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par Luc Morena, interviewé par Pierre Maréchal

Un Livre Blanc sur la mobilité géographique des salariés a été présenté le 1er juillet 2015 conjointement par la Fédération des acteurs de la relocation et de la mobilité géographique et par CILGERE – Services (Action Logement). Cette « relocation », pur anglicisme, est le fait de déplacer des personnes, une entreprise… à un autre endroit. Ces services consistent à faciliter la mobilité résidentielle des personnes impliquées. Pierre Maréchal s’est entretenu avec Luc Morena, directeur général de CILGERE-Services, pour comprendre comment la problématique de la mobilité résidentielle a émergé pour les CIL (Comités Interprofessionnels du Logement) et quelle démarche il a suivi pour développer ce service.

 

 

La vocation première des CIL est de loger les salariés des entreprises en utilisant les fonds qu’elles leur versent au titre de la participation obligatoire des employeurs à l’effort de construction. Qu’est-ce qui vous à conduit à proposer un service d’accompagnement aux salariés qui doivent changer de région dans le cadre d’une mobilité professionnelle ?

 

 

relocation

Répondre au besoin formulé par une entreprise. Il y a 25 ans, en Lorraine,  dans le cadre des restructurations , un groupe sidérurgique nous a demandé de l’aider à organiser le relogement de ses cadres en Ile-de-France . Ce n’était pas vraiment notre métier, mais nous avons eu à cœur de relever et de réussir le challenge.  Nous nous sommes aperçus , par la suite, que d’autres catégories de personnel pouvaient être concernées par cet accompagnement, d’où la création d’une offre globale de service et d’un service dédié filialisé CIL-Services. Aujourd’hui, nous accompagnons 2000 salariés par an.

 

 

Quelle est votre valeur-ajoutée ? Quelle est la nature de votre service ?

 

 

La mobilité fait partie de la vie des entreprises et des salariés. Mais on n’est pas mobile facilement. La question-injonction « êtes-vous mobile ? » qui peut être faite par les DRH à certains salariés, notamment lors de leur embauche, peut sonner comme une opportunité mais également comme une menace : où vont-ils m’envoyer un jour ? Pas facile quand on a une famille, un conjoint qui travaille, des adolescents bien insérés… Une enquête du CREDOC montre, par exemple, que 70% des actifs déclarent qu’ils refuseraient un emploi meilleur si cela devait occasionner un déménagement conduisant à une hausse de leurs dépense de logement.

Et il ne s’agit pas seulement de coût. La grande difficulté est de conjuguer le temps professionnel entre l’annonce de la mutation et la mutation elle-même et le temps personnel qui doit intégrer cette perspective de mutation, la réflexion familiale, la découverte du territoire et de ses potentialités, et après l’accord, le départ du logement, le choix du nouveau logement et l’emménagement.

Les blocages qui peuvent surgir sont nombreux : il y a la résidence principale que l’on quitte (surtout si on est propriétaire), l’appréhension d’ «entrer» dans un nouveau territoire, la distance et l’éloignement de son environnement et de ses réseaux familiaux, amicaux…. Bref cela suppose la rupture de nombreux petits équilibres donc des sacrifices à mettre en balance avec de nouvelles opportunités qui doivent être découvertes et partagées.

Les salariés qui ont bénéficié d’une aide d’Action Logement se montrent plus disposés à déménager. Bien accompagnés, bien conseillés, ils se sentent rassurés et sont opérationnels plus rapidement. La prise en charge par l’entreprise de la problématique logement traduit l’attention qu’elle porte au bien-être personnel et familial de ses collaborateurs et confirme son engagement dans une politique de RSE.

 

 

Votre rôle est de permettre de mieux conjuguer mobilité professionnelle et mobilité résidentielle. Vous pensez, avec d’autres, que faciliter la mobilité géographique est un atout pour les entreprises et pour le dynamisme économique en général. Vous avez voulu en avoir le cœur net en finançant une thèse soutenue par Thomas Sigaud, Mobilités résidentielles et professionnelles des salariés en France : entreprises, marchés et territoires, une articulation en tension (2014).

 

 

En effet, nous voulions mieux cerner les attentes et les besoins des salariés des entreprises. Pour cela, CILGERE s’est rapproché de l’université Paris-Dauphine pour commander un éclairage sociologique sur la mobilité. Un partenariat été signé dans le cadre des dispositifs CIFRE qui associent une entreprise et un laboratoire de recherche autour d’un projet de thèse innovant. Cette thèse nous a permis de mieux appréhender le marché de la mobilité, d’en connaître les grandes tendances en France, et d’identifier les difficultés ressenties par les salariés mobiles : d’une part, ils n’arrivent pas toujours à concilier les exigences professionnelles, celles de leur famille et les contraintes du déménagement, d’autre part ils se sentent démunis face au marché résidentiel et à ses codes.

 

 

D’où le Livre Blanc qui vise à promouvoir la sécurisation des mobilités au service de l’emploi et des territoires…

 

 

Après cette première expérience, nous voulions aller plus loin dans l’appréhension du marché de la mobilité et avons commandé ce livre blanc pour compléter par une connaissance académique notre expérience terrain.

 

L’objectif de ce Livre Blanc est d’aider les entreprises et les salariés à faire de la mobilité une opportunité et non une contrainte. La fragilisation de l’emploi et les tensions sur le marché du logement font que les salariés sont soumis à une « double peine » dont les effets se font sentir dans les entreprises. La mobilité géographique soulève un problème de taille : elle fait inévitablement entrer la vie privée des salariés dans l’entreprises. Par manque d’outils adaptés, par réticence des DRH les enjeux sociaux de la mobilité géographique sont trop souvent laissés de côté par l’entreprise et mal-appréhendés.

 

Le diagnostic que nous portons se décline en trois points :

– la mobilité est un « bien public » et doit être considéré comme tel : il faut mutualiser ses coûts à différentes échelles (entre les salariés et leur employeur, entre les employeurs, entre les territoires…),
– il faut expliciter et prendre en compte les coûts « invisibles » de la mobilité géographique des salariés,
– la réponse aux enjeux de la mobilité ne peut être que financière, elle doit aussi être stratégique et opérationnelle.

 

 

Et vous formulez cinq propositions…

 

 

Pour lever les freins et les blocages à la mobilité, nous suggérons de :

1. proposer un « diagnostic mobilité » aux salariés et aux demandeurs d’emploi
2. mieux intégrer la mobilité géographique aux stratégies de gestion des ressources humaines
3. intégrer la mobilité géographique à la responsabilité sociale des entreprises
4. mobiliser les pouvoirs publics pour faire entrer la question du logement dans la gestion des mobilités
5. renforcer les dispositifs d’aide à la mobilité proposés par Action Logement

 

Nous sommes convaincus que la question de la mobilité .doit être prise en mains par tous les acteurs. Ce livre blanc y contribue en élevant le niveau de conscience sur les enjeux et la nécessaire synergie pour une approche globale, territorialisé et surtout partenariale.

 

 

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