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logement entreprises

Depuis toujours, des employeurs ont dû s’impliquer dans le logement de leurs salariés mais les modalités de cette implication ont fortement évolué. Les crises du logement successives ont permis de trouver des solutions nouvelles dans lesquelles des entreprises ont pu prendre leur part. Le dispositif mis en place en France dans les années 50 notamment par les partenaires sociaux est unique en Europe : il permet de combiner logement social et logement des salariés. Face aux crises du logement, à la crise de l’Etat de plus en plus impécunieux, ce dispositif est aujourd’hui remis en cause. Pierre Maréchal livre pour Metis son analyse.

 

Dans la représentation commune, le logement apparaît comme un bien que chaque famille se procure soit en le louant soit en l’achetant. Les familles à faible revenu reçoivent une aide (allocation logement) de l’État et/ou elles peuvent bénéficier d’un logement social. Apparemment aujourd’hui, le rôle des entreprises n’apparaît pas directement : pourtant il existe.

 

Rappel historique

 

Certaines formes de logements procurés par les employeurs ont quasiment disparu ou sont devenues très marginales.

Au XIXe siècle, l’ouvrier agricole était logé à la ferme, la bonne avait une chambre de bonne etc.
A la suite des révolutions industrielles, des grandes entreprises se sont implantées près des ressources naturelles, loin des villes. Ces concentrations de main-d’œuvre ont obligé des industries à loger une partie de leur personnel dans différents types de logement : de grandes maisons pour les cadres, maisons avec jardin pour les ouvriers qualifiés et les contremaîtres, des baraquements pour les célibataires moins qualifiés, souvent de provenance étrangère. Quelques réalisations exemplaires ont été réalisées comme les cités ouvrières créées par les industriels du textile de Mulhouse ou encore la cité Menier de Noisiel.

 

Dans les villes où la main-d’œuvre était abondante, les ouvriers s’entassaient dans des logements médiocres, surpeuplés et souvent insalubres. La question du logement et la question urbaine devenaient politiques. Les enquêteurs dénonçaient des conditions ignobles, les hygiénistes promouvaient de nouvelles normes d’habitation, des sociétés philanthropiques se donnèrent pour but de construire des opérations modèle. Mais bâtir des cités dédiées aux ouvriers était présenté comme une idée révolutionnaire et dangereuse : on craignait ces concentrations de populations soit-disant prêtes à se révolter. Ceci a bien été décrit par Louis Chevalier dans « Classes laborieuses et classes dangereuses »(1958).

 

La deuxième moitié du XIXe siècle voit alors se développer des initiatives pour imposer progressivement des immeubles d’habitation ouvrière répondant à des normes d’hygiène, avec l’eau courante pour commencer. Les résultats furent néanmoins faibles en terme de nombre de logements construits car il manquait des moyens financiers, des opérateurs pour construire suffisamment de logements de qualité.

La première loi, la loi Siegfried de 1894, permit d’aider les constructeurs à financer leurs investissements en habitations à bon marché en apportant des prêts à taux réduit et des immunités fiscales. Une succession de lois furent ensuite votées pour tenter, chaque fois, d’améliorer le financement des opérations qui ne se développaient pas à la hauteur des besoins.

 

L’idée d’impliquer les entreprises dans le financement du logement des salariés a mûri entre les deux guerres

 

Pendant la 1ère guerre, 450 000 logements avaient été détruits. Le résultat de trente ans (1894- 1925) d’incitations pour construire des logements fut maigre : seulement un peu plus de 60 000 logements H BM bâtis . Pour rattraper le retard, il fallait désormais construire 50 000 par an sur 10 ans. Mais toutes les initiatives butaient sur le problème du financement.

 

On a pris alors conscience que, dans les faits, certaines entreprises étaient impliquées dans le logement de leurs salariés : une enquête de 1930 auprès des établissements commerciaux et industriels de plus de 200 salariés a montré que ces entreprises possédaient en propre près de 350 000 logements. Pourquoi toutes les entreprises ne feraient-elles pas de même ? C’est une question qui s’imposa dans le débat entre deux voies possibles :

 

• une voie « sociale » privilégiant le développement d’un parc locatif à loyer modeste pour les salariés, avec des normes modernes d’hygiène et de confort, financé par une taxe sur les salaires. Les adeptes de cette voie prévoyaient également un système de prêt facilitant l’accession à la propriété des salariés,
• une voie patronale, libérale, c’est-à-dire fondée sur le volontariat et la liberté d’agir, privilégiant un accès au logement locatif comme élément du contrat de travail, avec des normes de construction minimisant les coûts. L’idée d’une taxation était vivement rejetée.

 

La situation était ainsi bloquée mais plusieurs éléments ont pavé la voie d’un compromis.

 

La crise sociale du logement devenait un problème politique et l’attitude de blocage insoutenable. La solution mise en œuvre par certaines entreprises consistant à financer intégralement le logement conduisait à une mobilisation de fonds propres trop importante.
De plus une partie du patronat s’engageait localement pour inventer des réponses collectives. Ainsi dans les années trente, 35 industriels se sont réunis pour fonder la Société des Cités jardins de la région parisienne. On trouve des initiatives de ce genre dans d’autres villes, fondées sur l’adhésion volontaire du patronat.

 

Le compromis de l’après-guerre

 

Il s’est construit (pour simplifier) en deux étapes :

• La création du comité interprofessionnel du logement (CIL) en 1942 à Roubaix-Tourcoing qui adopte en 1943 le principe d’une cotisation égale 1 % des salaires. Dès la fin 1944, 97 % des employeurs du bassin d’emploi de Roubaix-Tourcoing y adhèrent.
Ce modèle se diffuse rapidement dans toute la France et, en 1952, on compte 132 CIL en France
• La loi du 11 juillet 1953 qui impose à toutes les entreprises non pas une taxe de 1 % mais l’obligation de consacrer au moins 1 % de leur masse salariale au logement de leurs salariés. C’est un compromis entre la logique libérale et la logique sociale : il conjugue liberté d’action et solidarité, mutualisation. Il ne s’agit pas d’un impôt, il ne s’agit pas de faire du logement un élément du contrat de travail. C’est la fin du logement patronal.

 

Un bon dispositif ?

 

Ce dispositif présente de nombreux avantages pour les entreprises.

• En mettant tout le monde à contribution, il évite les distorsions de concurrence,
• La mobilisation des logements pour les salariés est moins coûteuse puisqu’elle utilise un effet de levier : les sommes investies par les entreprises se combinent avec les prêts avantageux de la Caisse des Dépôts et Consignation et avec des subventions de l’État (aide à la pierre quand elles existaient).

 

Dans ce schéma les entreprises peuvent, par l’intermédiaire des CIL, « acheter » des réservations de logements pour lesquelles elles ont la possibilité de proposer des salariés (ceci fait souvent l’objet d’une consultation dans les comités d’entreprise).

Ainsi dans la région Île-de-France, il y a aujourd’hui environ 1 million de logements sociaux dont environ 40 % « appartiennent » aux entreprises dans la mesure où ce sont des salariés des entreprises cotisantes qui peuvent les occuper.

 

Plusieurs vertus de ce dispositif méritent d’être signalées. Tout d’abord c’est un système paritaire. Les CIL sont gérés par des représentants patronaux et syndicaux et , dans les entreprises, les comités d’entreprise sont impliqués dans les décisions : dans les grandes , il y a des commissions-logement. L’article de Jules Meunier fait justement le point sur le rôle joué par le paritarisme et sur la crise du 1%.

Ce dispositif permet en outre de donner aux salariés une priorité d’accès à une partie des logements sociaux , priorité que les élus locaux n’auraient pas toujours accordée en privilégiant leur mandants.

 

La diminution des aides à la pierre voulue par la réforme de 1977 de Raymond Barre a fragilisé le système. Aujourd’hui, il est fortement menacé et il n’est pas impossible que ce dispositif (unique au monde ?) disparaisse à terme.

 

Pour en savoir plus

 

Quel avenir pour le 1% Logement ? Thomas Sigaud, Chercheur en sociologie
– Hélène Frouard, Du coron au HLM. Patronat et logement social (1894-1953). Rennes, PUR, 2008, 187 pages. « Arts & Société ».

Le Livre Blanc : Du 1% à Action Logement 

 

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Un parcours professionnel varié dans des centres d’études et de recherche (CREDOC, CEREQ), dans
des administrations publiques et privées (Délégation à l’emploi et Chambre de commerce et
d’industrie), DRH dans des groupes (BSN, LVMH, SEMA), et dans le conseil (BBC et Pima ECR), cela à
partir d’une formation initiale d’ingénieur X66, d’économiste-statisticien ENSAE et d’une formation
en gestion IFG.
Une activité associative diverse : membre de l’associations des anciens auditeurs de l’INTEFP, ex-
président d’une grosse association intermédiaire à Reims, actif pendant de nombreuses années à
FONDACT (intéressé par l’actionnariat salarié), actuellement retraité engagé dans les questions de
logement et de précarité d’une part comme administrateur d’Habitat et Humanisme IdF et comme
animateur de l’Observatoire de la précarité et du mal-logement des Hauts-de-Seine.
Toujours très intéressé par les questions d’emploi et du travail.