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« La RSE en actes » : tel était le titre du colloque organisé le 17 novembre 2014 par la Plateforme RSE, rattachée à France Stratégie, et le CESE. Parmi les interventions d’ouverture, celle de Lydia BROVELLI s’attache à distinguer les évolutions de la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE), les avancées obtenues et les freins persistants, depuis la remise du rapport dont elle a été co-auteure il y a 18 mois.

 

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Cette intervention revêt un triple intérêt. Tout d’abord elle met en avant une démarche dynamique de la RSE, qui dépasse l’approche défensive de la conformité, du reporting et de la maîtrise des impacts. Cet éclairage nous semble significatif d’un basculement de la RSE vers un levier de transformation qui s’intègre au « business model » des entreprises et à ses métiers.

 

Ensuite, elle actualise quelques-uns des constats issus du rapport Brovelli/Drago/Molinié, remis il y a un an et demi, qui avait marqué les esprits et précédé la mise en place de la plateforme RSE. Délibérément intitulé « Responsabilité et performance des organisations », ce rapport était nourri de convictions « empreintes d’un double esprit d’idéalisme constructif et de réalisme ambitieux » .

 

Enfin, elle permet de faire le point sur la mise en œuvre des principales recommandations issues de ce rapport. Metis publie de larges extraits de cette intervention, avec l’accord de son auteur.

 

« Il y a 17 mois Xavier Drago, Eric Molinié et moi remettions à 4 membres du gouvernement – répondant en cela à leur demande – 20 propositions visant à renforcer la démarche de Responsabilité Sociale des Entreprises, c’est-à-dire, selon la définition de la commission européenne, la responsabilité vis-à-vis des effets que les entreprises exercent sur la société.

 

Il s’agit d’un enjeu d’importance, du fait de la conjonction de plusieurs facteurs : la globalisation de l’économie (avec la concurrence voire le dumping qui en découle, et ses conséquences sociales), mais aussi les effets de 50 ans d’une société d’offre, insouciante quant aux répercussions sur le climat, sur la diversité -qu’elle soit humaine ou biologique- et sur la raréfaction des ressources, qui obèrent le mode de vie des générations futures. Préparer la France à l’objectif 10 ans c’est corriger cette trajectoire.

 

Si nous voulons que la RSE se diffuse et que l’on parvienne à faire de la responsabilité globale non seulement des entreprises (privées comme publiques), mais aussi de toutes les organisations et des administrations publiques (l’Etat se devant pour lui-même d’être exemplaire, un Etat qui n’est pas seulement en « surplomb » mais est aussi un Etat employeur) un levier de performance durable, il y a plusieurs défis à relever.

 

• Un défi de crédibilité : la RSE est encore trop souvent perçue comme une mode, un cosmétique, une opération marketing. 

• Un défi d’échelle d’analyse : le périmètre n’est pas seulement hexagonal mais européen et mondial. Par ailleurs il y a l’échelle des entreprises (pour autant qu’on puisse définir une entreprise aujourd’hui). Il faut en particulier soutenir l’élan des PME (qui font la très grande majorité des entreprises et la majorité de l’emploi), qui ont souvent une démarche RSE sans l’avoir identifiée comme telle. Les soutenir implique de les doter d’outils et pour leurs organisations professionnelles de les accompagner, faute de quoi elles ne verront dans la RSE qu’une série de contraintes et de coûts supplémentaires, même lorsqu’elles en percevront la pertinence. 

• Un défi de changement de rythme : il faut combiner 2 notions de temps, à la fois conduire rapidement les changements et aider à l’évolution des mentalités sur le long terme.

• Un défi enfin de mobilisation des acteurs car la RSE n’est pas qu’une obligation de rendre des comptes. Pour une entreprise, c’est une autre façon de produire, de fournir des services. C’est avant tout un modèle durable d’affaires.

 

Au terme de notre réflexion nous avions formulé 20 propositions. Je remarque d’ailleurs la grande convergence entre nos travaux et les réflexions menées au sein du CESE, dont deux avis adoptés presque concomitamment. Je ne vais revenir que sur quelques unes de nos propositions, pour souligner comment elles ont été ou non relayées, étayées et souligner ce qu’il convient, à notre avis, de poursuivre.

 

Notre mission avait classé ses proposions autour de 4 axes de progrès :

1) Le développement d’une culture de performance globale.

Pour notre mission ce point est primordial. La stratégie extra financière, lorsqu’elle existe, est trop fréquemment dissociée de la stratégie économique.

 

Notre mission est convaincue que les entreprises doivent évaluer leurs forces, leurs faiblesses, leurs risques et leurs opportunités en croisant en permanence les enjeux financiers et extra financiers.

 

Etre une entreprise responsable contribue à la maîtrise de ses risques : Daniel Lebègue, Président de l’ORSE, nous a rappelé lors de son audition que 4 des 5 dernières plus grosses amendes supportées par les entreprises dans le monde provenaient d’un non respect de critères RSE.

 

En pratique cela signifie que le modèle doit évoluer, englober les filiales, et qu’actionnaires, collaborateurs, clients, territoires et autres parties prenantes intéressées doivent être associées à la définition de la stratégie.

 

Prenons l’exemple des politiques d’achat. Elles sont aujourd’hui largement surdéterminées par des objectifs de maximisation économique, sachant que les achats représentent en moyenne 50 % du chiffre d’affaires des entreprises. Or, nous ne comptons plus les controverses survenues en matière de sous-traitants contrevenant aux droits de l’homme et aux normes internationales du travail, polluant, atteignant la vie des riverains ou de leurs salariés… 

 

Intégrer la dimension extra-financière aux modèles d’affaires, pour les politiques d’achat, cela signifie travailler de façon différente avec les fournisseurs et les sous-traitants, pour passer d’un rapport donneur d’ordres/exécutant à une culture de coopération performante. La plate-forme formule des propositions concrètes concernant la sous-traitance: à l’occasion de la mise en œuvre de la récente directive européenne leur élargir les informations qui doivent être données. Et, disons-le, l’opportunité d’une législation maisons-mère/filiales est soulevée. 

 

Mais que l’on réfléchisse sur la « chaîne de valeurs » ou qu’on se cantonne à une entreprise, pour modifier le cadre de réflexion, on voit bien qu’il faut nouer un dialogue avec les collectivités territoriales, les populations, les ONG, les personnels et leurs représentants. Des entreprises s’y emploient et ont constitué des panels, favorisant ainsi une dynamique. Elles ont perçu qu’en associant toutes les parties prenantes, la RSE devient un outil robuste pour la cohésion, le changement, le management. Elle devient un mode d’action collective. A contrario se priver de cet élargissement avant de prendre des décisions stratégiques peut coûter très cher.

 

Comme le dit un proverbe sénégalais : « Qui parle sème, qui écoute récolte ».

 

Concernant le dialogue social, affirmons à nouveau que les représentants du personnel, les syndicats n’ont pas vocation à se substituer aux actionnaires, aux directions, ni aux autres parties prenantes mais qu’ils sont légitimes à questionner le modèle et donner leur avis sur la stratégie car la durabilité de l’entreprise en dépend et l’emploi, la qualité de vie au travail aussi.

 

La RSE doit « contribuer à renforcer le dialogue social » suggère la plateforme RSE. Nous dirions plutôt qu’elle doit lui donner sens. La RSE pourrait donner sens à la négociation interprofessionnelle sur la « modernisation du dialogue social » qui s’est ouverte début octobre.

 

Le dialogue social n’est pas un objectif, c’est un moyen, une méthode d’échange, de construction, de motivation de l’ensemble des acteurs. Lorsqu’il est trop fragmenté ou formel, il ne répond pas aux enjeux des transformations.

 

Il existe un retard d’implication d’institutions représentatives du personnel sur les questions économiques, de gouvernance, la prise en compte des questions environnementales ? Prenons le sujet à bras le corps, formons et informons. La base de données unique qui va se mettre en place devrait y aider.

 

Il faut aussi intégrer le développement durable et le dialogue social dans les parcours de formation des jeunes. Non pas comme un enseignement dédié mais transversal, comme un élément qui va permettre ensuite de vivre l’entreprise et d’inspirer la façon d’exercer son métier.

 

Un dernier mot à ce chapitre du dialogue sur sa dimension internationale. Les accords cadres internationaux (ACI) conclus entre grandes entreprises et syndicats n’offrent pas de véritable cadre juridique mais ils contribuent à créer de la norme à l’échelle mondiale. Leur effectivité reste à construire, en y intégrant des modalités d’information sur les engagements pris et de suivi de leur mise en oeuvre. Quelques bons exemples démontrent que c’est possible. Interrogeons-nous pour voir comment il est possible d’encourager le développement des Accords Cadres Internationaux (ou accords cadres européens -ACE).

 

2) La mesure de la performance

Il existe beaucoup de référentiels d’évaluation mais nous nous sommes demandé si cela n’altère pas un peu la crédibilité de la démarche. Comment une entreprise (surtout petite) peut-elle s’y retrouver avec cette boite à outils qui déborde mais rend les comparaisons hypothétiques ? Comment mobiliser les salariés, les managers, sensibiliser les consommateurs, avec les Principes directeurs de l’OCDE, le Pacte Mondial, les normes, les labels, la « diligence raisonnable », ISO 26 000, les critères ISG, les PCN (points de contact nationaux, par ailleurs très utiles)… Le portail d’information suggéré par le CESE pourrait faciliter la compréhension, mais à l’heure où on parle de choc de simplification, ne devons-nous pas rechercher comment faire plus pédagogique ?

 

Concernant les divers rapports d’information établis par les entreprises nous sommes tous d’accord pour convenir qu’ils doivent converger afin de stimuler à terme la construction d’un reporting plus intégré. Mais -comme la plateforme RSE- notre mission estime que la mise en place obligatoire et systématique d’un reporting intégré est aujourd’hui prématurée (petite différence d’appréciation avec le CESE). C’est l’adoption de stratégies de performance globale qui permettra de le généraliser.

 

Le reporting règlementaire français (le fameux « 225 » comme disent les experts), qui est un outil utile pour interroger et progresser (et qui devrait s’appliquer aux entreprises cotées ou non), en dit peu avec ses 42 informations à renseigner sur le dynamisme des démarches engagées. Il est clair par ailleurs qu’entre une entreprise du commerce ou de la chimie, de l’assurance ou de la métallurgie (on pourrait aussi parler d’un hôpital ou d’une université…) les problématiques ne sont pas les mêmes et les priorités non plus.

 

C’est pourquoi notre mission reste convaincue que les branches constituent une dimension pertinente de l’action (les filières, comme le suggère le CESE, sont sans doute aussi une piste à travailler).

 

Nous avions suggéré l’engagement de négociations de branches concernant les indicateurs, proposition qui semblait faire l’unanimité. Elle ne visait pas à supprimer l’obligation prévue par la loi mais à ouvrir une option, par accord de branche, afin d’identifier les problématiques clés des professions. Autre avantage de ce choix comme niveau d’action : il engloberait les TPE-PME.

 

Nous déplorons qu’aucune profession ne se soit saisie de cette proposition visant à accroître la pertinence des informations publiées. A l’heure où le ministre du travail vient de lancer le chantier de la recomposition des branches la responsabilité sociale et environnementale pourrait constituer un des éléments de la réflexion.

 

Concernant les agences de notation nous avons, comme le CESE, souligné les améliorations à apporter quant au modèle économique et aux pratiques. De ce point de vue un cadre européen de régulation est nécessaire, la plateforme RSE y a aussi réfléchi depuis. Mais notre mission avait également suggéré d’expérimenter la diffusion de la notation des agences, au-delà des investisseurs qui commandent leurs évaluations.

 

3) L’encouragement de l’investissement responsable

Notre mission est convaincue que l’Investissement Socialement Responsable peut constituer un vrai levier. Les investisseurs peuvent jouer un rôle d’entraînement, aider à la diffusion de la démarche responsable. Etendre aux investisseurs institutionnels les obligations de transparence auxquelles sont soumises les sociétés de gestion d’actifs donnerait un signe. De même que des incitations fiscales (je sais que ce n’est pas très tendance…) pourraient orienter une partie de l’assurance vie vers les placements responsables.

 

Mais la commercialisation des produits n’est pas facilitée par la multiplicité des référentiels. Si l’investisseur a du mal à s’y retrouver que dire de l’épargnant ! Nous avions suggéré la création d’un label unique. De ce point de vue les travaux en cours conduits par le CGDD (Commissariat général au développement durable) et la Direction générale du Trésor pour élaborer un label ISR sous la houlette de l’Etat appelle de notre part une remarque : au-delà de la satisfaction de voir ainsi reprise une de nos 20 recommandations, nous devons rester vigilants : il faut créer un label simple, utile, qui fournisse davantage des thématiques à respecter que des objectifs précis assortis d’indicateurs quantifiés. Si le label n’est pas partagé et accepté par les gérants eux-mêmes, le label ne sera pas utilisé. L’exemple des fonds ISR allemands qui ont pris le label Novethic comme référence unique est à méditer…

 

4) La valorisation de l’expérience française

Nous avions souligné auprès du gouvernement l’importance de soutenir un effort de conviction diplomatique auprès de nos partenaires.

 

Il faut travailler à consolider le cadre européen et s’appuyer sur les entreprises françaises qui ont été pionnières, qui ont été les premières à conclure des Accords Cadre Internationaux.

 

Ne pourrait-on pas mieux tirer partie du modèle de performance globale dans lequel certaines de nos entreprises se sont engagées et mettre en place une communication plus offensive pour renforcer la compétitivité de la « Marque France » ?

 

La recherche de débouchés à l’exportation commence à s’inscrire dans cette approche, notre diplomatie économique renforce cette promotion mais… peut mieux faire.

 

Enfin dans les enceintes internationales il est urgent de renforcer le poids des exigences sociales et environnementales pour garantir des pratiques saines et une concurrence loyale. Dans les négociations bilatérales ou multilatérales (notamment à l’OMC, l’organisation mondiale du commerce) il faut contribuer à la diffusion des normes considérées en France et en Europe comme des normes minimales d’exemplarité et des normes de progrès, de performance durable et de loyauté commerciale.

 

++++++

 

Permettez-moi pour conclure, de dire une conviction : la RSE peut contribuer à donner des clés de compréhension des grands enjeux du développement durable, à rééquilibrer un monde trop inégalitaire, à préserver les richesses, en se rappelant ce qu’en disait Leonardo Da Vinci ‘il ne faut pas appeler richesses les choses que l’on peut perdre’ ».

 

Références complètes 

Lydia Brovelli, Xavier Drago et Éric Molinié « Responsabilité et performance des organisations ; 20 propositions pour renforcer la démarche de responsabilité sociale des entreprises », juin 2013

 

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J’aime le débat, la délibération informée, folâtrer sur « la toile », lire et apprécier la vie.

J’ai effectué la plus grande partie de mon parcours professionnel dans le Conseil et le marketing de solutions de haute technologie en France et aux États-Unis. J’ai notamment été directeur du marketing d’Oracle Europe et Vice-Président Europe de BroadVision. J’ai rejoint le Groupe Alpha en 2003 et j’ai intégré son Comité Exécutif tout en assumant la direction générale de sa filiale la plus importante (600 consultants) de 2007 à 2011. Depuis 2012, j’exerce mes activités de conseil dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) au sein du cabinet que j’ai créé, Management & RSE. Je suis aussi administrateur du think tank Terra Nova dont j’anime le pôle Entreprise, Travail & Emploi. Je fais partie du corps enseignant du Master Ressources Humaines & Responsabilité Sociale de l’Entreprise de l’IAE de Paris, au sein de l’Université Paris 1 Sorbonne et je dirige l'Executive Master Trajectoires Dirigeants de Sciences Po Paris.