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par Albane Flamant

Le Président de la Commission Jean-Claude Juncker annoncera les détails de son plan d’investissement de 300 milliards d’ici fin décembre. Parmi ses priorités, on retrouve la transition énergétique, qui pourrait bien être la source de dizaines de milliers d’emplois. Metis s’est entretenu avec Pierre Musseau, responsable du pôle écologie de Terra Nova et auteur d’une note récente intitulée « Une relance européenne par l’investissement : investir dans la transition énergétique ».

 

construction

Quels sont les grands objectifs de la nouvelle Commission dans le domaine de l’énergie ?

Le conseil européen vient tout juste d’adopter un nouveau cadre d’action en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030. Ce cadre fixe pour objectif la mise en place d’une Union de l’Energie mais aussi plus concrètement des objectifs en terme de reduction des gaz à effet de serre, d’énergie renouvelable et d’efficacité énergétique.

 

L’engagement sur ce dernier point découle de longues négociations depuis le début de l’année et notamment d’une communication de la Commission sur l’efficacité énergétique en juillet dernier. Le renforcement de l’efficacité énergétiquei répond en fait à deux préoccupations majeures des Etats membres qui ont été remises en avant par Jean-Claude Juncker dans ses letters de mission aux commissaires européens chargés de l’énergie : d’une part, l’efficacité énergétique est une façon de répondre à la dépendance européenne au gaz russe, qui a été exacerbé par la crise ukrainienne et d’autre part, il s’agit une source de nouveaux emplois, tout particulièrement dans le secteur du bâtiment.

 

Entre la polémique qui a entouré le commissaire espagnol au climat et à l’énergie Miguel Arias Cañete, et la commissaire slovène pour l’Union de l’énergie qui n’a pas survécu à son audition devant le Parlement, la mise en place de la politique énergétique de la nouvelle Commission a été mouvementée ! Pour revenir sur le Conseil Européen qui a eu lieu il y a quelques semaines, il a certes repris la trilogie du paquet énergie-climat qui avait été voté en 2009, mais n’a pas été très ambitieux. Il a quand même posé des jalons pour les négociations climatiques qui auront lieu à Paris en 2015. L’idée, c’est que l’Europe montre qu’elle veut avancer sur la réduction des gaz à effets de serre, mais qu’elle ne veut pas aller trop loin en attendant qu’il y ait des engagements solides de la part d’autres partenaires. Espérons que ce ne soit qu’un premier pas avant d’aller plus loin. Aujourd’hui, l’objectif est fixé à au moins 40%, mais il faudra bien plus si l’on en croit les derniers rapports du Groupe International d’experts sur le Climat (GIEC). Cela passera par des engagements plus profonds de la part de l’Europe, mais aussi d’autres pays si le continent ne veut pas avoir de problèmes de compétitivité.

 

Dans ce contexte, quel message doit-on lire dans l’accord énergétique que viennent de signer les Etats-Unis et la Chine ?

Beaucoup se demande s’il s’agit d’un accord crédible. Aux USA, il sera très difficile d’obtenir une loi au niveau fédéral, mais au niveau de nombreux états et de villes, il y a des contributions complémentaires très ambitieuses qui peuvent rendre crédible l’engagement du pays. Du côté chinois, c’est relativement peu ambitieux à ce stade: ils se sont fixés un pic de leurs emissions de gaz à effet de serre aux alentours de 2030, ce qui est probablement trop tard. Cependant il s’agit tout de même d’un bon levier de négociation au niveau géo-politique. Maintenant, tout va se jouer en décembre 2015, avec le début de la conférence de Paris sur le Climat.

 

Pour vous, est-ce que l’Europe contribue à la création d’un standard environnemental pour le reste du monde?

L’Europe a été le premier continent à mettre en place un marché de quotas des émissions de carbone qui couvre les principales industries émettrices dont notre industrie de l’énergie. Depuis, ce modèle-là a été reproduit dans plusieurs états américains et provinces chinoises (la Chine est d’ailleurs sur le point d’instaurer un marché unique du carbone). Bien sûr, en Europe, il y a eu des critiques du fait par exemple que des quotas gratuits ont été donnés. On a aussi tendance à l’accuser d’avoir nuit à la compétitivité, mais en fait, c’est plutôt l’inverse qui s’est passé. Pour de nombreuses raisons, l’industrie européenne a perdu en compétitivité, ce qui a fait chuter sa production, et donc ses émissions. Les quotas actuels étaient donc suffisants pour faire fonctionner le reste de l’industrie sans efforts de réduction, ce qui a supprimé les effets vertueux attendus du marché carbone (favoriser une industrie « décarbonée », favoriser l’innovation,etc.).

 

Mais en fait, concrètement, quel pouvoir a l’Europe quand on parle d’énergie, qui reste en théorie la chasse gardée des Etats membres ?

C’est vrai que l’énergie est une compétence exclusive des Etats membres, mais l’Europe a beaucoup de leviers pour agir indirectement. Elle a tout d’abord la main mise sur les sujets de concurrence, qui est un sujet important dans toute l’industrie des réseaux (électricité, gaz, etc.). Elle possède également des mécanismes de financement intéressants, et pilote les négociations environnementales en lien avec les Etats membres. Quand on met bout à bout ces différents facteurs, on se rend compte que nous ne sommes pas loin d’une véritable Union de l’énergie, mais il manque un élément crucial : une cohérence dans le mix énergétique des différents Etats membres. Certains veulent absolument garder une part de nucléaire, d’autres sont très protecteurs de leur industrie du charbon, qui génère encore dans certains pays beaucoup d’emplois… C’est là où l’élement national joue encore un rôle très important.

 

Justement, quel effet aurait la transition énergétique sur l’emploi en Europe ?

Cela dépend des décisions qui seront prises au niveau énergétique. Les énergies renouvelables, par exemple, pourraient générer beaucoup d’emplois, plus en tout cas que dans les productions conventionnelles. Cependant dans un context de stagnation voire de baisse de la demande d’électricité, les nouvelles productions d’énergies renouvelables n’ont de sens qu’en remplacement de productions conventionnelles. Pour accélérer l’installation d’énergies renouvelables, il faudrait donc accélérer la fermeture des anciennes centrales, notamment des centrales à charbon. Mais les energies renouvelables créent des emplois très différents, et cette transition professionnelle n’EST pas évidente à gérer.

 

Actuellement, on réfléchit rarement aux problématiques d’emploi locales qui accompagneront la fermeture d’une centrale ou un remaniement énergétique plus général. En annonçant la fermeture d’un site comme Fessenheim, on crée des tensions sociales qu’il faut savoir gérer. Le mieux serait probablement de choisir des sites où l’on ne fermerait qu’une partie des réacteurs pour pouvoir faciliter la transition en ne redirigeant qu’une partie des travailleurs vers d’autres emplois. Or il faut aussi penser à la nature de ces nouveaux emplois : poser un panneau photovoltaïque par exemple, c’est un métier d’artisan du bâtiment – il y a de la création d’emploi possible, mais ce n’est pas du tout le même travail que dans une entreprise classique pour la gestion de centrale. Il y a cependant des possibilités de reconversion professionnelle à l’intérieur des entreprises pour des métiers plus proches dans la maintenance de l’éolien, des centrales solaires au sol et pour des centrales biomasse. Mais pour organiser ces transitions professionnelles, il faut vraiment une réflexion en amont, en parallèle avec celles qui sont prises au niveau énergétique.

 

Le plus fort potentiel d’emploi se trouve actuellement dans le secteur du bâtiment dans l’optique des travaux de rénovation énergétique. Ils ‘agit non seulement d’un secteur qui avec peu d’aides publiques, pourrait sur le papier créer des centaines de milliers d’emploi, même si certains seront perdus dans la production d’énergie. Il faudra des travailleurs pour la rénovation elle-même, mais aussi pour la production industrielle classique, dans des équipements de chauffage performant, des matériaux d’isolation ou encore de la domotique.

 

Ce sont des marchés importants qui peuvent concerner les petites comme les grandes entreprises. Ils concernent la rénovation chez les particuliers, mais aussi le patrimoine des collectivités et le tertiaire privé. Il est possible réorienter l’activité classique du bâtiment vers une spécialisation en rénovation energétique. Cependant pour réussir cette transition, il est nécessaire de repenser le secteur dans son ensemble, tant au niveau de la formation des travailleurs que de son organisation. Il faudra développer des modèles de rénovation énergétique rentables pour le tertiaire et le logement. Pour cela il sera aussi nécessaire de réduire les coûts de renovation et d’améliorer la qualité du travail réalisé pour aboutir à des rénovations performantes.

 

A mon avis, cette réflexion pourrait être mise en oeuvres par les collectivités territoriales qui mettent en place des services d’efficacité énergétique pour les particuliers ou les petites entreprises. Leurs proximité avec les entreprises du bâtiment peut leur permettre avec l’aide de la filière, structurer leur offre de rénovation énergétique et de proposer des garanties de performance, en s’appuyant notamment sur des travailleurs mieux formés. La decision d’une renovation énergétique est aussi une décision difficile à prendre par un propriétaire individuel, notamment parce qu’il n’anticipe pas la hausse attendue des prix de l’énergie. Il n’a pas forcément la capacité financière pour ce genre d’investissement. C’est pourquoi on doit aussi développer en parallèle un ensemble d’outils financiers. Ce genre de services est déjà d’actualité en Picardie, où la régie locale propose d’accompagner les particuliers dans leurs démarches tout en organisant les professionels du secteur et en assurant un tiers financement.

 

Mais cette réflexion doit-elle se faire au niveau local, ou au niveau européen ?

Les deux en fait – l’Europe joue un rôle organisateur. La Banque Européenne d’Investissement peut par exemple être mobiliser pour développer de nouveaux mécanismes de financement. Ces enjeux de financement sont réellement importants : même si la rentabilité d’un projet ne crée pas directement d’emplois, c’est le critère duquel dépend leur démultiplication. C’est pourquoi en Allemagne, un programme piloté par la KFW propose aujourd’hui des nouvelles offres de financement en fonction de la performance énergétique d’un projet. Dans ce pays, une audit énergétique ne coûte que 300 à 400 euros, alors que le même service coûte près de mille euros en France. On voit donc qu’il est possible d’organiser une filière pour faire baisser les prix. Mais il y a surtout un enjeu d’emploi et de compétences, qui, comme je l’expliquais plus haut,nécessite des actions au niveau local, au plus près des entreprises.

 

Pour aller plus loin

Pierre Musseau – Une relance européenne par l’investissement : investir dans la transition énergétique. Terra Nova (octobre 2014)

 

Crédit image : CC/Flickr/vonderauvisuals

 

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