie : le métier d’enseignant au collège

 

Crédit image : CC/Flickr/ENAC

 

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.