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par Charalampos Fragoulis

En Grèce, l’affirmation de l’autonomie des organisations syndicales en tant que représentantes des intérêts du monde du travail est un processus lent et encore inachevé. Il doit s’interpréter à la lumière du rôle traditionnellement prépondérant de l’Etat dans la société grecque et de la faiblesse des institutions de la société civile.

 

Flag of GreeceLes liens étroits noués entre les diverses tendances du monde syndical et les principaux partis politiques depuis la restauration de la démocratie en 1974, et ceci en dépit d’un cadre juridique qui officiellement proclame l’indépendance syndicale, de même que l’évolution historique des sources et des modes de financement des syndicats constituent deux paramètres qui illustrent bien les limites du processus d’autonomie syndicale.

 

En ce qui concerne les liens entre partis politiques et syndicats, il suffit d’évoquer deux faits:
– quasi tous les membres du conseil exécutif de la Confédération Générale des Travailleurs de Grèce (GSEE) sont élus sur la base des blocs politiques
– nombreux sont les cas de hauts dirigeants syndicaux pour qui le mandat syndical sert essentiellement de tremplin vers une carrière politique ultérieure et l’exercice des responsabilités gouvernementales.

 

Quant aux sources de financement, il convient de faire référence à ces pratiques et règlementations qui, à notre avis, reflètent la continuité des rapports ambigus entre l’Etat, soucieux de consolider des pratiques corporatistes dans le domaine des relations professionnelles, et un syndicalisme qui n’est que très peu implanté dans le secteur privé[1] – dominé par les très petites entreprises et qui se trouve donc concentré dans les grandes entreprises publiques et le secteur bancaire.

 

La plus grande partie des ressources syndicales vient de l’Etat

Un des traits qui distinguent le syndicalisme grec de celui des autres pays de l’UE tient sans doute au fait que la plus grande partie de ses ressources (à proportion de presque 90% contre 10% pour les cotisations directes des affiliés) provient de l’Etat par le biais d’un fonds alimenté par des prélèvements obligatoires (représentant 0,70% de la masse salariale jusqu’en 2012 et 0,35% depuis) sur les salaires de tous les travailleurs, qu’ils soient syndiqués ou non. Ce fonds sert à couvrir les coûts d’équipement et de personnel des organisations syndicales, ainsi que certains de leur frais généraux, comme les frais d’affranchissement et de communication. Ce mode de financement n’est certainement pas étranger à la très grande fragmentation organisationnelle du syndicalisme grec [2] qui manque ainsi de motivations financières suffisamment fortes pour envisager des fusions nécessaires

 

Par ailleurs, une pratique a été récemment mise en cause comme portant atteinte aux principes d’ indépendance syndicale et de transparence de gestion des ressources financières,  il s’agit du soutien financier apporté aux fédérations syndicales dans certaines entreprises publiques. Ce soutien peut provenir soit de décisions unilatérales de la direction des entreprises, soit d’accords collectifs conclus entre les deux parties. Un tel cas de soutien financier concernant la fédération des employés de l’entreprise publique de l’électricité (D.E.I.) a fait l’objet d’une enquête de la part de l’Inspecteur Général pour l’Administration Publique en 2011. Cette dernière a révélé plusieurs irrégularités quant à la gestion des fonds octroyés à la fédération qui se sont élevés à plus de 31 million d’euros pour la période 1999-2010. Elle a en outre affirmé la non-conformité de la plupart des subventions ainsi accordées au cadre réglementaire actuel qui explicitement interdit toute forme de soutien financier à une organisation syndicale de la part de l’employeur.

 

La crise survenue en 2010, met fin au processus d’un certain désengagement de l’Etat du domaine des relations professionnelles amorcé dans les années 1990. Les mesures prises au cours de cinq dernières années ont modifié profondément l’architecture des négociations collectives et les équilibres établis dans le passé entre les partenaires sociaux et l’intervention des autorités publiques.

 

L’Etat se substitue aux négociations collectives

Ainsi, le salaire minimum, qui était auparavant déterminé au niveau national par un accord entre les syndicats et les employeurs, est désormais (depuis Novembre 2012) fixé par le gouvernement et non plus par la négociation, même si les employeurs et les syndicats sont consultés. En parallèle, le gouvernement a décidé de réduire le salaire minimum de 22 % pour les plus de 25 ans et de 32 % pour les moins de 25 ans. La nouvelle législation privilégie aussi la décentralisation de la négociation collective vers le niveau de l’entreprise. Les accords d’entreprise sont autorisés à déroger aux règles établies par les accords au niveau national, sectoriel ou professionnel, même s’ils introduisent des conditions moins favorables pour les salariés. Enfin, les modalités d’accès des employeurs et des syndicats au service d’arbitrage et de médiation ont été modifiées de telle sorte que la position des syndicats s’en trouve affaiblie.

 

Dans ce contexte, on assiste à un affaiblissement considérable du rôle de l’accord national interprofessionnel, au déclin dramatique de la négociation au niveau sectoriel et professionnel, à un net recul de la couverture des conventions collectives et à un essor spectaculaire des accords d’entreprise. Ces derniers sont souvent et sous certaines conditions signés par des « associations de personnes » en lieu et place des syndicats, et ils entraînent des baisses de salaires.

 

Les évolutions citées ci-dessus risquent évidemment d’entraîner une déstabilisation majeure des organisations syndicales en accentuant les tendances à la réduction du taux déjà très bas de syndicalisation et ceci dans un contexte ou la viabilité financière des syndicats, assurée auparavant par les contributions de l’Etat, se trouve menacée.

 

Le contenu de cet article exprime uniquement les opinions personnelles de l’auteur et n’engage ni ne représente le point de vue du Ministère du Travail grec.

 

Notes

[1] Malgré l’absence de chiffres officiels, nombreuses études font état d’un taux de syndicalisation ne dépassant pas le 15% dans le secteur privé, chiffre qui parait actuellement optimiste vus les développements importants qui ont eu lieu depuis la crise (voir plus loin).

[2] La structure de son organisation comprend deux confédérations (une pour le secteur et une pour la fonction publique), plusieurs fédérations sectorielles, des organisations au niveau des professions, des structures régionales et enfin des syndicats d’entreprise.

 

Sources

I.Lixouriotis, Le financement des organisations syndicales, 2014, www.academia.edu

Syndicats en Grèce, Systèmes Nationaux, European Training Union Institute, 2013

Greece, Industrial Relations Profile, 2014, www.eurofound.europa.eu

C.Ioannou, K.Papadimitriou, Collective bargaining in Greece in the years 2011 and 2012 – trends, breakthroughs and prospects, OMED (Organisation for Mediation and Arbitration, 2013)

 

A propos de l’auteur

Charalampos Fragoulis est conseiller en droit du travail auprès du Ministère grec du Travail, de la Sécurité Sociale et de la Providence. Il a également travaillé de 2007 à 2013 en tant qu’expert en politiques d’emploi auprès de la Direction Générale de l’Emploi, des Affaires Sociales et de l’Inclusion de la Commission Européenne, et est docteur en droit social de l’Université Paris-X.

 

Crédit image : CC/Flickr/Selbe B

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